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Comment YouTube a fait de moi une meilleure personne

La plateforme parfaite pour apprendre à faire pousser un avocat ou à changer la roue d’un vélo.

Par
Matthieu Carlier
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L’enfance est un monde de lubies. Des obsessions qu’on a du mal à s’expliquer une fois passé à l’âge adulte. Moi, par exemple, c’était Nietzsche.

J’ai commencé à lire Ainsi parlait Zarathoustra à dix ans, en pensant que c’était un livre pour enfant. Il y avait un serpent, un aigle, un chameau, tout un bestiaire qui rappelait un peu les aventures de Babar l’éléphant. On ne va pas se mentir, je n’ai pas été au bout, mais une idée a quand même fait son chemin dans mon esprit d’enfant hyperactif : l’übermensch. Cette personne plus forte, plus grande, plus puissante, toujours en quête d’amélioration.

Oui, mais voilà, l’adolescence est passée par là, et l’amélioration personnelle, j’ai un peu laissé ça de côté. Il y avait les filles et la bière bon marché, trop de distractions pour être un homme meilleur. Quel rapport avec YouTube ? J’y viens.

Compenser le manque de moyens par l’imagination

Entretemps, Internet est arrivé. L’idée de l’amélioration personnelle, le WWW l’a portée en lui dès ses balbutiements. Pour qui savait s’en servir, les forums et les blogues étaient de formidables espaces de stimulation intellectuelle. Ils permettaient de se partager les lignes de codes, les textes sulfureux et les créations vaguement artistiques. Il y avait aussi beaucoup de déchets, mais ça avait le mérite d’exister.

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Avec le temps, les espaces de partage sont devenus de plus en plus puissants. Pour la vidéo, on est passé du flash au streaming. Et YouTube est née en 2005. C’est là que je reviens à Nietzsche.

Quand on jette un coup d’œil aux vidéos publiées dans les premiers mois de la plateforme (Me at the zoo), on se dit que ses trois créateurs ne devaient pas avoir la moindre idée du potentiel que portait en lui leur bébé. Puis, sans crier gare, la plateforme a semblé comprendre l’ampleur de son potentiel. C’est devenu beau, propre, de plus en plus professionnel. Les youtubeurs se stimulaient les uns les autres pour rendre un contenu de qualité. On compensait le manque de moyen par l’imagination. Je me souviens par exemple de cet ado qui s’était dédoublé pour chanter avec lui-même sur un air de ukulélé (Duet with myself, de Charlieissocoollike).

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Ensemble, par écrans interposés, on pouvait faire les uns des autres des surhommes, en faisant marcher la concurrence et nos neurones.

Mieux se comprendre

Les premières choses que YouTube m’a apprises, c’est l’humilité et l’évolution par le partage. L’humilité face aux talents de réalisateurs amateurs qui, avec un matériel rudimentaire et un peu de panache, pouvaient rendre des copies de plus en plus proches de la perfection, au point d’en faire un métier (car YouTube, à l’inverse de son concurrent Dailymotion, a commencé à rémunérer ses utilisateurs). Le manque de moyens n’était plus une excuse.

En normalisant le format vidéo, YouTube aura été l’un des premiers réseaux à encourager directement la créativité de l’utilisateur, influençant dans ce sens les Instagram, Vine, Tik Tok, Pinterest et autres Twitch.

Mais au-delà de la vidéo, YouTube a permis de « s’apprendre » des choses. Plus besoin de passer par l’école, plus besoin de se ruiner en cours de guitare, d’électronique, de poterie, de krav maga. Tout était là, à disposition. Encore fallait-il savoir le prendre.

C’est ainsi que j’ai appris à nouer ma cravate, faire pousser un avocat, changer la roue de mon vélo, décocher un uppercut sans me faire saigner moi-même du nez. J’ai même approfondi des concepts, comme le fonctionnement de la terreur. Et, dans un sens, je me suis un peu mieux compris moi-même.

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J’ai pu, il y a trois ans, me faire une idée de la personne que j’étais devenu. Fin 2016, mon MacBook a soudainement refusé de s’allumer. Vous saviez, vous, que les MacBook de 2012 avaient un défaut de fabrication dû au câble qui relie la carte-mère au disque dur ? Saviez-vous que vous pouviez remplacer ce câble avec un tournevis et une pincette ? Maintenant oui. Et si vous l’avez appris ici, moi je l’ai appris sur YouTube.

Le manant et le gentilhomme

Nuançons un peu. YouTube ne règle pas tout, surtout pas pour les premiers concernés, a.k.a les Youtubeurs. Les récents adieux de Laina Morris, épuisée et en larmes, l’ont prouvé. Tout comme ceux de l’ado au ukulélé, qui a tiré sa révérence fin 2017… en rimes.

Et pour être honnête, je pense que l’état de grâce du site est terminé. Entre YouTube et ses utilisateurs, c’est comme un couple qui se connaît trop bien et a fini de se surprendre. Aujourd’hui les diverses facettes de la plateforme se sont divisées en formats différents : la musique vers Spotify, les talk-shows vers le podcast, les jeux vidéo vers Twitch. Mais YouTube aura tracé le chemin. Ou du moins, un chemin.

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Des choses banales dans le fond, des choses qui n’apportent rien aux questions du réchauffement climatique et de la catastrophe des Rohingya, mais qui font de moi un individu un peu plus complet. Une personne qui demande moins l’aide d’un intermédiaire ou d’une corporation. Et ça, c’est important, car comme l’écrit Isabel Allende dans La maison des esprits : « C’est dans les petits détails qu’on reconnaît la différence entre un manant et un gentilhomme ».