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Consulter à la télé, est-ce que ça marche pour vrai?

Les émissions comme « Si on s'aimait » peuvent-elles vraiment régler nos problèmes?

Par
Constance Cazzaniga
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En bonne fan de téléréalités, j’écoute religieusement Si on s’aimait depuis sa première saison. Une belle qualité de production, quelques échanges salivaires et beaucoup d’émotions fortes, c’est un trio gagnant pour une émission de ce genre, et les trois quarts de million de téléspectateurs et téléspectatrices qui sont au rendez-vous quatre fois par semaine en démontrent tout le succès.

Faut dire que le concept est efficace : des célibataires se retrouvent avec un.e partenaire (qui leur convient rarement), ont une série de séances avec Louise Sigouin – une sexologue qui se décrit comme « experte en accompagnement relationnel » – et, contrairement aux traditionnelles émissions de dating, cherchent plus à évoluer dans leurs rapports interpersonnels qu’à trouver l’amour.

N’empêche que, malgré mon écoute enthousiaste, j’ai quelques réserves : les gens se retrouvent souvent pris dans des relations qu’ils ne veulent pas nécessairement poursuivre, quelques éléments manquent un peu de nuances et, surtout, je me demande si ça peut vraiment être efficace de consulter en relation d’aide devant des caméras (et environ un.e Québécois.e sur 10).

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Sur cette question, j’ai interrogé deux psychologues – l’Ordre professionnel des sexologues du Québec ayant décliné de commenter le travail d’une de leurs membres – qui ne suivent pas l’émission, mais qui m’ont dit avoir tendance à croire que c’est possible, consulter à la télé… à certaines conditions.

«Certains types de consultations peuvent se faire de façon publique si les gens sont à l’aise avec ça, que leur participation est éclairée (…) et qu’on prend soin de bien les suivre.»

« Il y aura toujours des types de consultations qui seront trop fragiles pour que ça puisse être diffusé, pour toutes sortes de raisons, mais il y a certains types de consultations qui peuvent se faire de façon publique si les gens sont à l’aise avec ça, que leur participation est éclairée, qu’ils sont bien consentants et qu’on prend soin de bien les suivre », estime le Dr Gaëtan Roussy, vice-président de l’Association des psychologues du Québec.

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La Dre Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne, conférencière et professeure associée à l’Université du Québec à Montréal, abonde dans le même sens, à condition que ce soit « une émission qui informe, qui respecte le rythme et qui nous permet de nous identifier ». Autrement dit, si on se tient loin du format de Dr Phil, on est sur la bonne voie.

L’impact des réseaux sociaux

Par contre, les deux psychologues y voient quand même un grand risque en raison des réactions sur les réseaux sociaux. La production fait d’ailleurs régulièrement des interventions pour signifier aux internautes l’importance de commenter dans le respect. « Ça vient nous chercher. Il y a certains types de comportements qui peuvent être irritants, on voit des patterns de candidats qui peuvent nous mettre mal à l’aise », résume la Dre Beaulieu-Pelletier pour expliquer un tel engagement du public. « J’ose croire que l’accompagnement va au-delà de ce qui se passe dans l’émission et que ce que ça active comme commentaires sur les réseaux sociaux est discuté avec la personne, parce que juste ça peut être un aspect très confrontant pour les participants », ajoute-t-elle.

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Le Dr Roussy a un discours similaire : « Quand quelqu’un confie quelque chose de personnel, il peut se faire fortement critiquer sur les médias sociaux pour rien, sans aucune raison valable, sans aucune logique, et ça peut l’affecter beaucoup. Je pense que ça vaut la peine d’assurer un suivi assez serré pendant l’émission, mais aussi autour. »

J’ai écrit à Duo Productions, qui est derrière Si on s’aimait, pour savoir dans quelle mesure les candidates et candidats sont accompagnés pendant et après les tournages. Pas de réponse. Je me suis donc tournée vers un participant de la première saison qui s’était fait « ramasser solide » sur les réseaux sociaux, Jean-Philippe Caron, celui qui avait marqué l’imaginaire collectif (et surtout celui d’Hugo Dumas!) avec ses sempiternels foulards.

Jean-Philippe, c’est celui qui avait été matché avec Fanny et qui avait finalement quitté l’aventure après seulement deux semaines, comme l’émission implique un volet de cohabitation et qu’il n’était pas à l’aise de présenter sa partenaire, avec qui ça ne cliquait pas, à ses trois enfants. Son départ ne s’est pas très bien passé, mais ça aura au moins fait cesser les commentaires sur le web à son sujet.

«Je n’allais pas très bien en sortant et j’ai pu revoir Louise par Zoom pour quelques séances.»

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« Il n’y a aucun accompagnement pour personne », assure-t-il, avant d’affirmer avoir lui-même pris le téléphone pour qu’un attaché de presse, apparemment son seul contact après les tournages, aide certain.e.s candidat.e.s qui éprouvaient des difficultés en voyant les réactions du public. Selon lui, au mieux, une séance de quelques heures avec Louise Sigouin aurait été offerte à une participante qui était victime de commentaires désobligeants.

Sur cette question, les témoignages diffèrent, puisque Gabriel Guertin-Pasquier, candidat de la deuxième saison, affirme pour sa part avoir eu accès à de l’accompagnement au terme de l’émission.

« L’équipe est disponible au cas où dans les mois qui suivent. Entre autres, je n’allais pas très bien en sortant et j’ai pu revoir Louise par Zoom pour quelques séances. Si on demande, la production est là pour nous », mentionne-t-il en précisant avoir adoré l’ensemble de son expérience à Si on s’aimait.

En toute confidence… devant les caméras

Au-delà des réseaux sociaux, il y a d’autres facteurs qui peuvent nuire aux consultations diffusées publiquement. Déjà, on peut hésiter à se confier pleinement devant les caméras, et il y en a plusieurs dans le bureau de Louise, sans compter la dizaine de personnes de l’équipe de production. « C’est zéro intime. Ça te donne énormément de pression, commente Jean-Philippe. J’avais conscience de ne pas vouloir blesser l’autre. Si je suis seul avec ma thérapeute, je lui parle et j’applique ses conseils. Mais quand tu le dis à la télé, la personne dont tu parles reçoit ça comme un coup de bat dans la face. »

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La Dre Beaulieu-Pelletier insiste aussi sur ce point : « S’il y a des choses qui sortent dans l’émission et qui sont sur ta vie hors caméras, bien sûr, ça peut laisser des marques. Il y a la réalité qui est là, après. Donc si ce sont des choses qui ont été nommées, encore une fois, je pense que c’est important de pouvoir offrir un certain accompagnement, de voir comment ça pourra être abordé avec les proches qui étaient visés par des interventions. » Le Dr Roussy souligne cependant que des patient.e.s peuvent cacher des choses aussi dans une consultation privée; suffit de penser au nombre de personnes qui disent à leur médecin qu’elles ne boivent pas avec leurs médicaments, même quand ce n’est pas tout à fait vrai.

«Voir comment les gens négocient la relation pour essayer d’en tirer le meilleur parti possible tous les deux, ça peut donner des idées [au public].»

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Le risque de consulter à la télé est donc évident, mais il faut souligner que plusieurs personnes ont trouvé leur compte en participant à Si on s’aimait. On peut penser à Jennifer, qui avait l’air d’avoir eu une véritable épiphanie à la fin de la deuxième saison, ou encore à Gabriel et Sébastien, qui ont tous les deux bénéficié de la reconnaissance du public pour faire avancer leur carrière médiatique respective.

Il faut saluer le courage des participant.e.s qui osent s’ouvrir sur leurs patterns amoureux – et souvent bien plus – à la télé, surtout que ce genre d’émissions pourrait contribuer à défaire des tabous et à aider d’autres personnes qui vivent les mêmes enjeux. « Voir comment les gens négocient la relation pour essayer d’en tirer le meilleur parti possible tous les deux, considérant qu’ils ne sont pas pareils, ça peut donner des idées [au public], parce que des conflits, des tensions, il y en a dans tous les couples », estime le Dr Roussy. « Je trouve ça intéressant, parce que ça permet de nommer certaines choses, de s’intéresser à ce qui se passe psychologiquement parlant dans nos relations et possiblement même d’ouvrir certains questionnements », croit aussi la Dre Beaulieu-Pelletier.

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Pas tout à fait de la thérapie

Quand on pense aux impacts sur le public, il faut être prudent et amener plusieurs nuances, selon les spécialistes que nous avons interrogés. D’abord, quand on regarde Si on s’aimait, on ne fait pas nous-mêmes une thérapie. « Tu peux essayer de mettre en application certaines choses, mais ce qui a été recommandé à une personne en particulier, c’est en fonction de son vécu, en fonction de ce qu’on perçoit du fonctionnement de la personne, explique la Dre Beaulieu-Pelletier. Ça ne veut pas dire que si moi, je commence à faire ça dans mon couple, je vais avoir le même changement. […] C’est un risque de penser que c’est aussi simple. »

Ensuite, il faut comprendre que les consultations qu’on voit ne sont pas des séances de psychothérapie ou de thérapie, Louise Sigouin étant sexologue et non pas psychologue ou psychothérapeute, chose qu’elle explique très bien sur sa page Facebook, mais qui n’est pas soulignée dans l’émission et qui est parfois mal comprise des téléspectateurs et téléspectatrices.

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Et finalement, il ne faut pas confondre l’approche des cinq dualités qui est mise de l’avant dans Si on s’aimait avec une vérité absolue. « C’est ce qui arrive aussi quand un livre de psychologie populaire prend beaucoup de place, commente la Dre Beaulieu-Pelletier. On le voit fréquemment. C’est UNE façon de communiquer, c’est UNE lecture. Souvent, ça nous parle, parce que c’est accessible. Mais est-ce qu’on peut résumer la complexité des relations humaines comme ça? Je pense qu’il faut faire attention. C’est sa façon à elle de travailler, et c’est correct! Mais je pense qu’il y a un risque, parce que dans plein, plein, plein d’autres bureaux, ça ne fonctionnera pas comme ça. »

«L’émission a eu un impact négatif sur mon image, elle avait brossé un portrait de moi qui n’était pas la réalité du tout»

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Jean-Philippe aussi insiste sur l’importance de ces nuances et en a une autre à apporter : ce qu’on voit à l’écran, c’est un montage. « Je peux raconter une histoire de notre rencontre qui était vraiment plate, ou je peux raconter une histoire de notre rencontre qui était vraiment l’fun », explique celui qu’on a vu à l’écran moins de 40 minutes, le résultat d’une soixantaine d’heures de tournage. « L’émission a eu un impact négatif sur mon image, elle avait brossé un portrait de moi qui n’était pas la réalité du tout », dit-il en racontant qu’on lui parle encore de sa fameuse phrase, « elle me fait pas bander », lancée pendant une longue séance épuisante dans le bureau de Louise. Malgré tout, il reste ouvert au concept d’une consultation diffusée à la télé, mais il ne pense pas qu’il faille vivre un chemin de croix en étant en relation avec un.e inconnu.e pour tirer des leçons de vie.

Avec plus d’accompagnement auprès des candidat.e.s et plus d’avertissements pour le public, Si on s’aimait gagnerait quelques points supplémentaires, mais elle peut aussi se permettre de s’en passer. « Une émission comme ça, on ne peut pas se l’interdire totalement, croit le Dr Roussy. Surtout à notre époque où les gens se confient beaucoup sur les réseaux sociaux, disent tout et n’importe quoi sur ces plateformes-là et s’y mettent à nu, à leur propre détriment souvent. J’aime mieux une émission comme ça, où au moins, il y a un cadre et du soutien, que des gens qui s’exposent sur les réseaux sociaux et se rendent très vulnérables. » Et puis, comme le dit la Dre Beaulieu-Pelletier, ce genre d’émission contribue à « rendre la santé psychologique plus démocratisée, plus proche et moins taboue ».

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Mise à jour : La production de l’émission m’a finalement contactée pour m’indiquer qu’un accompagnement est offert aux candidat.e.s de l’émission avant, pendant et après les tournages. Des séances sont offertes avec Louise Sigouin ou d’autres professionnel.le.s en relation d’aide, au besoin. Dès la première saison, la production a également proposé à certain.e.s participant.e.s de visionner les montages de segments plus sensibles de leur aventure avant leur diffusion.