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Comment les personnes musulmanes vivent le deuil et composent avec la mort

Cinquième article de la série « Angle mort ».

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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J’ai grandi dans un Québec aux traditions judéo-chrétiennes encore bien portantes. La mort est donc pour moi teintée par des récits de paradis, d’enfer et de Saint-Pierre. Mais qu’en est-il quand on l’aborde sous la perspective d’une autre foi? Le deuil se décline-t-il autrement, lorsque porté par une croyance différente? J’ai l’intention de le découvrir en discutant avec des représentants québécois de plusieurs religions.

Aujourd’hui : la mort selon l’Islam, avec l’Imam montréalais Mahdi Tirkawi (et moi, posant les questions les plus rudimentaires avec insouciance et curiosité)…

En tant qu’Imam, êtes-vous appelé à accompagner des personnes endeuillées?

Le terme Imam indique quelqu’un qui est dans une position de leadership. Il y en a qui sont des leaders au niveau du savoir, il y en a d’autres qui, comme moi, ont la fonction de diriger certaines prières dans le cadre de leur travail.

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Personnellement, ça m’arrive d’être appelé par des gens qui suivent un processus de deuil. Par contre, en Islam, il n’y a pas vraiment de fonctions qui doivent être remplies par une autorité en particulier, dans ce cas. N’importe qui peut jouer ce rôle d’accompagnement, à condition d’avoir l’expérience nécessaire.

Et dites-moi, qu’est-ce qui arrive quand on meurt, selon l’Islam?

Cette question fait partie de la science cachée… On ne peut pas compter sur l’expérience d’une personne pour le savoir, alors on se réfère à ce que les Textes nous indiquent. Dans la tradition musulmane, c’est détaillé en long et en large! Il y a des ouvrages qui se déclinent en plusieurs tomes et qui décrivent ce voyage de l’âme.

Si je devais résumer, je dirais qu’on croit que la mort n’est qu’une transition vers une autre étape. Notre âme a un passé et on est amené ici pour vivre l’épreuve de la vie. On croit que Dieu nous a donné des facultés qu’il faut utiliser à bon escient pour quitter ce monde meilleur que lorsqu’on l’a trouvé. Et donc, la mort nous fait simplement transiter vers la vie d’après.

C’est quoi, la vie d’après?

On croit qu’il y a une étape intermédiaire qui commence dans la tombe. Jusqu’à ce que l’humanité entière ait fait son épreuve de la vie, il y une vie de limbes où ceux qui ont réussi goûtent déjà à la saveur de la réussite. Pour les autres, c’est le début de conséquences qui iront en s’aggravant, puisqu’on croit qu’il y aura ensuite la résurrection.

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Tout le monde sera ramené à la vie : il y aura un rassemblement qui dépasse l’entendement où, du premier au dernier être humain, on sera tous là. Puis viendra le Jugement, où Dieu pèsera le poids de nos bonnes et de nos mauvaises actions. Dieu est impartial et doté d’une miséricorde qui se manifestera alors à un très très grand niveau.

Et quand quelqu’un décède, quels sont les rituels qui entourent son passage vers la prochaine étape?

On donne beaucoup d’attention à ce moment et c’est une responsabilité collective d’entourer les gens qui font cette transition. D’abord, quand on sent que la personne va partir, on s’occupe des dettes qu’elle pourrait avoir envers d’autres. L’idée est de quitter ce bas monde sans courir de risques au jour du Jugement. Il faut donc régler les conflits, les malentendus et entendre les mots que cette personne a à partager.

Puis, dans les derniers instants, les proches vont rassurer la personne en lui rappelant qu’elle se dirige vers un meilleur monde. Ils sont là pour la soutenir de manière positive.

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Ensuite, dans la tradition musulmane, on fait en sorte d’aller de l’avant [NDLR : les familles tentent autant que possible de porter les défunt.e.s en terre dans les 48h suivant leur décès]. On va prendre soin les uns des autres, tandis que la personne décédée sera lavée. Concrètement, il y a des organisations qui s’en chargent, mais la personne peut être lavée par un individu qu’elle aurait choisi de son vivant ou alors par un proche.

Il y a des étapes très précises à suivre dans le lavage, mais en gros, l’idée est de purifier le corps. On va mettre du parfum, l’envelopper dans un tissus blanc, puis la personne sera dirigée vers la Mosquée ou un autre lieu de rassemblement pour la prière mortuaire.

Est-ce que la personne peut être incinérée?

En fait, c’est l’enterrement qui est prescrit.

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Si je ne me trompe pas, dans la religion musulmane, les personnes sont traditionnellement enterrées directement dans le sol. Or au Québec, la loi oblige tout défunt à être enterré dans un cercueil…

Oui, quand une loi impose des restrictions, on fait avec celles-ci. Il n’y a pas de problème à ce niveau-là.

Quelles sont ensuite les étapes que traversent les personnes qui survivent, d’un point de vue spirituel?

Évidemment, chacun vit son deuil à sa manière, mais il faut savoir qu’on respecte tout à fait une personne qui a besoin d’extérioriser ses émotions. Exprimer sa tristesse ne va pas du tout à l’encontre de l’ordre de Dieu, au contraire.

Par ailleurs, lorsqu’on perd quelqu’un, la formule à garder en tête est : « Nous sommes de Dieu et à lui nous retournons ». C’est une étape de la vie, on se le rappelle avec les mots, mais aussi avec le cœur et une pleine conscience. La finalité, c’est d’arriver à accepter ce deuil et désormais faire son maximum pour demeurer fidèle à la personne qui nous a précédé. On peut littéralement lui être profitable, car on croit que son épreuve à elle s’est arrêtée, mais que chacun de ceux qui l’ont aimé peuvent continuer à lui apporter de bonnes actions.

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Il peut s’agir de faire une prière pour elle, d’acheter des livres et de les placer à un endroit pour que toute personne qui les lira trouvera une connaissance qui lui profitera, ou encore de construire un établissement. On veut faire une œuvre qui va perdurer et qui, chaque fois, profitera à la personne aimée.

Est-ce que la mort est épeurante, lorsqu’on est de confession musulmane?

Ce qui fait peur, c’est la crainte de quitter ce bas monde dans de mauvaises circonstances. C’est de ne pas remplir ses responsabilités de manière adéquate et de devoir regretter là où le regret ne servira à rien. Parce que c’est maintenant que l’on subit l’épreuve, après on ne fera qu’en subir les conséquences… Au-delà de ça, la mort n’est pas quelque chose qui fait peur. On trouve même des savants qui vont dire qu’elle est ce pont qui fait passer l’être qui chérit vers l’être aimé. Ça peut être Dieu, bien évidemment, mais aussi les êtres qui nous ont précédés.

On n’encourage nullement une personne à chercher la mort, cela dit! Au contraire, on se souhaite une longue vie avec plein de bonnes actions à faire et on n’a pas le droit de se donner la mort. Ça fait partie des graves erreurs, dans l’Islam. C’est basé sur l’idée qu’on n’a pas à perdre espoir, car Dieu est absolu et infini. Et si cette foi nous tend vers le désespoir, c’est qu’il y a un travail profond à faire.

C’est vrai pour l’aide médicale à mourir aussi?

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C’est une grosse question! Elle a été discutée dans des conseils de savants. Moi, ce que je retiens comme orientation générale, c’est qu’une personne a le droit de refuser un traitement médical. Elle a le droit de dire : viendra ce qui devra arriver.

Je trouve la mort très taboue, au Québec. Je me demande si c’est en partie à cause des enseignements de la religion catholique. L’est-elle aussi dans l’Islam?

Quand on lit le Coran, on ne cesse d’aborder la mort. Et ce n’est pas un appel à vouloir mourir, c’est plutôt pour nous rappeler la réalité de cette vie. La mort, c’est pour nous réveiller avant que l’on soit réveillés malgré nous. On en parle donc ouvertement.

Parlez-vous même ouvertement d’héritage?

En fait, c’est très clair, l’héritage! Une personne peut faire ce qu’elle veut du tiers des biens qu’elle possède. Le reste, c’est clairement définit par Dieu. En Islam, on fait beaucoup d’aller-retour entre la foi et la raison. Il y a des Textes très explicites et d’autres qui laissent une marge à l’interprétation, mais dans le domaine de l’héritage, il y a très peu de place à ça…

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Fascinant! Une dernière question : quand la personne décède, est-ce qu’il y a un rituel social équivalent à « manger des sandwichs pas de croutes dans un sous-sol d’église »?

Il y a ce geste prophétique qui nous dit de nourrir la famille endeuillée et de subvenir à ses besoins, oui. C’est important de la prendre en charge. Elle en a déjà beaucoup sur le cœur, on ne doit pas la laisser se préoccuper d’autres choses… Mais, c’est vrai, pour les sandwichs sans croutes?

Ah, ben oui!

Je ne savais pas que c’était une tradition… [Rires] Intéressant.

Merci, c’était intéressant de vous écouter aussi!