Le long des trottoirs d’Edmonton, « Go Oilers! » est devenu la nouvelle salutation entre étrangers. Depuis la fin avril, la capitale albertaine vibre au fanatisme orange et bleu de la Nation pétrolière. Mais au cœur de cette ferveur, une figure incarne mieux que quiconque l’euphorie d’après-saison : Mama Stanley.
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Impossible de la manquer avec son maquillage argenté, sa perruque métallique et sa coiffe ornée de 3 500 paillettes minutieusement appliquées, cette superfan déguisée en coupe Stanley rayonne parmi la foule du Moss Pit, le point de ralliement filmé devant l’amphithéâtre où des milliers de partisans regardent les rencontres dans une ambiance de fête, faute de pouvoir se procurer les billets aux prix exorbitants.
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« Damn straight », déclare-t-elle avec une conviction inébranlable, « je n’ai pas manqué un seul match depuis le début des séries. » Elle a fait du Moss Pit son royaume. « Toujours la première en avant », proclame-t-elle, un éclat dans les yeux.
Samedi, lors du quatrième match présenté à Edmonton, j’ai suivi la vedette de l’heure pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène qui l’entoure et, qui sait, peut-être même découvrir qui se cache derrière le costume.
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« J’ai acheté toutes les réserves de maquillage chromé de la ville! », raconte d’emblée Mama Stanley, tout sourire en commençant sa métamorphose au coup de midi.
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À 60 ans, Mary Loewen, alias Mama Stanley, est grand-mère de trois petits-enfants. Dans sa maison de St. Albert, en banlieue au sud d’Edmonton, on entre sans jamais oublier de lui donner un baiser. « On retouchera le maquillage s’il le faut », souligne-t-elle à son petit-fils adolescent qui marche mollement. Matriarche résolue, elle est le pilier qui unit ses proches. « Depuis longtemps, tout le monde m’appelle Mama. »
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Mama Stanley est née il y a trois ans lors d’un match où, assise derrière le banc avec sa sœur, Connor McDavid, le prodige des Oilers, intrigué par son accoutrement, lui a lancé un regard complice. Sa réplique pleine d’humour : « You want me? », a été captée par les caméras d’ESPN, marquant ainsi son premier coup d’éclat.
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« J’ai toujours été l’extravertie de ma famille. Je n’ai pas attendu toute ma vie pour ce moment de gloire, mais j’étais faite pour ça », explique humblement l’ancienne conductrice de taxi. Une vocation qui lui sied parfaitement.
Originaire de la communauté Saulteaux Anishinaabe en Saskatchewan, Mama Stanley s’est récemment hissée au rang de célébrité aussi bien locale qu’internationale. La veille, elle a participé à une séance de dédicaces au West Edmonton Mall, juste après une interview avec le New York Times. « Et avec tout ça, je peux pas croire que je suis encore célibataire! », dit-elle en riant.
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Une vingtaine de minutes lui suffisent pour enfiler le costume qui l’a rendue célèbre. Une opération qu’elle termine en enfilant ses mukluks blancs.
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La maison résonne dans le branle-bas des préparatifs. Quelques nuages de parfum et Mama s’offre un dernier coup d’œil devant le miroir. Toute la gang s’apprête à rejoindre un nouveau pub ambulant sur l’avenue Whyte, la célèbre strip d’Edmonton.
Une brasserie locale l’a invitée, toutes dépenses payées, pour promouvoir son nouveau service sur roues. Depuis quelques semaines, les commerces et les entreprises se l’arrachent. « Ce que je cherche, c’est avant tout de rendre les gens heureux, de poser un sourire sur leur visage », confie-t-elle.
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Dès qu’elle sort de chez elle, le voisinage se précipite pour prendre des clichés à ses côtés. Un courtier immobilier l’invite même à promouvoir l’une de ses maisons. Sa célébrité est telle que tout le monde veut un morceau de sa gloire.
« On te voit à la TV plus tard! », lui lance l’homme en costume, le pouce levé.
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À chaque feu rouge, les occupants des autres voitures baissent leur fenêtre pour croquer son portrait. Les passants hurlent, klaxonnent, applaudissent. « Oh my god! C’est Mama Stanley! »
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En roulant, elle sort le pendentif caché sous sa robe scintillante. « Ce sont les cendres de mon fils, Ryan. Il est toujours avec moi », dit-elle. Ryan est décédé en 2013 à l’âge de 28 ans, après avoir lutté contre le pneumocoque qu’il avait contracté à seulement six mois. Avant son décès, Mary a dû relever de nombreux défis, sachant que son fils ne marcherait jamais et ne gagnerait pas non plus en indépendance.
Le parfum qu’elle porte est celui que son fils préférait. « Il ne pouvait pas parler, c’est avec son énergie qu’il communiquait. Tout était positif chez lui. J’essaie d’appliquer les leçons qu’il m’a léguées. »
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Aux abords de la brasserie, les partisans accourent de partout, cellulaire à la main. Le personnel du bar se délecte de capter de telles scènes pour leurs réseaux sociaux. Sujet de nombreux memes, l’aura de Mama Stanley est devenu viral et son TikTok personnel croît chaque jour un peu plus.
« Mama! Mama! », hurlent les rues dans un délire surréel.
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Nous pédalons à l’unisson sur le bar-vélo, ralentissant le trafic du quartier Strachtona, AC/DC dans le tapis. « Parfois, c’est un peu trop », admet-elle, ajoutant avec humour : « Mais je ne dis jamais non à une photo. »
Installée à l’arrière, Mary, telle une figure présidentielle, salue de ses mains gantées les foules qui l’acclament.
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Bien que Shania Twain assure la première partie des festivités, nous nous dirigeons vers le Moss Pitt à la dernière minute, nous stationnant illégalement tout près. Au diable le ticket de stationnement. Mama m’assure qu’être à proximité au dernier moment est la seule manière d’y parvenir avec un centre-ville envahi par les paparazzi.
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Mary estime être prise en photo entre 300 et 500 fois par match. Deux mois après le début des séries, ça fait beaucoup. Familles, chicks, vieillards. Une légende en paillettes qui transcende le sport et les générations.
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Dans la file pour entrer sur le site, les partisans nous offrent spontanément leur place.
Honnêtement, je n’ai jamais côtoyé quelqu’un d’aussi célèbre.
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Nous arrivons enfin à son lieu de prédilection, après nous être arrêtés pour un nombre incalculable de photos dans une ambiance électrique. Mama Stanley distribue des sourires à tous, faisant preuve d’une générosité sans limite, particulièrement à ce moment critique de la série où l’équipe locale est malmenée 3-0. Ce match pourrait bien être leur dernier.
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Rapidement, les Oilers prennent les devants. À chaque but, la folie s’empare du rassemblement. Mama s’époumone, les mains sur la tête.
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Si on la laisse à peine souffler sur sa marchette durant l’action, le bal reprend de plus belle entre les périodes.
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Originaires du nord de la Saskatchewan, Roderick et ses amis n’ont pas hésité à faire huit heures de truck pour assister aux célébrations. Ils se régalent de ramener en souvenir une photo de la diva argentée.
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Au milieu du chaos, elle crie mon nom : « Jean! Jean! Tout va bien? »
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Au bord de l’élimination, les Oilers écrasent les Panthers 8-1. Explosion de bière et tambours de la victoire.
Le Moss Pitt se vide dans une symphonie de klaxons et de hurlements, le sol tapissé de corps morts. Les prédicateurs de Jésus et les buskers de country rock entament leurs numéros devant des milliers d’Edmontoniens au regard hagard.
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Un cercle de fans qui attendent leur moment se forme autour de Mary, certains plus agressifs, sous l’influence de l’alcool, tandis que d’autres, trop timides, se font dépasser. Certains tentent d’embrasser Mama Stanley pour honorer le célèbre « kiss the cup », d’autres lui déclarent leur amour ou même lui demandent sa main.
Alors qu’elle prend un moment pour relaxer dans sa voiture et enregistrer son traditionnel TikTok d’après-match, je traverse le centre-ville en flammes, direction le chic Illusion Lounge, où Mama Stanley est invitée pour hoster un party.
Sur mon chemin, les bars sont remplis à craquer. High five manqués et titubages ponctuent les rues. Des pick-ups brûlent leurs pneus tandis que des drapeaux brandis au bout de bâtons de hockey flottent dans la nuit.
Les Oilers sont encore en vie.
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Du haut de son booth, la boîte de nuit bat son plein. Rap sombre, grosses bouteilles et liste d’invités triée sur le volet. Mais sans surprise, les regards sont encore rivés sur Mama. « Ce sont tous mes enfants », me chuchote-t-elle dans l’oreille, au coup de minuit.
Et comment entrevois-tu le retour à la normalité, une fois que toute cette fureur sera terminée? lui posai-je devant une piste de danse pour le moins horny.
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« Je prendrai le temps de me détendre et de retrouver ma famille! Ils m’ont tellement manqué! J’ai aussi hâte de célébrer l’anniversaire de Ryan, fin juin. »
« J’ai reçu quelques offres pour cet été, mais pour l’instant, je n’accepte plus d’invitations, car j’ai besoin de repos. Je suis vieille et grosse, être constamment debout me tue! Je serai heureuse de retrouver une vie normale, mais quelle aventure incroyable ce fut! », ajoute-t-elle.
Elle m’honore d’un long câlin en guise d’au revoir.
Si le succès des Oilers fait autant vibrer Edmonton, les clés du cœur de la ville appartiennent pour l’instant à Mama Stanley.