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Comment un couple béninois a sauvé une légendaire poutinerie de Rouyn-Noranda

En reprenant le restaurant Chez Morasse, le couple espère contribuer à rendre la région plus diverse, dynamique et attractive.

Par
Billy Eff
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Dans chaque ville du Québec, il y a au moins un (1) restaurant qui affirme avoir LA meilleure poutine de la région. Il y a des endroits où cette promesse s’avère, et d’autres où on se demande vraiment qui leur a fait croire que leur poutine était bonne.

Cependant, quand on arrive en Abitibi-Témiscamingue, il y a un endroit où la poutine est incontestablement la meilleure, et des milliers de festivaliers et festivalières du FME et de supporters des Huskies de Rouyn peuvent vous le confirmer : Chez Morasse, c’est la place!

Après 53 ans d’affaires en famille, le propriétaire Christian Morasse, qui avait lui-même hérité de la pataterie fondée par son père Conrad, a annoncé que la famille souhaitait se retirer du monde de la restauration. Aussitôt, les gens du coin ont paniqué à l’idée de ne plus pouvoir s’y attabler à deux heures du matin pour un repas roboratif bien mérité. Qui pourrait bien reprendre ce restaurant iconique et important pour la région?

C’est alors qu’entre en scène Sylviane Senou et Carlos Sodji, un couple d’origine béninoise qui est tombé en amour avec la ville de Rouyn et ses habitant.e.s.

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Un échange étudiant, une histoire d’amour

L’aventure commence il y a une décennie, quand Carlos débarque à Rouyn-Noranda pour ses études en génie civil. « J’étais d’abord venu au Québec pour un échange étudiant avec le programme Jeunesse Canada-Monde, raconte-t-il. Je suis arrivé à Sherbrooke, puis j’ai déménagé à Rouyn pour faire mes études. Le Morasse a été ma première poutine à Rouyn, et j’ai vite compris qu’elle n’avait rien à voir avec les autres poutines que j’avais mangées auparavant. » Il y décroche un emploi comme livreur, qu’il conservera comme job étudiante jusqu’à l’obtention de son diplôme.

« l’intégration est plus facile, les gens sont beaucoup plus accueillants et attentifs; ils sont vraiment au soin des nouveaux arrivants, ici. »

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Quelques années plus tard, alors que Carlos gère désormais un organisme qui accompagne les entreprises en région dans la recherche de main-d’œuvre étrangère temporaire, il rencontre sa conjointe Sylviane lors de vacances au Bénin, son pays d’origine. Il revient avec elle à Rouyn, et comme ils ont tous deux la fibre entrepreneuriale, ils décident de se chercher un commerce à ouvrir.

L’immigration comme piste de solution à la pénurie de main-d’oeuvre

Carlos Sodji retourne donc voir son ancien patron, M. Morasse, de qui il garde un précieux souvenir. « C’est à travers ça que je me suis mis à fréquenter encore plus la famille Morasse, explique-t-il. J’étais en processus pour l’aider à faire venir six travailleurs étrangers, venus de mon pays, le Bénin. Pendant ce temps-là, quand M. Morasse nous a dit qu’il pensait vendre, on a sauté sur l’occasion. »

D’ailleurs, Sylviane Senou et Carlos Sodji avaient déjà des plans pour diversifier l’offre de restaurants dans la ville de Rouyn avant d’apprendre que Chez Morasse était à vendre. « Avant même d’ouvrir le Morasse, on avait déjà les plans pour ouvrir un restaurant africain, sur la 8e Rue juste derrière le restaurant. On a le local, les plans et tout, mais la reprise du Morasse nous a forcés à délayer. On espère que d’ici deux mois, on pourra ouvrir. »

« Les gens ont peur que ça change, mais on a l’intention de ne rien changer. En fait, on va peut-être simplement ajouter des choses, mais j’aimerais aussi mettre de l’avant toute l’offre du Morasse. »

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Le couple considère aussi que d’employer des travailleurs étrangers, comme avait déjà l’habitude de le faire la famille Morasse, aide grandement les nouveaux arrivants à s’intégrer dans leur ville et leur nouvelle communauté. Historiquement, Rouyn-Noranda a toujours été un melting pot de cultures, où les ouvriers étrangers viennent pour des contrats à durée déterminée dans les secteurs-clés des industries de la région comme les exploitations minières et les scieries. « Je suis un produit pur de l’immigration, donc il n’y a personne de mieux placé que moi pour les accompagner dans leur intégration, estime M. Sodji. J’ai fait tout le processus, j’ai vécu tout ce qu’ils vivent, tout ce à quoi ils pourraient s’attendre, je le sais déjà. Donc je peux les aider et les accompagner là-dedans. »

Cette initiative tombe à point dans cette région particulièrement affectée par la pénurie de main-d’œuvre, qui est d’ailleurs ce que Carlos considère comme son plus grand défi en ce moment. C’est pourquoi il mise sur de jeunes nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes, et des Rouynorandien.ne.s qui auraient quitté la région, pour venir redynamiser l’Abitibi-Témiscamingue, ainsi que les autres régions du Québec.

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« Ici, il y a une pénurie de main-d’œuvre. Mais dans beaucoup de pays, ce n’est pas du tout le cas, c’est en fait le contraire! La plupart des gens cherchent vraiment à travailler, rappelle le jeune propriétaire. Personnellement, je n’ai jamais vraiment aimé les grandes villes. Je dis toujours à mes amis en blaguant que Montréal est saturée, et que le vrai développement va se faire en région, et aussi que l’Abitibi est le poumon économique du Québec. C’est ce qui m’a poussé à m’établir ici, il y a plein d’opportunités. Et l’intégration est plus facile, les gens sont beaucoup plus accueillants et attentifs; ils sont vraiment au soin des nouveaux arrivants, ici. »

Reprendre un fleuron régional

Le manque de personnel a forcé les Senou-Sodji à revoir légèrement l’horaire du restaurant, mais les employé.e.s béninois.es initialement recruté.e.s par Carlos pour M. Morasse devraient finalement arriver dans le prochain mois. « Pas besoin de s’inquiéter, tout devrait être prêt pour le début de la saison des Huskies! », insiste Carlos, dont la poutine préférée est celle aux crevettes thaïes.

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« Les gens ont peur que ça change, mais on a l’intention de ne rien changer. En fait, on va peut-être simplement ajouter des choses, mais j’aimerais aussi mettre de l’avant toute l’offre du Morasse. On ne fait pas que de la poutine, les gens adorent aussi beaucoup notre pizza, nos burgers », ajoute-t-il, évoquant que des plats plus épicés, influencés par le continent africain, pourraient éventuellement se retrouver sur le menu. « Sylviane sera omniprésente en cuisine. Si on a pu faire ça, c’est vraiment grâce à elle et sa vision. » De plus, Christian Morasse continue à être employé au restaurant et accompagne le couple dans la transition.

Quand je demande à Carlos si ça leur fait peur de reprendre une entreprise aussi légendaire que Chez Morasse, qui est profondément enracinée dans le cœur des habitant.e.s de Rouyn et des environs, il me répond que sa femme et lui aiment les défis. « Pour nous, c’était normal, on n’a jamais eu peur de s’engager, dit-il. Ça fait déjà près de trois mois qu’on est propriétaires, et chaque matin, on se lève et on est toujours contents d’aller au travail. On ne regrette pas du tout notre coup. »

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