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Comparer l’Allemagne d’Hitler au Canada d’aujourd’hui : risible, mais loin d’être drôle
« Tu fais juste ton travail. Mais la Gestapo, elle aussi, faisait juste son travail », lance un manifestant anti-masque à l’endroit d’un policier anonyme.
C’est en visionnant une diffusion en direct sur la fin de l’occupation au centre-ville d’Ottawa que j’ai entendu ce raisonnement pour le moins effarant. La violence banalisée de la comparaison m’a frappé.
L’usage d’un champ lexical analogue au national-socialisme abonde depuis le début des luttes contre les mesures sanitaires. Déformations trompeuses d’un grave traumatisme historique, on les retrouve aux États-Unis, aux Pays-Bas, ici comme à Paris. Ces expressions sont immédiatement condamnées, mais en dépit des efforts médiatiques mis en place, rien ne semble vraiment freiner leur propagation.
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Un svastika flottant au dessus du canal Rideau en passant par l’image de François Legault en fürher ou les résistant.e.s s’auréolant de l’héroïsme de Sophie Scholl, ces exemples ne sont que d’autres démonstrations du « reductio ad hitlerum », ce vandalisme rhétorique où tout s’amarre à l’Holocauste avec une certaine désinvolture. Selon cette logique, la « persécution vaccinale » serait corollaire aux pages les plus sombres de l’humanité.
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Or, toute analogie entre les deux époques semble dangereusement fallacieuse. À ce sujet, le Musée de l’Holocauste de Montréal a récemment publié un appel à la réflexion sur la nazification croissante du discours réfractaire aux impératifs gouvernementaux.
Le texte, qui encourage au discernement, fustige ce triste spectacle. « Dans un état de droit, la critique politique contribue à la santé démocratique de notre société. Il est toutefois injustifiable et inacceptable pour des raisons purement démagogiques, de trahir l’histoire et de banaliser l’Holocauste au passage. »
Sarah Fogg, responsable des communications du musée, précise d’emblée que le phénomène n’a rien de nouveau. « Notre première déclaration est apparue suite à l’usage de l’étoile jaune lors d’une manifestation pour la réouverture d’un gym à Laval, dit-elle au bout du fil. Malheureusement, on reçoit ce genre de scènes de manière récurrente sur nos médias sociaux et en messages privés. Ça ne s’arrête pas. »
Elle s’indigne d’ailleurs de la dernière frasque d’Elon Musk : le controversé milliardaire a partagé la semaine dernière un mème, aujourd’hui effacé, rapprochant Justin Trudeau et Adolf Hitler. « Ces comparaisons ne sont pas acceptables et démontrent un grand manque de respect, souligne-t-elle, préoccupée. C’est aberrant que quelqu’un avec autant d’influence sur la scène internationale puisse se permettre de partager un tweet comme ça. »
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Auparavant le marqueur officiel de la faiblesse argumentative, même le fameux point Godwin semble dépassé par la multiplication des glissements.
Lorsque les opposant.e.s clament haut et fort l’érosion des droits et libertés individuels en invoquant quelconque parenté à l’horreur de la Shoah, ils diluent l’Histoire et pervertissent la mémoire des victimes, causant l’ire tant des survivant.e.s que du gros bon sens.
Devant de telles circonstances, Sarah Fogg évoque la nécessité de l’éducation. « En s’informant auprès du musée, même en ligne, il est possible de se conscientiser en écoutant de vrais témoignages et de réaliser ce que c’était vraiment, porter l’étoile jaune. » Ce manque de sensibilité rappelle conséquemment l’importance de la mission du Musée de l’Holocauste de Montréal et réaffirme l’importance de son volet pédagogique.
Lors de mon passage dans la capitale nationale, plusieurs participant.e.s au défunt Convoi de la liberté pourfendaient la déshumanisation légale et docile de la population canadienne. « Nuremberg ici, maintenant », pouvait-on lire sur une affiche.
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On peut lire sur le casque de construction : « Führer Lego le peuple vous dit NON ».
Martin Sampson, vice-président du Centre pour Israël et les affaires juives (CIJA), considère inquiétante cette vague pour plusieurs raisons. « D’une part, c’est complètement inexact, irrespectueux pour les survivants et leurs descendances, et puis, ça injecte une grande dose de toxicité dans le discours public », mentionne-t-il.
À Ottawa, les symboles nazi ont été utilisé par deux groupes distincts : une minorité flirtant avec des mouvances d’extrême-droite, et une autre, plus décomplexée, qui brandissait des allégories dans une perspective de victimisation. Selon Martin Sampson, de telles pratiques décrédibilisent d’office leurs positions aux yeux de la population. « C’est absolument inapproprié de comparer une politique exterminatrice à l’obligation du port du masque pour entrer dans un magasin, ou le confinement à l’expérience vécue par Anne Frank, souligne-t-il. C’est tout simplement se divorcer de la vérité. »
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Le vice-président de la CIJA, organisation pancandienne assurant protéger la voix juive institutionnelle et combattre l’antisémitisme, souligne les dangers subséquents à pareille démocratisation. « Cette banalisation n’augure rien de positif, c’est ce que j’appelle l’accélération rampante de la normalité antisémite. Comparer l’Allemagne d’Hitler au Canada d’aujourd’hui est risible, mais loin d’être drôle. »
« Vous réaliserez tôt ou tard que vous étiez du mauvais côté de l’Histoire », était d’ailleurs un slogan populaire à la chute de la chambre d’écho ottavienne.
Devant un tel éclatement des subjectivités discursives, j’estime, comme mes interlocuteurs et interlocutrices, qu’il vaut peut-être mieux faire preuve de déférence envers le poids du passé. À force de trop tourner les facettes du grand cube Rubik narratif, plusieurs aboutissent par ne voir que la couleur unie de leur propre obsession.
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