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Coronavirus : on dirait que je suis en train de devenir hypocondriaque
14h54 – L’Organisation mondiale de la santé déclare que l’épidémie de coronavirus est une urgence de santé publique internationale. Dans les 24 dernières heures, on a dénombré plus de 38 nouveaux décès portant le total à 170 depuis le début de l’épidémie, tous en Chine. On retrouve maintenant le virus dans une vingtaine de pays, dont trois cas au Canada. Ça semble beaucoup, mais la majorité se trouve dans la ville de Wuhan en Chine, métropole de 11 millions d’habitants. Le directeur national de santé publique du Québec, Horacio Arruda, a d’ailleurs demandé aux citoyens ce matin de ne pas céder à la peur irrationnelle. Il a dit en conférence de presse, et je cite, «La peur fait faire des affaires qui n’ont pas de criss de bon sens.» No joke.
Malgré ces belles paroles, depuis que la ville de Wuhan a été placée en quarantaine le 23 janvier dernier, j’ai un peu développé une fixation envers le coronavirus. Je suis quotidiennement les développements de cette nouvelle pneumonie chinoise, j’ai écouté la vidéo poignante d’un homme en isolement dans son appartement et je suis tombée dans la série Épidémie qui renforce ma peur de l’attraper lors de mon voyage imminent en Inde, même si le virus n’est pas présent dans ce pays. Pour renforcer mes angoisses, un bateau de 7000 personnes est actuellement bloqué en Italie parce que deux personnes sont soupçonnées d’avoir contracté le virus.
Malgré le très faible risque de contracter la pneumonie au Canada, la nouvelle fait les manchettes tous les jours, est en première page de tous les journaux et est continuellement mise à jour sur les diverses plateformes numériques des grands médias. Bonjour l’angoisse!
Je ne veux pas minimiser l’impact du coronavirus en Chine, chaque décès est tragique. En même temps, pourquoi j’en ai peur, alors que l’influenza tue chaque année plus de 3500 personnes et que je n’en entends à peu près pas parler, sauf pendant la période de vaccination? Comme le dit CNN, c’est un virus bien plus mortel, qu’on banalise. Pourquoi on nous bombarde d’alertes et de reportages-choc alors que toute proportion gardée (et au moment d’écrire ces lignes), le nombre de cas se compte sur les doigts d’une… bon d’accord, pas d’UNE main, mais vous comprenez le principe.
Michel Rochon a couvert le SRAS, le H1N1, le MERS et – fun fact pas si l’fun – son grand-père a failli mourir de la grippe espagnole en 1918.
Michel Rochon a couvert comme journaliste scientifique le SRAS, le H1N1, le MERS et – fun fact pas si l’fun – son grand-père a failli mourir de la grippe espagnole en 1918. Disons qu’il est bien placé pour nous expliquer pourquoi ce genre de nouvelles nous donne l’impression de vivre le prequel de The Walking Dead et aussi, pourquoi les médias choisissent de jouer la carte DANGER.
Pourquoi les gens sont si apeurés par ce nouveau virus ?
C’est la peur de mourir, la peur d’être malade. Cette peur-là est humaine, il y a des structures limbiques dans le cerveau qui datent depuis qu’on est mammifères qui causent la peur. C’est un réflexe fondamental qui permet notre survie.
C’est la fuite ou l’attaque face à la peur. Là, le problème que l’on a c ’est le virus est devant nous, on ne peut pas s’en sauver et on a la réaction humaine de monter notre niveau de cortisone et de stresser.
C’est certain que les médias nourrissent cette machine neurologique qui génère la peur.
Comment a évolué l’attention qu’on porte à ces virus à travers les années ?
En 1918, il n’y avait pas d’avions commerciaux, presque pas de bateaux de passagers, et en six mois le H1N1 a tué entre 50 et 100 millions de personnes. Ça a fait le tour de la planète, de 3 à 6 % de l’humanité est disparue.
En 2009, quand c’est revenu, l’OMS s’était déjà fait reprocher de ne pas être assez proactive. Les épidémiologistes et les spécialistes des maladies infectieuses avertissaient qu’on allait avoir notre prochaine « grippe espagnole ». Ils voulaient donc faire la seule chose qu’ils sont capables de faire, c’est-à-dire de l’hygiène : réduire les contacts avec les personnes et le faire de façon rapide et coordonnée. Il y a donc eu 108 morts en 2009, ce n’est pas grand-chose. Ça n’a pas été l’hécatombe. Dans le top 10 des causes de décès au Québec, on retrouve la grippe et la pneumonie.
Maintenant qu’on a plus de chiffres sur sa prévalence et sa capacité à être mortel, on peut le comparer au SRAS, peut-être même qu’il sera un peu moins fort, mais ça ne causera probablement pas l’hécatombe.
Cela dit, comme journaliste, quand j’étais dans la salle, je capotais. On avait fait un war room dans la salle de Radio-Canada et je trouvais qu’il y avait un acharnement à faire peur. On suivait ça 24 h sur 24 h à RDI. On était dans tous les centres de vaccination. On embarque facilement dans le mot d’ordre de l’OMS. C’est une critique que j’ai après 35 ans de journalisme. Je dois dire que nous avons une propension à l’alarme.
Par contre, si on compare au MERS en 2012, qui a eu un taux de mortalité de 34 %, c’est énorme parce que si le coronavirus actuel avait le même impact, sur 1,3 milliard ça ferait des dommages en Chine. On aurait plus de 400 millions de morts, et c’est quatre fois la grippe espagnole. On ne peut pas blâmer la Chine, d’en parler.
Il faut qu’ils déterminent la prévalence du coronavirus. Ils doivent l’isoler, créer un test de dépistage qui permet à une simple prise de sang de déterminer la présence ou non du virus. Ils ne doivent pas attendre avant d’en parler, juste au cas où c’est tout aussi puissant que le MERS. Ils devaient faire ce qu’ils ont fait.
Maintenant qu’on a plus de chiffres sur sa prévalence et sa capacité à être mortel, on peut le comparer au SRAS, peut-être même qu’il sera un peu moins fort, mais ça ne causera probablement pas l’hécatombe. Le problème est beaucoup plus chinois.
Mais pourquoi on est aussi prompts à en parler chaque jour alors ?
On est journalistes, on peut se le dire, nos patrons veulent vendre des copies, veulent faire de l’argent. C’est une business, on fait peur. Par contre, ils ont raison : il y a beaucoup de Canadiens là-bas, beaucoup de vols qui vont et sortent de la Chine. Le risque qu’on en retrouve dans tous les pays est réel.
Mais notre capacité à nous c’est d’isoler chaque cas et c’est ce qu’on fait. Et on l’a beaucoup appris avec H1N1 en 2009. Aujourd’hui, on est mieux équipés psychologiquement et physiquement pour gérer ça.
En ce moment, on est à cheval entre un double principe : le droit à l’information. Mais est-ce qu’on doit toujours le mettre à la une pendant 60 jours ? Est-ce qu’on peut le baisser un peu plus au bas de la page quand on voit que les autorités sanitaires, nous disent que tout est sous contrôle ici?
Je crois que c’est de la responsabilité du pupitre et des directeurs de l’information de trouver le bon dosage. Il faut continuer à en parler, j’espère qu’on va en parler tous les jours de ce coronavirus, mais il faut qu’on arrête d’en faire la une si c’est un seul cas qui nous frappe.