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Confessions d’un ancien revendeur de drogues

URBANIA et Axia Films s'associent pour dévoiler une facette cachée du milieu de la drogue.

Par
Olivier Boisvert-Magnen
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Au-delà du dealer de pot qu’on a tous connu au secondaire, la vocation de vendeur de drogues vient avec son lot de stress et de péripéties. Comment en arrive-t-on à rejoindre les ligues supérieures de ce dangereux secteur? Quels sont les dilemmes moraux qui en découlent? C’est ce dont nous discutons avec Félix de Saint-Jérôme (nom et ville fictifs), ancien vendeur de stupéfiants, repenti depuis une dizaine d’années.

D’abord, qu’est-ce qui t’a mené vers la vente de drogues?

J’avais un de mes chums qui roulait pas mal. Je le suivais comme chauffeur, sans vraiment avoir l’idée d’en vendre moi aussi. Ça me tentait pas. Mais quand je suis revenu de l’Ouest canadien, j’avais besoin d’une job, car je voulais retourner à l’école. Lui, il venait de rencontrer une fille qui était pas trop d’accord avec son choix de job. Il se cherchait quelqu’un à qui déléguer certaines affaires, et je me suis proposé. Dès que j’ai pris ça en charge, j’ai constaté qu’il y avait une longue liste de gens qui le payaient pas. J’étais comme : « Ça marche pas… Tu fais rire de toi. Si ça se sait, t’as pus de leviers pis tu finis par passer pour un pas de couilles! » J’me suis donc occupé de ceux qui payaient pas. Certains devaient des grosses sommes, 10 000 $ parfois. S’ils avaient pas le cash, je m’assurais au moins qu’ils achètent pas ailleurs.

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As-tu dû utiliser la force pour arriver à te faire payer?

Dans les cas extrêmes, c’était pas moi. C’était deux gros gars qu’on surnommait « les pattes d’ours », car ils avaient la main grosse comme ma face (rires). Ils rentraient chez le gars, lui crissaient une volée, pis après, ils se gâtaient en prenant tout ce qu’ils pouvaient : une télévision, une PlayStation… Mais ça, c’était vraiment en dernier recours, quand on savait qu’on pourrait pas se faire payer. Autrement, moi, je me suis choqué souvent et j’ai donné une couple de volées pour faire passer des messages. J’ai fait des tours de char avec des clients qui payaient pas, en les rentrant sur la banquette arrière avec un bat de baseball. J’me souviens qu’une fois, un client endetté m’a laissé un message sans faire exprès sur lequel il disait qu’il voulait me faire les poches. J’ai appelé un de mes chums plus violent que moi, et on l’a rentré dans un char deux portes en lui sacrant un coup de bat dans le sternum…

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Si on met de côté la violence et la collecte, à quoi ressemblait ton mode de vie à ce moment-là?

C’était fou raide. On passait notre journée à faire des runs et, le soir, on sortait pis on gâtait notre équipe. Par soir, on pouvait dépenser 5000 $ ou 6000 $ dans les bars. Nos affaires roulaient bien.

Que vendais-tu exactement?

Pas mal toute, sauf de la cocaïne. Surtout des pilules et du pot et, de temps en temps, des champignons magiques et du hash. On était chanceux, car à ce moment-là, dans notre ville, les Hells étaient partis, et y’a personne qui faisait sa loi. Aujourd’hui, ce serait impossible d’être indépendant de même… À un moment donné, on s’est fait dire que c’était pas notre territoire, mais on était legit. Nos droits pour les pilules qu’on achetait à Montréal étaient payés au crime organisé. Ça nous arrivait parfois de crosser le monde en allant acheter du speed artisanal de fond de cour, mais on l’a pas fait souvent, car ça sentait le pipi de chat (rires). C’tait assez dur à trainer dans les chars.

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Consommais-tu beaucoup de drogues à l’époque? Respectais-tu la règle officieuse stipulant qu’il est interdit de consommer son propre stock?

Pas vraiment. (rires) Je consommais pas mal. Je te dirais que cette règle-là, c’est plus pour la coke. Ça coute tellement cher que si t’en prends, tu finis par manger tes profits. Nous, on achetait nos pilules à 1 $ ou 2,50 $, donc y’avait pas trop de risques.

Est-ce que c’est pour ça que tu refusais de vendre de la cocaïne? Pourtant, c’est un domaine assez lucratif…

La coke, c’est vraiment un truc à part. C’est un approvisionnement complètement différent. Et, on voulait pas aller jouer là. Y’avait déjà des revendeurs dans notre ville, et on avait pas les contacts qu’il fallait.

Autrement, est-ce que tu te mettais des lignes à ne pas franchir avec les clients? As-tu fait face à des dilemmes moraux?

Comme dans n’importe quel commerce, tu finis par avoir des relations de proximité avec certains clients. Par exemple, quand j’en voyais un qui consommait pas mal, j’évitais de lui répondre quand il m’appelait trop rapidement pour avoir d’autre stock. Des fois, j’allais m’asseoir avec certains d’entre eux pour leur parler, leur dire de slaquer un peu. J’essayais d’être consciencieux.

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Et la police là-dedans? Avais-tu peur de te faire prendre?

Y’a une couple de fois que j’ai eu chaud. Un soir à trois heures du matin, on était stationnés dans un cul-de-sac près d’un boisé, et y’a un policier qui nous a demandé nos papiers. Mon chum shakait tellement que le char shakait aussi! Le policier nous a redonné nos papiers rapidement, mais sérieusement, il avait manqué une belle pêche. Sinon, j’me suis fait arrêter dans un barrage pour alcool avec ben du stock, beaucoup de pot, de mush, de hash. Notre chauffeur avait pas bu, mais il avait une ventouse de détecteur de radar dans le char. La police a eu cette excuse-là pour fouiller le char. C’est comme ça que j’ai fini par être arrêté.

Quelles ont été les répercussions de cette arrestation sur ta vie?

Ça a pris cinq ans avant que ça finisse. J’ai dû faire un don de 5000 $ à une maison pour les pauvres pis j’ai payé un avocat 10 000 $ pour avoir l’absolution inconditionnelle. Avant ça, y’a fallu que j’me prenne en main, que je montre au juge que j’avais tout arrêté et que j’avais compris ma leçon. Heureusement, le soutien familial était très, très fort.

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À ce jour, t’as jamais eu envie de retourner à ton ancien mode de vie?

Non. Tu finis par vieillir. Tous tes chums débarquent et prennent d’autres chemins. Peu à peu, ton réseau se démantèle, et d’autres viennent prendre le marché à ta place.

As-tu des remords?

Oui. Quand tu te fais arrêter, ça entraine tellement de déception dans ta famille. C’est quelque chose que tu peux pas cacher… C’est trop gros! Malgré tout, je regrette pas de l’avoir fait. Je suis rentré dans le bon timing avec un gros pouvoir d’achat. Y’avait pas de roi dans le royaume. Aussi, y’a des amitiés qui se bâtissent à travers ça. Moi, j’ai la chance qu’aucun de mes amis proches se soit fait prendre. On a tous bien viré.

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Quand la réalité inspire la fiction, ça donne le film Chien de garde (réalisé par Sophie Dupuis), qui raconte l’histoire de JP, un jeune homme qui tente de garder un certain équilibre entre sa vie familiale, son travail de collecteur et ses fonctions dans le petit cartel de drogue de son oncle Dany, qu’il considère comme un père.

Le film sort en salle le 9 mars prochain.

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