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Conversation avec Crazy Smooth
URBANIA et le Festival TransAmériques (FTA) s’unissent pour parler création avec l’un des chorégraphes les plus attendus de la prochaine édition du Festival.
A-t-on le droit de vieillir comme danseur? Voilà une question légitime quand le corps sert de toile de fond pour exprimer les grandes questions par le mouvement, surtout au sein de la communauté du street dance, façonnée par les battles entre danseurs et qui semble imperméable à une certaine fragilité.
C’est cette question difficile – mais nécessaire – qui a servi de ligne conductrice à Crazy Smooth pour son projet In My Body, créé en 2022 et qui sera présenté en première montréalaise au Festival TransAmériques.
Le concept est clair : réunir trois générations de danseurs pour lancer une discussion sur les effets du temps sur le corps, cette enveloppe qui sert d’armure et de conduit émotif entre le spectateur et le danseur.
Et Crazy Smooth en sait quelque chose : b-boy reconnu, également chorégraphe et pionnier sur la scène du break depuis des années, l’athlète a vu des changements s’opérer sur son corps. Non sans inquiétudes…
Dans la communauté hip-hop, ce spectacle marque-t-il le premier jalon d’une conversation sur les limites physiques imposées par le temps aux b-boys et aux b-girls?
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Comment traduirais-tu ton rapport au corps?
J’ai 42 ans maintenant, mais mes genoux en ont 75 (rires). Le spectacle permet de voir la beauté, mais surtout la réalité de ce qu’on vit. Ce qui est drôle, quand on prend du recul, c’est de constater que même si on est plus vieux, on souhaite encore danser comme un jeune. On y croit un peu de façon innocente.
Peu importe où l’on se trouve sur l’échelle du temps, si une personne a 50 ans, mais que son esprit en a 25, on réalise à quel point le break, c’est difficile pour le corps. Oui, c’est une réalité universelle de vieillir, mais pour nous, il y a une intensité qui se présente dans la relation directe entre notre corps et notre façon de nous exprimer.
Dans la culture du break, parler de ses problèmes physiques ou de santé mentale, c’est marcher sur un terrain encore fragile, non?
Chez nous, dans la culture du hip-hop, du break en général, t’entends pas « je suis fatigué, je ne suis pas capable de faire ça ». On dit toujours qu’on est forts, invincibles, c’est naturel chez nous. Parler de nos faiblesses, de nos inquiétudes, de nos anxiétés, de notre stress, c’est tabou dans notre culture en général.
C’était important, de voir toutes les générations bouger sur une même scène dans In My Body?
L’important, c’est de présenter les choses comme elles sont. On arrive à faire cohabiter la première génération de street dancers avec les plus jeunes, ceux qui travaillent fort pour aller aux Jeux olympiques.
Sur scène, on voit cinq gars et quatre filles, et chacun.e vit différentes réalités : c’est pas parce que tu es jeune que tu n’es pas vulnérable ou moins blessé que les plus vieux.
Avec les mouvements, les danseurs répondent aux attentes qu’ils ont pour eux-mêmes et à la pression que le public met sur eux.
Sur le plan de la création, qu’est-ce que la pandémie a amené d’inattendu dans votre projet?
La pandémie a eu de bons côtés. Quand on est ensemble physiquement, on s’influence inévitablement dans des exercices de création. Quand on était isolés, je donnais des consignes aux danseurs. La question qui revenait le plus souvent était « qu’est-ce qui te fait le plus peur dans le fait de vieillir? ».
Les exercices de création ont permis d’approfondir le sujet et d’apprendre des expériences qui ont inspiré certains numéros, et je n’aurais pas pu avoir autant de profondeur si nous avions été en studio ensemble.
Dans quoi réside la poésie du spectacle?
Le format multimédia va beaucoup aider à la compréhension du spectacle. Les mots vont dans des endroits où le corps ne peut pas aller. On entend l’impact du corps au sol, on va voir des images. Tout est beau à la surface, mais il y a aussi des conséquences.
Qu’est-ce que tu espères insuffler dans l’imaginaire des spectateurs?
Quand on commence en tant que danseur, on veut impressionner, mais cette phase ne dure pas longtemps. Quand on rattache son identité à ce qu’on est capable de faire, ça pose des problèmes. Ainsi, en Amérique du Nord, par exemple, la vieillesse est plus mal vue, on se sent mal; mais j’espère que les gens vont réaliser que comme dans le street dance, on a tous besoin les uns des autres.
On comprend que s’il n’y a pas de mentor, ça devient n’importe quoi. Mais s’il n’y a pas de jeunes? Y’a pas d’énergie. Ce sont eux qui amènent des possibilités infinies.
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Le FTA aura lieu du 24 mai au 8 juin et présentera aussi bien des spectacles de danse que de théâtre et de performance. Pour voir tout ce que la programmation a à vous offrir, c’est ici.
Le spectacle In My Body de Crazy Smooth sera quant à lui présenté du 2 au 4 juin.