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Comment le microciblage a (peut-être) influencé votre vote du 21 octobre dernier

Et comment il le fera (sûrement) encore lors des prochaines élections.

Par
Raphaëlle Drouin
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Pour qui avez-vous voté le 21 octobre dernier? Attendez, ne me le dites pas.

Au début de la campagne électorale fédérale, je me suis demandé ce qui influençait notre choix de vote en 2019, à l’ère des bases de données où gisent je ne sais quelles informations sur moi et des publicités Facebook qui me rappellent un peu beaucoup mon dernier sujet de conversation.

Voici le compte rendu bien humble de mes découvertes qui vous aideront, ou pas, à comprendre les résultats du 21 octobre dernier.

Dans le bon vieux temps

Retournons d’abord dans le passé (bip bo bi bo boup).

Voter comme ses parents ou pour le même parti toute sa vie a déjà été cool. Sauf qu’aujourd’hui, les électeurs sont de moins en moins fidèles à un parti et même au système électoral en général.

Les indécis sont une espèce en pleine expansion dans la jungle canadienne et, surtout, ils sont le nouveau nerf de la guerre pour les partis politiques.

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« Il y a 30 ans, il y avait encore des cohortes qui votaient selon une identité partisane qui était ferme d’une élection à l’autre », m’explique d’abord Thierry Giasson directeur du département de Science politique à l’Université Laval.

Désintérêt? Désillusion? Cynisme? Qui sait, ce sera un sujet pour un autre jour.

Le fait est « qu’il n’y a plus un seul parti qui aujourd’hui, à partir de sa base naturelle d’appui, peut remporter une élection, ajoute M. Chiasson. Parce que les électeurs sont de plus en plus mobiles et ont davantage tendance à « magasiner » un parti politique.

Résultat : les indécis sont une espèce en pleine expansion dans la jungle canadienne et, surtout, ils sont le nouveau nerf de la guerre pour les partis politiques.

Campagne 2.0

« Le taux de participation général baisse », précise le chef du bureau politique au magazine L’actualité, Alec Castonguay. « Aujourd’hui, les gens s’attendent à ce qu’on les touche et qu’on leur parle de ce qui les intéresse ».

Message bien reçu de la part des partis politiques. S’ils veulent que les électeurs qui ne sont pas encore branchés se déplacent pour dessiner un petit x à côté du nom de leur parti, ils doivent les interpeller directement.

Direction le WORLD WIDE WEB!

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En 2019, les partis politiques ont donc troqué le lassant porte-à-porte et le salissant souper spaghetti pour le marketing et le microciblage, beaucoup moins cher en temps et en énergie, mais surtout, beaucoup plus efficace et précis.

À moins que vous viviez sous une roche où le 3G ne passe pas, vous avez sûrement vu durant les dernières semaines des publicités de la part d’un ou plusieurs partis fédéraux.

I want YOU to vote for us!

Oui, oui, vous avez été microciblé. Dun dun dun!

Avec les bases de données et le big data, « il n’y a jamais eu autant de manières pour un parti politique d’aller sonder les électeurs pour savoir leurs intérêts et pour moduler leurs promesses et leurs politiques publiques en fonction » indique Alec Castonguay.

Les partis politiques utilisent donc toutes sortent d’informations, révélées plus ou moins sans le savoir par monsieur et madame tout le monde, afin de dire exactement la bonne chose, à la bonne personne, au bon moment.

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« Il y a des promesses de plus en plus individualisées », affirme à ce sujet Mireille Lalancette, professeure en Communication sociale et politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

«Il n’y a jamais eu autant de manières pour un parti politique d’aller sonder les électeurs pour savoir leurs intérêts et pour moduler leurs promesses et leurs politiques publiques en fonction.»

Votre code postal, mais aussi vos habitudes de likes ou encore l’autocollant « bébé à bord » que vous avez placardé sur votre Hyundai Accent permettent aux partis politiques de savoir de quoi ils doivent vous parler et comment vous en parler pour s’assurer d’avoir votre vote.

Dis-moi qui tu es et je te dirais… peut-être

Mais, si les partis politiques sont si à l’écoute de nous, comment ça se fait que le 21 octobre de nombreuses Canadiennes et Canadiens aient voté… par dépit, parce qu’aucune formation politique ne les satisfaisait pleinement?

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Une partie de la réponse est que les partis ne parlent pas à tout le monde.

Si mon oncle de Rawdon qui vire fou lorsqu’il entend les mots « saison » et « chasse » a vu passer des messages de Scheer et ses chums, pas mal certaine que ma voisine végane qui parcours toute l’île de Montréal à vélo pour aller à ses cours de poterie n’a pas reçu les mêmes publicités ciblées.

C’est que les partis n’ont pas besoin de parler à tout le monde afin de remporter une élection. Il suffit de parler aux bonnes personnes.

« S’il y a un petit nombre de personnes qui ne fera pas un grand poids dans la balance, on ne va pas aller les chercher », explique Mireille Lalancette. « On ne va pas dépenser de l’argent et de l’énergie à essayer de les convaincre ».

Pourquoi gaspiller des ressources à jaser avec toute la population d’un océan à l’autre, quand une partie c’est bien en masse?

Chambre d’échos…

« Le microciblage fait en sorte que l’expérience électorale d’un citoyen sur les médias sociaux va être différente de son voisin, de son collègue de travail, de son frère », résume Thierry Giasson.

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Selon le chercheur, ces nouvelles manières d’interpeller les électeurs cultivent des chambres d’échos, c’est-à-dire que les partis balancent des promesses à des électeurs qui, a priori, ont pas mal de chance d’y adhérer.

Un phénomène qui a un prix : à force de créer des microcampagnes pour des micropublics, on délaisse la célèbre agora publique où germent souvent les grands projets de société.

«Le bien commun, l’intérêt supérieur de la nation, on ne sait pas s’il est toujours protégé par toutes ces petites promesses personnalisées et segmentées.»

Certains jeunes de votre entourage vous parleront sûrement de leur déception face à la prédominance des scandales et des insultes dans la dernière campagne au profit d’une vraie discussion sur la lutte contre les changements climatiques.

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« Il y a des gagnants et des perdants dans la stratégie de microciblage des partis » ajoute M. Giasson. « Mais le bien commun, l’intérêt supérieur de la nation, on ne sait pas s’il est toujours protégé par toutes ces petites promesses personnalisées et segmentées ».

… ou caisse de résonance?

Si pour de nombreux experts, les campagnes électorales 2.0 représentent une menace à la démocratie et à la participation citoyenne, Alec Castonguay choisit d’y voir aussi un côté positif.

« Les gens n’ont jamais eu autant d’importance dans la manière de cibler les politiques publiques. (…) On ne s’en rend pas compte, mais individuellement on fait tous partie d’un plus grand tout », affirme l’analyste politique.

Selon lui, les réseaux sociaux donnent un accès plus direct aux électeurs qui peuvent faire davantage pression sur les politiciens, par exemple, pour imposer un enjeu qui leur tient à cœur.

« C’est le fait que tu parles de quelque chose dont des centaines de milliers de personnes parlent aussi qui a une influence. C’est une énorme caisse de résonance que l’on n’avait pas avant », estime M. Castonguay qui souhaiterait toutefois que davantage de jeunes se rendent compte de leur poids.

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Vive le Canada uni!

Comment le microciblage a influencé concrètement les résultats de la dernière campagne électorale? Difficile à dire.

Quand on regarde la carte électorale post -21-octobre, on a l’impression que le Canada est plus divisé qu’une famille dans le temps de Noël.

Les Libéraux ont été élus avec le plus bas pourcentage de votes ever, le Bloc a réussi à renaître de ses cendres tel un phénix, le vert et l’orange sont parsemés ici et là à travers le pays et les conservateurs même s’ils ont eu le plus de votes, ne sont pas pour autant les rois du bal.

Pour Mireille Lalancette, ça ne veut toutefois pas nécessairement dire que le Canada est fondamentalement polarisé.

« Est-ce que le pays est plus divisé que jamais, je ne suis pas certaine », affirme celle qui précise que de plus en plus d’électeurs votent aussi maintenant en fonction des enjeux qui leur tiennent plus à cœur.

Puisque les promesses des partis se modulent de plus en plus de bas en haut, elles tendent à changer d’une élection à l’autre.

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Et puisque les promesses des partis se modulent de plus en plus de bas en haut, elles tendent à changer d’une élection à l’autre. Ce qui fait que si l’un avait l’air plutôt alléchant lors d’une autre élection, il se peut très bien qu’il le soit moins cette fois-ci.

« Peut-être qu’avec la fin de certaines idéologies et la fragmentation des votes, il va y avoir de plus en plus de gouvernements minoritaires », pense à voix haute la professeure. « Peut-être qu’il faut donc développer une culture de collaboration (au sein du Parlement) ».

Ah bien tenez! En voilà une bonne piste de réflexion…