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Costumes offensants : des magasins d’Halloween tardent à arriver en 2022

On a malheureusement vu des déguisements d’« Indien » en masse.

Par
François Breton-Champigny
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Avec les feuilles qui tombent et la grisaille automnale qui s’installe, on sent bien que la grande fête costumée dopée au sucre et aux partys arrosés est à nos portes. Si les habits loufoques sont à l’honneur pour l’Halloween, la question des costumes jugés comme offensants pour diverses raisons (appropriation culturelle, racisme, hypersexualisation) fait dorénavant partie de l’équation.

J’ai donc décidé d’aller faire un tour dans quelques boutiques du Plateau Mont-Royal et sur la rue Sainte-Catherine afin de voir si les coutumes concernant ces costumes (désolé pour ça) ont réellement changé. Comme je prends cette mission très au sérieux, j’ai traîné (avec son consentement) ma collègue Laïma, une véritable féministe enragée.

2002 ou 2022?

Premier arrêt sur Mont-Royal : une boutique éphémère consacrée à l’Halloween qui ressuscite d’entre les morts chaque année au mois de septembre, le temps d’écouler ses costumes et accessoires.

On a à peine le temps de passer la porte d’entrée qu’un mur rempli d’artéfacts criant « appropriation culturelle et religieuse » nous saute au visage. Un déguisement de joyeux rabbin affublé d’une barbe et de bigoudis côtoie un « prince du désert » style Aladin porté par une personne blanche. Un peu plus loin, un costume semi-coquin de « native beauty », avec en prime une autre personne blanche qui pose avec des habits autochtones « traditionnels » en talons hauts.

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Au fond du magasin, un mur complet de déguisements « sexy » pour femmes. Policière, travailleuse de la construction ou encore femme de ménage, toutes les professions sont accompagnées de jupes courtes, de décolletés ou de jarretelles.

« Il y a clairement un double standard pour les costumes pour femmes. Si tu veux représenter une profession, faut que tu sois sexy à tout coup alors que pour les hommes, ce n’est pas du tout le cas », constate notre experte-maison Laïma. Ce son de cloche semble d’ailleurs avoir trouvé écho chez l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), qui vient tout juste de lancer une campagne contre les costumes olé olé représentant leur profession pour la fête du déguisement.

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L’établissement où l’on se trouve est pratiquement désert en ce mardi matin. Difficile, donc, de trouver des acheteurs et acheteuses à prendre sur le vif en train de s’équiper en costumes wokeless. Lorsqu’on questionne incognito le vendeur à la caisse sur les habitudes d’achat des gens concernant ces accoutrements dignes d’un porn cheap, sa réponse est on ne peut plus claire : « On vend pratiquement tout. Dix jours avant l’Halloween, il y a une file jusqu’au bout du magasin et les gens achètent de tout. »

Même les costumes de rabbin, d’autochtone ou de prince du désert? « Oui. Ça se vend encore aussi », assure-t-il, même s’il reconnaît que c’est « bizarre » que ces habits soient toujours aussi populaires.

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On continue notre marche, un brin découragé.e.s de constater que 2022 ressemble pas mal à il y a vingt ans, cette lointaine époque où tout était encore possible…

« On fait ce qu’on peut »

Deuxième boutique un peu plus loin sur Mont-Royal, aussi populaire pour ses accessoires, costumes et maquillage de toutes sortes. À première vue, l’appropriation culturelle/religieuse et la misogynie ne frappent pas autant qu’à la première adresse, jusqu’à ce qu’on tombe sur des perruques représentant des dreadlocks jamaïcains ou les cheveux d’une jeune femme autochtone, encore une fois portées par des mannequins blanc.he.s.

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« On est quelques employés à retourner les emballages qu’on considère comme offensants lorsqu’on en voit. On n’est pas la direction, donc ce n’est pas nous qui prenons les décisions, mais on fait ce qu’on peut », nous confie un employé lorsqu’on lui demande ce que ça lui fait de vendre de tels produits.

Quelques minutes plus tard, on remarque d’ailleurs que l’emballage avec la perruque de la femme autochtone a été retourné au moment de sortir de la boutique.

La suite de notre pèlerinage dans un Dollarama et une boutique spécialisée en cossins pour l’Halloween de la rue Sainte-Catherine nous amène au même constat : on retrouve des items offensants, à différents degrés, dans tous les établissements visités.

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Des costumes là pour rester?

Au terme de cette expérience, une question nous taraude toujours l’esprit : comment ça se fait qu’on retrouve encore de tels déguisements dans les magasins, et que certaines personnes souhaitent toujours s’en procurer en 2022? La psychologue et autrice Rachida Azdouz a quelques pistes de réponses.

En ce qui a trait aux déguisements touchant à l’appropriation culturelle, la spécialiste des relations interculturelles estime d’emblée que « nous n’avons pas tous la même définition de l’appropriation culturelle et le même seuil de tolérance aux manifestations d’appropriation culturelle », et qu’il y a une « zone grise » concernant les vêtements, puisque ça touche à des notions de liberté d’expression.

« Prenons deux cas de figure : porter des coiffes, des tresses ou des tenues dites “exotiques” par choix esthétique ou par préférence, cela fait partie de la liberté de s’habiller comme on veut, mentionne l’experte. On ne peut pas imposer des codes vestimentaires dans l’espace public comme dans un régime totalitaire. Se déguiser en empruntant des tenues dites ethniques, c’est une autre affaire, car on flirte avec le dénigrement, même quand on dit vouloir faire honneur à ces tenues. Les tenues traditionnelles ne sont pas des déguisements. »

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Dans le cas des déguisements « sexy », il y a aussi des nuances importantes à apporter, selon elle. « Une femme a le droit de porter des tenues sans être culpabilisée et accusée d’exciter les agresseurs, souligne Rachida Azdouz. Ce principe s’applique aussi aux déguisements. On peut faire de la prévention, lutter contre les stéréotypes sexuels à l’école et dans les médias, mais on ne peut pas interdire à des filles de choisir ces déguisements, même si on se doute qu’elles ont peut-être intégré malgré elles une image stéréotypée de la femme. »

« Si on interdisait aux vendeurs de déguisements d’offrir ces tenues, on pourrait se faire reprocher de dicter aux femmes comment se déguiser et de ne pas faire confiance à leur jugement et à leur capacité de choisir librement », ajoute-t-elle.

Rachida Azouz rappelle également le rôle du « carnaval » et des déguisements dans une société. « À l’origine, ces manifestations visaient à permettre aux populations de faire tomber les barrières de temps, d’espace, de genre et de classes sociales pour une durée déterminée. Un genre de catharsis. Par exemple, une femme pourrait se déguiser en Barbie pour ridiculiser l’image stéréotypée de la femme poupée. Le contexte et l’intention sont très importants, voilà pourquoi il serait très risqué de dresser la liste des déguisements permis et interdits. »

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Morale de cette histoire : il va falloir s’habituer à voir déambuler de joyeux rabbins et des « guerriers autochtones » dans nos rues encore pour un bon bout de temps, qu’on le veuille ou non.