Logo

Comment le visage des villes changera-t-il dans les années à venir?

Assistera-t-on à la revanche de la rue principale?

Par
Pier-Luc Ouellet
Publicité

URBANIA et la Faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval s’unissent pour vous faire imaginer les villes de l’avenir.

Dans les années 1990, le regretté Dédé Fortin chantait ceci :

« Dans ma p’tite ville on était juste quatre mille
Pis la rue principale a s’appelait St-Cyrille
La coop, le gaz bar, la caisse Pop, le croque-mort
Et le magasin général
Quand j’y retourne ça m’fait assez mal
Y’é tombé une bombe su’a rue principale
Depuis qu’y ont construit le centre d’achat. »

Depuis, Internet est débarqué dans nos vies et les centres d’achat meurent à petit feu.

Une ville, comme les humains qui l’habitent, ça change avec le temps qui passe. Nos valeurs et nos besoins se transforment, et la ville change en conséquence.

Comment les villes changeront-elles dans les années à venir, alors qu’on anticipe les conséquences de la crise climatique?

J’en ai discuté avec Christian Savard, diplômé en aménagement du territoire et développement régional et directeur général de Vivre en ville.

Publicité

Un mot d’ordre : sobriété

Pendant mon entretien avec M. Savard, un mot-clé est revenu plusieurs fois dans la discussion : sobriété.

Durant le 20e siècle, on a assumé notre tendance nord-américaine et on a construit des villes toujours plus grandes. Ça ne suffisait pas d’avoir des boutiques, il fallait LE PLUS GROS centre d’achat.

Et quand ça n’a plus suffi, on a construit des power centers, des regroupements de gigantesques magasins-entrepôts disposés autour d’un stationnement océanesque où vont s’échouer les véhicules récréatifs.

Mais, on le sait aujourd’hui, la planète ne peut supporter un tel mode de vie. Un changement s’impose : « Les villes vont fort probablement devoir devenir plus sobres. Elles devront demander moins de ressources, moins de gros investissements en infrastructures, moins d’asphalte, moins de béton. »

«Tranquillement, l’achat en ligne va avoir la peau des grands power centers. Le nombre de pieds carrés commerciaux dont on va avoir besoin ne sera plus aussi grand.»

Publicité

De toute façon, pour Christian Savard, l’arrivée d’Internet a tout changé, et ce changement va s’imposer de lui-même : « Tranquillement, l’achat en ligne va avoir la peau des grands power centers. Le nombre de pieds carrés commerciaux dont on va avoir besoin ne sera plus aussi grand. [Ce] modèle, qui date de la fin du 20e siècle, va disparaître en faveur d’un mélange d’achat en ligne et de services de proximité. »

Ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les magasins vont fermer et que tout le monde va rester chez soi à attendre ses colis. Selon notre expert, ce sont au contraire les commerces de proximité, les centres-villes et les artères principales qui vont venir compléter l’offre en ligne : « D’après moi, il y a une certaine vie de proximité, une certaine vie de communauté qui va reprendre ses lettres de noblesse. Les rues principales de quartiers, de villes et de villages vont reprendre du charme, ce qu’elles avaient beaucoup perdu vers la fin du 20e siècle. »

Pauvre Dédé : il aura manqué la revanche de la rue principale.

Publicité

Les gens risquent aussi d’habiter dans des habitations plus modestes : « Il y a un retour vers des habitations moins grandes. Les gens ont moins le goût d’investir dans des mastodontes. Il en reste, là! Les tendances, ça ne bouge pas en un clin d’œil. Mais il y a vraiment un mouvement vers un peu plus de sobriété. On voit plus de petits logements. C’est 85 % de ce qui se construit à Montréal. »

J’habite présentement un logement dont je peux toucher les extrémités en tendant les bras. Je confirme la tendance.

Se déplacer comme si on était en 1920!

Mais évidemment, le nerf de la guerre, ça va être les transports. Uber, Bixi et autres compagnies à quatre lettres ont déjà commencé à changer les règles du jeu, et ce n’est qu’un début.

Selon Christian Savard, la solution résidera dans un heureux mariage entre les modes de déplacement du temps de nos arrière-grands-parents et ceux d’aujourd’hui : « Ça va être un mélange de la ville du début du 20e siècle et de la ville du 21e siècle complètement connectée. »

«Nos villes au début du 20e siècle étaient basées sur la marche, sur le vélo, sur le tramway, des façons de se déplacer dont on parle beaucoup aujourd’hui.»

Publicité

Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire? Plus de marche, moins de paiements de char : « Nos villes au début du 20e siècle étaient basées sur la marche, sur le vélo, sur le tramway, des façons de se déplacer dont on parle beaucoup aujourd’hui. Mais on va également être complètement connectés par rapport aux aires numériques, ce qui va faire en sorte par exemple que tout ce qui relève du partage (les autos partagées, les vélos partagés, les services de partage de voitures individuelles comme Communauto) va être beaucoup plus accessible. Ça va se traduire par une moins grande place accordée à la voiture individuelle qui n’appartient qu’à une seule personne. »

La fin (finalement) de l’étalement?

On le sait, un des grands ennemis de la lutte aux changements climatiques, c’est l’étalement urbain. Plus on habite loin d’un grand centre, plus on passe de temps dans sa voiture.

Est-ce qu’on va réussir à changer ça?

Publicité

« Je pense que oui. L’étalement urbain a ralenti. Est-ce qu’il a suffisamment ralenti? Je ne pense pas, malheureusement. Avec les changements climatiques, je pense qu’il va falloir sacraliser tout ce qui est milieux naturels et milieux agricoles, les rendre à peu près intouchables. De toute façon, on a tout ce qu’il faut dans le tissu urbain actuel pour densifier. Il y a des endroits à fort potentiel qui sont sous-utilisés, ça doit devenir une obsession pour les villes, pour en venir à un développement urbain qui est moins consommateur de ressources. »

«Avec les changements climatiques, je pense qu’il va falloir sacraliser tout ce qui est milieux naturels et milieux agricoles, les rendre à peu près intouchables. De toute façon, on a tout ce qu’il faut dans le tissu urbain actuel pour densifier.»

Publicité

En même temps, si vous lisez ces lignes assis dans votre bungalow à Boucherville, on n’essaie pas de vous faire sentir coupable. Il y a des raisons tout à fait logiques qui expliquent que les gens s’installent de plus en plus loin : « Une des raisons pour lesquelles l’étalement urbain se produit s’explique par l’expression anglaise “Drive ‘til you can buy”, c’est-à-dire “Conduis jusqu’à ce que tu sois capable d’acheter”. »

Les habitations en ville coûtent trop cher, alors les jeunes familles quittent cette dernière.

Des solutions se profilent : les baby-boomers quittent de plus en plus leurs logis, rendant disponibles des propriétés situées en ville… mais qui ne sont pas toujours abordables.

« Il va falloir s’attaquer à l’abordabilité des logements en ville également si on veut freiner l’étalement urbain. Il y a des limites à ce que les gens sont prêts à endurer pour s’éloigner, et je pense qu’on est en train d’atteindre ce point-là dans la grande région de Montréal. »

Publicité

Bref, la ville de demain sera plus sobre, mais elle sera également plus humaine, plus axée sur la proximité.

C’est un avenir avec lequel je peux vivre.

***********