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Corps de mamans
Plus tôt cette année, un décompte des pires métiers de l’année a fait grand bruit sur les réseaux sociaux, car la profession de journaliste s’y trouvait au dernier rang. Il faut toutefois mentionner que comme les scribouillards que nous sommes perdons déjà beaucoup d’heures par jour sur Twitter et Facebook à chercher noise ou s’autocongratuler, ceci expliquerait la montée en épingle de cela, disons. La promotion de ce palmarès a, bien évidemment, été prise avec incrédulité ou humour par quiconque n’a pas sa carte de la FPJQ. Le saviez-vous? Le job de bûcheron se retrouvait aussi sur cette liste. Avez-vous entendu beaucoup d’hommes des bois se plaindre sur le 2.0?
Mais bon, tout ça pour déclarer qu’il n’y’a pas pire vocation qu’être mère en 2013. Oui, oui!
Non seulement, doit-elle donner vie à un être et ensuite veiller à son bonheur jusqu’à ses 18 ans (et souvent plus), elle se fait également bardasser par son entourage ou encore des chroniqueurs lorsqu’elle dépend trop de la garderie (on y reviendra) en plus de se faire reprocher par différents médias de ne pas avoir la taille de guêpe de la sensation web du moment, de ne pas trouver le temps pour apprendre les 10 positions qui rendront son homme fou au lit ou de ne pas consacrer assez d’heures hebdomadaires à la tendance de l’heure (le yoga chaud ou le CrossFit, j’imagine) tout en jouissant d’une vie épanouie et d’une carrière productive. Comme si ce n’était pas assez, c’est une occupation bénévole!
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C’est moi ou, pour une société qui se veut moderne, c’est vachement ingrat d’être une maman en 2013?
D’où ce billet choral réunissant les témoignages de quatre mères que j’admire beaucoup : Julie (une recherchiste dans la trentaine), Caroline (une enseignante en éducation physique de 30 ans), Valentine (une mère de deux enfants et étudiante à la fin de la vingtaine qui s’apprête à retourner sur le marché du travail) et Stéphanie (une maman de 34 ans qui bosse dans les médias).
Sous pression (pas une référence à la chanson de Queen et Bowie)
«Être une bonne mère et une bonne personne ainsi que quelqu’un de drôle et d’intelligent ne suffit plus. Il faut être belle. Il faut être parfaite, en fait», lance d’emblée Valentine.
Julie partage son opinion et en rajoute : «Et tu ne peux pas vraiment en parler ou te plaindre. Sinon, tu es une mère indigne! C’est sensé être “beau”, la maternité. Désolé, mais on n’accouche pas de poupées de porcelaine!»
Caroline abonde également dans le même sens. «Pour plusieurs femmes, dire qu’on n’aime pas être enceinte, ça ne se dit pas. Hé bien moi, je l’ai dit. J’ai eu une grossesse ardue – diabète de grossesse, accouchement difficile et autres accros – tellement qu’à la fin de celle-ci, j’ai eu droit à de la médication pour ne pas tomber en dépression post-partum quand j’aurais mon enfant. J’étais trop anxieuse. Médecins et infirmières ne me disaient jamais les mêmes choses. Je freakais donc devant l’inconnu! Je ne suis pas gênée de dire que j’ai pris des médicaments, ça m’a beaucoup aidé.»
McDonald, Foglia et autres soucis
Ainsi, selon les mères consultées, non seulement on applique de plus en plus de pression, mais on impose également davantage de «tâches connexes» à la description de leur «emploi». Julie prend la parole : «Je crois que pour être une bonne mère maintenant, il faut être en shape, allaiter, être un peu “grano” sur les bords, éviter le McDo, Disney et la télé avant l’âge de cinq ans!» Bien que la croyance populaire veut que cette période dans l’enfance soit extrêmement déterminante, Julie résiste en préférant surfer la vague. «De toute façon, c’est inévitable. Ils seront en contact avec ça à l’école ou encore à la garderie. Ainsi, si l’on va à Kamouraska, par exemple, et qu’on doit arrêter manger sur la route et que le seul restaurant croisé est un McDo, hé bien, on va s’arrêter au McDo! Si mon fils veut mettre des colliers un peu féminins pour aller à la garderie, pourquoi pas? Je n’ai pas à me faire juger pour ça. J’ai d’autres chats à fouetter! Il y a des limites à être la femme au travail, la femme au foyer, la super maman, la hot mamma et j’en passe!»
À la mention de la garderie, Valentine revient sur le fameux texte La petite enfance de Pierre Foglia où, à partir du témoignage d’une amie travaillant dans un centre de la petite enfance, le chroniqueur aguerri y va d’un portrait plutôt terne des parents qui dépendent des garderies pour leurs trésors en bas âge. Un papier qui l’a aussi fait bondir, mais pas pour les raisons évidentes.
«Ça a éveillé une certaine grogne dans les médias sociaux, mais, de mon côté, j’étais quand même d’accord. Je crois qu’un enfant de deux, trois ans est mieux avec ses parents qu’à la garderie, mais je n’irai jamais blâmer quelqu’un parce qu’il envoie ses enfants avant, parce que je suis consciente que la vie peut faire en sorte que tu sois obligé de le faire. Nous, on a fait le choix de vivre avec moins d’argent, de vivre que sur le salaire de mon chum, parce que, demeurer à la maison avec les enfants était ce qui me rendait le plus heureuse. Personne ne devrait nous faire sentir coupable. D’un côté comme de l’autre!»
«Je l’ai envoyé à six mois», confie Julie. «J’aurais aimé faire autrement, mais je n’avais pas les moyens. J’étais monoparentale. Je n’avais pas le choix!»
Et lorsque ce n’est pas un pavé du genre qui fait tiquer, c’est une photo de maman sportive qui pose en petite tenue – et, surtout, un ventre parfaitement plat – quatre jours après son accouchement qui est reprise, voire célébrée, par ces médias.
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Pas de pitié pour les mères, j’vous dis!
«C’est quoi, ton excuse?»
Plus tôt cette semaine, la popularité de Caroline Berg Eriksen, une blogueuse sport qui est aussi mariée au footballeur Lars-Kristian Eriksen, allait largement dépassé les frontières de sa Norvège natale lorsque la dame en question téléversait un selfie d’elle en lingerie fine, arborant un ventre parfaitement plat quatre jours après avoir eu son enfant.
En entrevue avec les médias, celle-ci a répondu à la houle sur les réseaux sociaux en disant qu’elle voulait démontrer qu’il était possible de reprendre sa taille originale après l’accouchement tout en spécifiant qu’elle ne s’était toujours pas remise à l’entraînement. «Deux ans après ma grossesse, ça me laisse plutôt indifférente», assure Stéphanie. «Mais si j’avais vu ça quelques semaines après avoir accouché, j’aurais été furieuse… et sûrement envieuse aussi. Je voulais tellement perdre mon poids de grossesse – j’ai quand même pris 42 livres! – et j’ai eu tellement de mal! J’avais beau manger hyper santé, limiter mes portions et faire de l’activité physique, je ne perdais rien et j’étais découragée.»
Des semaines auparavant, une dénommée Maria Kang (aussi sur la photo introduisant ce billet) dévoilait un cliché d’elle en tenue sportive, accompagnée de ses trois enfants et son six pack.
La phrase notée sur la photo – «C’est quoi, ton excuse?» – en a fait bondir plus d’une. Sans sortir les griffes, les mamans interrogées – qui font tous du sport lorsqu’elles ont le temps – en avaient long à dire sur ces dames, le corps et l’image contemporaine de la mère.
«Le cas de la femme de footballeur a fait jaser au bureau», mentionne Julie. «Mes collègues – qui n’ont pas d’enfants – étaient en admiration alors que, moi, je me disais “La tabarnac! Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que je fais de pas correct, alors?”», lance-t-elle en éclatant de rire. «Les médias sont friands d’histoires du genre», déplorera-t-elle par la suite avant de glisser que ces publications «ne font jamais valoir que les Angelina Jolie et Kate Middleton de ce monde ont un personnel – un cuisinier, un entraîneur, une nounou, etc. – à leur service. Elles ne font pas de 9 à 5 et ne vont probablement pas chercher leurs enfants à la garderie!»
Même chez nous, le sujet demeure tabou. «Si je prends l’exemple des actrices québécoises, il est clair que, dans la plupart des cas, si elles ont un rôle dans une série et que les tournages reprennent quelques semaines après leur accouchement, elles doivent avoir retrouvé leur taille», explique Stéphanie. «C’est normal, c’est leur travail et leur corps fait partie de leurs outils de travail. J’en connais d’ailleurs qui pensent que si elles n’ont pas regagné leur taille quelques semaines après l’accouchement, elles ont l’impression qu’elles se laissent aller. La pression vient certainement de là. La fille en congé de maternité à la maison qui se compare aux actrices québécoises ou américaines qu’elle voit à la télé ou dans les revues peut devenir envieuse.»
Effacer l’expérience
Caroline indique qu’elle a fait du sport pendant sa grossesse surtout afin de demeurer zen et s’est empressée de s’y remettre par la suite pour la même raison. Stéphanie, de son côté, a adoré renouer avec la vie active – via des séances de cardio postnatal, notamment – après avoir donné naissance. «Ces activités sportives post-natales servent plutôt de prétexte aux mamans à la maison pour sortir de chez soi et socialiser avec d’autres mères, que de séances d’exercice pour une véritable perte de poids!»
L’enseignante en éducation physique du lot, trouve tout de même décevant que la culture populaire du moment semble favoriser l’esthétique au détriment de ce qui est pratique ou réaliste lorsqu’il est question de maternité. «Les médias appliquent une pression supplémentaire, bien évidement, mas je crois qu’il y a aussi une pression sociale qui ne se manifestait pas à l’époque de nos grands-mères et de leurs familles nombreuses. Aujourd’hui, on doit performer dans tout, même dans la maternité!» Julie opine : «Avant, avoir un enfant était un accomplissement en soi. De nos jours, on dirait qu’on veut effacer toutes les marques de l’expérience. C’est même ce qu’on nous recommande.» «On a aussi envie de se sentir bien dans notre corps, pour nous, pour notre chum», affirme Stéphanie. «On se compare avec les autres filles qui ont eu des bébés en même temps que nous et on tente de justifier pourquoi elles sont plus minces. Il y a une pression sociale. C’est clair!»
Valentine relativise : «Pour certaines d’entre-elles, leur corps est leur job. Mais, à la base, ces images-là ne me choquent pas vraiment, car je n’ai pas leur shape de toute façon. Même en allant au gym tous les jours, je n’aurai jamais l’air de cette fille-là.» Idem pour Stéphanie. «Certaines personnes comme Caroline Berg Eriksen ont une génétique qui fait en sorte qu’elle sort de l’hôpital en portant leurs vieux jeans. Il faut aussi être consciente de qui nous sommes et du corps qu’on avait avant d’être enceinte.»
Ceci étant dit, Valentine avoue que le geste de Kang l’a tout de même interpellé. «Elle pose avec son six pack, ses trois garçons et elle ajoute au-dessus de sa photo “What’s you excuse?”. T’sais, si, être fit, c’est sa priorité, tant mieux pour elle. Mais si je n’ai pas envie d’être aussi fit qu’elle? Est-ce un crime? Bien sûr, j’aimerais être différente, mais de là à avoir un six pack? Moi, je ne suis pas à l’aise avec mon corps depuis toujours, mais ce corps-là a quand même fait deux enfants en santé!» Puis, une pause, et la jeune maman confie que ce qui l’a aidé à faire face à ses problèmes d’image est sa propre fille. «Je ne veux pas que ça lui arrive à elle aussi. Je ne voudrais pas que, elle aussi, perde autant de temps à s’en faire avec son corps. Aujourd’hui, elle a sept ans et elle s’en fout. Moi, à son âge, je me trouvais grosse!»
Julie et Caroline, elles, avouent qu’elles cèdent par moments à cette image populaire de la «super maman». «Bien malgré moi, je sens que j’ai une petite envie d’être une mère top shape, bien que je le fais pour avoir une vie saine et demeurer active avant tout. Il y a beaucoup de “paraître” dans la maternité, mine de rien. Le fantasme de la MILF et tout ça. Même que je me rappelle que je voulais être cute pour l’accouchement!», lance la première. «Reprendre mon corps et le rendre moins maternel, oui, c’était important pour moi, mais, encore là, c’était pour refaire ce que j’aime le plus : bouger et pratiquer les sports de contact que j’aime et non pas pour pouvoir porter un petit bikini l’été venu!», enchaîne la seconde.
Trois repas, un lit chaud et de l’attention
Au cours des entretiens, certaines intervenantes se sont aussi souciées de l’impact que cette obsession pour la performance et l’image pourrait avoir sur la maternité. «Des filles que je côtoie m’ont déjà dit qu’il y avait des moyens de “s’arranger” pour ma cicatrice de césarienne. Pourquoi devrais-je la faire disparaître, en fait? C’est une marque de vie, on ne la voit pas quand je suis en maillot de bain et si ça dérange un gars, l’enfant va le troubler davantage!», lance Julie, sous l’oeil amusé de son amoureux.
Stéphanie a aussi eu droit à des discussions du genre. «Lorsque j’étais enceinte, les filles ayant déjà eu des bébés me demandaient sans cesse combien de poids j’avais pris. On me disait que je ne devais pas prendre plus de 25 livres si je voulais reperdre tout mon poids rapidement. J’avoue qu’au début, j’essayais de me restreindre, mais, en cours de route, j’ai complètement arrêté d’être obsédé par ma prise de poids. Je me disais que j’allais faire ce qu’il faut pour le perdre après avoir accouché.»
Julie revient à la charge : «On m’a dit aussi “Tu as allaité? Tu as des vergetures sur les seins? Tu sais que ça se travaille ça aussi, hein?”» Elle pousse ensuite un long soupir avant de muser que «c’est dur pour les filles, tout ça. J’ai parfois l’impression que ça en décourage même quelques-unes de faire un enfant… surtout quand elles semblent plus inquiètes par l’impact de l’accouchement sous la ceinture – ou du poids qu’on peut prendre pendant la grossesse – plutôt que par la relation qu’elles auront avec l’enfant! Ça pourrait être neuf mois où l’on s’en fait moins avec les standards de la société, mais on trouve encore le moyen de se mettre de la pression!»Caroline trouve aussi qu’on attend beaucoup des mères de nos jours. «On nous demande d’allaiter, de s’occuper d’un nouveau-né, d’être souriante, de chercher à retrouver notre shape, de se remettre à avoir des relations sexuelles – et il ne faut pas oublier le ménage!; tout ça en moins de deux! Ça me fait capoter! Il faut vraiment être des superwomen! C’est intense comme pression, j’trouve!» Même son de cloche pour Stéphanie. «Il faut être capable de tout faire, tout gérer, d’être forte, raisonnable et parfaite! Une chance que les enfants ça se fait à deux! Je pense que tout est une question de dosage. Il faut savoir s’adapter aux besoins de sa famille et à nos propres besoins. Les priorités changent énormément et il faut apprendre à l’accepter.»
Valentine, de son côté, fait appel à une certaine simplicité volontaire. «Quand tu vas accoucher de ton enfant, ça va rapidement devenir la chose la plus importante de ta vie et, peu importe ce qui peut arriver, tu vas trouver un moyen de t’arranger. Ce n’est donc pas vrai que tu as besoin d’avoir fini tes études, de t’acheter une maison, un char ou encore d’obtenir un emploi stable à 100 000 $ avant de te lancer! C’est niaiseux à dire, mais, tout ce dont les enfants ont besoin, c’est d’amour. Les enfants s’adaptent eux aussi. Mes enfants, par exemple, n’ont pas connu les grandes cours des banlieues, mais s’amusent follement quand même dans la ruelle avec les autres gamins du voisinage.» Et elle termine en faisant valoir que «comme mères, on se met beaucoup de pression. On se culpabilise toujours sur plein de choses, mais au final – comme une amie me l’a dit – si on couche notre enfant dans un lit chaud après lui avoir offert de l’attention et trois repas au long de la journée, notre devoir est accompli.»
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Et moi, là-dessus, je vais appeler ma mère pour me faire pardonner mes caprices d’ado.
Si vous voulez poursuivre la jasette (je sais, on aurait pu aborder la sexualité, le cas des pères, la vie sociale, etc., mais le texte est déjà assez long, non?), il y a la section commentaires sous ce billet. Je suis aussi sur Twitter – @andredesorel – si ça vous dit. Sur ce, bonne semaine sur Urbania.ca.