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Je fais mon coming-out : je suis une fille jalouse. Si je me fais toujours un sang d’encre, c’est parce que je suis de celles qui s’écrivent des drames dans les veines.
Ça a ordinairement été comme ça, jusqu’au jour où j’ai commis la grande bêtise de tomber amoureuse.
La plus belle gaffe de ma courte vie. Là, je suis devenue littéralement un grand barbouillage de taches et d’éclaboussures, une tragédie grecque sur pattes, une courtepointe de larmes saturées d’angoisse.
Après seulement quelques mois à me partager avec lui, j’avais déjà les paupières en papier sablé à force de chercher partout le détail qui prouverait que j’avais raison de douter que ses “Je t’aime” voulaient vraiment dire qu’il m’aimait. C’était compliqué de se laisser aimer, mais ça l’était encore plus de savoir que j’étais la deuxième à l’avoir fait chavirer.
— Je t’aime.
— Oui, mais c’est impossible que je sois vraiment spéciale pour toi, tu lui as déjà dit ça à elle aussi.
— T’es belle.
— Oui, mais comment je sais que je suis réellement ton genre si tu la trouvais belle aussi, elle est minuscule et moi je suis toute grande !
— Tu t’en fais pour rien, elle est effacée de ma vie, je ne pense plus du tout à elle.
— Ok… Ben si tu l’as oubliée à ce point-là, ça veut dire que tu pourrais faire pareil avec moi.
En fait, je ne me sentais pas menacée. Si elle me dérangeait, ce n’est pas pour ce qu’elle était en tant qu’humain, mais bien parce que je la sentais désirer une place qui était devenue mienne. J’avais envie de lui gueuler “Heille, c’est mon tour maintenant! Tu peux gagner juste une fois et t’as perdu ta chance, alors laisse-moi la confiance tranquille, pis arrête de venir le reconquérir dans mes cauchemars!”
L’affaire c’est que malgré tout ça, je ne suis pas conne. Peut-être un peu difficile à supporter par moments, mais certainement assez intelligente pour comprendre que cette insécurité était irrationnelle. À preuve, j’oubliais que dans tous les cas, à travers ma peur non fondée, mon copain était quand même juste à côté de moi, la face dans mon cou et le cœur carrément cousu au mien.
C’est d’ailleurs grâce à lui que je ne peux même pas dire que je l’haissais foncièrement ou la traiter de salope dégueulasse, comme on s’attend à ce que la jalouse moyenne fasse. Je savais qu’elle devait bien être au moins un peu mieux que correcte comme mon copain l’avait déjà aimée durant son adolescence.
Sauf que moi j’aurais voulu qu’elle soit juste pouiche et rien de plus.
J’étais comme mon texte; j’en revenais toujours à mes incertitudes et à ma frustration d’être arrivée trop tard pour avoir droit à toutes ses grandes premières. J’étais L-O-U-R-D-E. Un jour, mon chum a lui aussi été tanné de toute cette angoisse déraisonnable vis-à-vis son ex, la seule, d’il y a 5 ans avant moi. Mais comme j’ai eu de la chance, plutôt que de se choquer et de m’abandonner au Mexique pendant ma crise qui nous gâchait le paradisiaque, il m’a parlé de Pokémon et ça m’a calmée.
Il m’a expliqué que si l’on met terme à une relation, c’est parce qu’elle ne nous satisfait plus, qu’on ne la veut plus. Qu’après la peine, la seule façon que l’on puisse à nouveau vouloir être en couple, c’est si on trouve un meilleur Pokémon pour nous que celui qui ne nous convenait plus, un qui serait plus évolué.
Sachant que la plupart des Pokémon ont trois évolutions, je n’ai pas trouvé très chouette d’être la deuxième, celle qui pouvait encore être remplacée par mieux. C’est là qu’il m’a répondu que j’étais Mewtwo, un Pokémon qui est la seule évolution d’un petit Pokémon rongeur. C’est ainsi que les Pokémon ont changé ma perspective de l’amour, que Mew a arrêté de me faire peur avec son petit corps de bébé et que j’ai cessé de poser des trappes partout. J’en avais marre moi aussi, ça me scrappait le feng shui ben raide et je n’avais jamais l’œil tranquille.
Je suis une grande fille, je ne crains plus les petites souris.
Je sais pertinemment que je ne serai probablement pas sa Mewtwo toute ma vie et que c’est juste une image en comparaison avec tout le travail que j’ai eu à faire sur moi. (D’autant plus que mon chum était tout fourré dans ses Pokémon. J’ai appris par la suite que Mewtwo et Mew n’avaient aucun lien et que Mewtwo pouvait turbo évoluer plein de fois, mais l’image reste la même dans mon cœur!)
Sauf qu’aujourd’hui, au moins, je n’ai plus à pisser sur mon territoire à coup de photos et de likes pour indiquer qu’il est avec moi. Je ne sors pas avec une borne-fontaine après tout. J’ai accepté que je n’ai pas à être mieux qu’une autre ou à me comparer à des amoureux qui ne le sont plus. J’ai aussi compris qu’un couple, ce n’est pas des promesses de “pour la vie”, qu’on ne sait même pas si on va tenir, mais qu’on se dit pour se rassurer. Désormais, je crois qu’une relation saine, c’est simplement de réaliser le privilège qu’on a d’être pour quelqu’un sa saveur du jour, sa préférée du moment.
Même si j’avais voulu m’éviter d’avoir à vivre ça, je suis contente d’avoir connu cette jalousie maladive, car aujourd’hui, je me sens encore plus amoureuse.
J’ai converti toute l’énergie que je vouais à capoter sur le cas de son ex en espace pour profiter davantage de chaque instant avec mon dresseur de Pokémon préféré.
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Pour lire un autre texte de Rosalie Bonenfant : “Pourquoi on ne m’appellera jamais madame”