Confidence : dans mon adolescence, je trouvais que le hip-hop c’était nul à chier. Pendant que tout le monde bumpait Eminem, mes amis et moi étions pris dans les vinyles de nos parents, croyant que la seule VRAIE musique était le rock progressif des années 70. Comme si plus une chanson était longue et complexe, plus elle avait une valeur artistique.
De mon point de vue, le hip-hop représentait l’inverse de ce que j’aimais dans la musique : des loops simplistes, des paroles dégradantes et vulgaires, mais surtout, des chansons répétitives. « Ça sonne toute pareil » que je disais, avant de réécouter pour la millième fois Supper’s Ready de Genesis.
Pendant mon secondaire 5, j’ai tranquillement flanché. Être fan de musique, ça veut aussi dire qu’on doit faire des ponts entre les genres musicaux et surtout s’intéresser à ce qui pogne à ce moment-là. C’était l’année où My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West était sorti et tout le monde en parlait. Moi-même, je dois avouer que c’était la première fois que j’écoutais un album de hip-hop qui me touchait autant, de par sa complexité musicale. Bon, le sample de King Crimson sur Power a également beaucoup aidé à me faire apprécier l’œuvre.
Tranquillement, je réalisais que j’aimais certains artistes hip-hop, mais souvent pour des raisons bien particulières; j’aimais Eminem, mais surtout pour son humour noir. J’aimais Jay-Z, mais parce qu’il avait déjà fait un EP mash-up avec Linkin Park, un des premiers bands que j’ai écouté de ma vie (on ne peut empêcher un jeune cœur d’aimer). Bref, je commençais à me faire à l’idée que c’était possible d’apprécier le rap (moderne), et que cette musique avait une certaine valeur artistique.
L’ouverture
Ceci étant dit, une des branches du hip-hop restait vraiment hermétique pour moi : le gangsta rap. J’avais beaucoup de misère à accrocher à la culture du rap de gangster des années 90. Ayant grandi à Repentigny, une tranquille banlieue où tout ce qui pouvait arriver de dangereux c’était de tomber en vélo sur la piste cyclable, les thèmes abordés par le rappeur de ce courant ne me parlaient pas DU TOUT. Qu’est-ce que je connaissais de la pauvreté, la drogue, la violence, les armes?
Arrivé au cégep, mon cercle d’amis s’est diversifié et je me suis ramassé dans un univers où tout le monde écoutait du hip-hop depuis leur plus jeune âge. Pour eux, leur premier amour musical, c’était ça. Grâce à ces amis, je me suis ouvert tranquillement au golden age du hip-hop. Lors de nos soirées, je prenais en note les noms qu’ils mentionnaient, puis dans mes temps libres, je les écoutais. Parmi ces noms, un des premiers à s’être retrouvé sur ma liste est Notorious B.I.G.
C’est logique, il est tout de même un des rappeurs cultes de sa génération, un véritable martyr du hip-hop. Bref, un héros et un symbole de l’âge d’or du rap.
La claque
Je me souviens très bien un après-midi durant l’été d’avoir mis son album sur mon iPod pour ensuite le brancher dans le système de son de mon père. L’album s’ouvre lentement sur le son d’un battement de cœur et l’accouchement de Biggie, puis on entend l’évolution du rappeur : ses parents qui se crient après alors qu’il écoute du hip-hop dans la maison, un vol de train qui vire mal, un séjour en prison, puis sa libération alors qu’il dit au gardien de prison « You won’t see me here no more, I have big plans n*gga. Big plans. »
Puis arrive l’avalanche. Une série de percussions « Poudoum, poudoudoum, poudoudoum » et BANG, la toune Things Done Changed embarque. Tout de suite, je me sens envahi d’un sentiment que je n’avais jamais ressenti auparavant en écoutant de la musique : le groove. Biggie a ce talent de surfer sur une chanson sans faire le moindre effort. Son flow est un instrument en soi qui me donne le même effet qu’une bonne bass line dans une chanson de Roy Ayers. On ne peut s’empêcher de bouger la tête.
Enfin, je suis conquis par son talent de raconteur. Alors que je peinais à comprendre cette réalité des années 90 où violence, crise de la drogue et racisme se mélangent, Notorious B.I.G. avait réussi à trouver les mots qui arrivaient à me toucher. Je me souviens d’être bouleversé au moment où il déclare :
« Damn, what happened to the summertime cookouts
Every time I turn around, a n*gga getting took out
Shit, my momma got cancer in her breast
Don’t ask me why I’m motherfucking stressed, things done changed »
Je ne pouvais pas comprendre la pauvreté et la violence, mais je peux comprendre le drame de perdre un ami et de voir sa mère tombée malade. Ça oui.
Pour la première fois, les mots d’un « gangsta rapper » résonnaient chez moi. Mieux : ils m’inspiraient. Parce que même si le gangsta rap décrit une réalité qui n’était pas la mienne, je pouvais certainement relate au fait de ne pas se sentir à sa place, aliéné, d’avoir l’impression que le monde entier travaille contre toi. Soudainement, j’avais envie de déjouer les pronostics, de me venger par le succès.
Les chansons se sont enchaînées, me laissant à peine le temps de respirer. Chaque nouvelle track amenait un nouveau groove, une nouvelle pièce au casse-tête de Biggie : le dialogue entre deux amis sur Gimme the Loot, la ligne de bass qui ouvre Warning, le refrain de Ready to Die. Et surtout le back and forth entre Method Man et Big Poppa sur The What qui reste encore à ce jour une de mes chansons de hip-hop favorites.
https://www.youtube.com/watch?v=F_Z_B7UQ5bU
La fin
L’album se clôt finalement sur une des chansons les plus déstabilisantes de l’histoire du hip-hop, Suicidal Thoughts. Elle nous met aux premières loges d’une discussion entre Biggie et un de ses amis, alors que le rappeur lui explique pourquoi il veut se suicider. Les premières lignes de la pièce percent directement le cœur : « When I die, fuck it, I wanna go to hell / ‘Cause I’m a piece of shit, it ain’t hard to fuckin’ tell ».
https://www.youtube.com/watch?v=GygEAcFFMVs
Difficile de ne pas être décrissé en entendant ça pour la première fois. Comme si Biggie nous envoyait un avertissement, comme s’ils nous disaient que ce n’est pas parce que notre situation s’améliore qu’on se sent nécessairement mieux. Soudainement, il retournait contre lui-même la violence des mots qu’il a utilisés tout le long de l’album pour parler de ses ennemis.
La chanson se termine par un bruit de fusil et le combiné qui tombe sur le sol. Puis le même battement de cœur qu’on entendait en début d’album se ralentit pour finalement s’arrêter.
Assis sur le sofa de mon salon, le mien s’arrête également. En une heure, je venais de comprendre une situation que des tonnes de personnes dans le besoin vivaient partout, et que je finirais par vivre moi-même un jour. Comme quoi peu importe ce qu’on fera de notre vie, notre destin restera le même : nous sommes tous nés pour mourir. Alors, profitons-en!