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Comment la musique latine a-t-elle pris d’assaut la planète?

Explication d'un phénomène planétaire.

Par
Estelle Grignon
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Pour être à la mode en 2019, les musiciens ont un mot d’ordre à suivre : « tropical ».

Depuis quelque temps, les influences de musique latine se font sentir un peu partout en Occident, à la fois dans la pop et dans le trap. Le Canada et les États-Unis ont régulièrement été touchés par les styles du Sud depuis les débuts de l’industrie musicale, du tango à la conga. Mais pour la première fois, l’essence latine est canalisée par des artistes de diverses origines.

« On reconnait le groove latino par les drums et par les breaks entre la percussion », m’écrit RealMind. Le producteur montréalais s’y connait en musique latine. Le Dominicain d’origine, qui est derrière certains des plus grands succès de Loud, a commencé sa carrière en faisant du reggaeton.

Il met de l’avant entre autres le rythme typique du reggaeton, où la grosse caisse et la caisse claire (ou le kick et le snare pour les intimes) ont une relation particulière. Au-delà de ça, plusieurs autres styles latins mettent l’accent sur des percussions en tous genres.

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« On peut aussi sentir le côté latin dans une chanson selon la façon dont les instruments sont joués. Guitare, piano et trompette se retrouvent souvent dans la musique d’Amérique latine. » En effet, même si les producteurs travaillent de plus en plus avec des outils électroniques, la musique latine nait encore à ce jour de la chaleur des instruments. Comment un courant si organique peut-il gagner en popularité lorsque le son électronique est partout?

Un peu d’histoire

Il est possible de faire un lien direct entre la popularité de la musique latine et la croissance du nombre d’Américains provenant du Sud. En 1920, ils ne représentaient que 1% de la population du pays. Cette proportion a augmenté de façon constante au fil des décennies pour passer le cap des 10% dans les années 1990. Elle a ensuite doublé en près de vingt ans. Ils sont aujourd’hui près de 60 millions à vivre aux États-Unis. Selon le recensement de 2017, ils étaient 1,4 million au Canada à avoir des origines latines.

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Pendant ce temps, la présence de la musique latine s’est intensifiée. Longtemps, le succès d’une de ces pièces latines était anecdotique. La Bamba est devenue en 1959 la première chanson en espagnol à atteindre le Billboard Hot 100 grâce à Ritchie Valens. À l’été 1987, une nouvelle version de la formation californienne Los Lobos a été la première à atteindre le sommet du même prestigieux palmarès. Je vous souhaite bonne chance pour nommer une autre chanson du groupe.

Dans les années 1980, Conga, une chanson en anglais aux fortes influences caribéennes de Gloria Estefan et sa Miami Sound Machine, trônait au sommet des palmarès canadiens. À l’été 1989, c’était la Lambada, pièce d’origine brésilienne, qui faisait danser la planète. Décédé au début de la décennie, le Jamaïcain Bob Marley a vendu autant, sinon plus, de disques dans les années suivant son départ. Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le roi du reggae ne réussira jamais à loger une chanson dans le top 40 américain ou canadien. Ce sont plutôt ses compilations qui auront du succès.

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En 1996, la Macarena est devenue la chanson de l’année après avoir passé 14 semaines en première place du Billboard américain. Il faudra toutefois attendre deux décennies avant de voir une autre chanson en espagnol se retrouver au sommet. Cela dit, entretemps, de nombreux artistes d’origine latine ont fait leurs armes.

L’explosion latine

En 1999, Ricky Martin (Livin’ La Vida Loca), Enrique Iglesias (Bailamos) et Carlos Santana (Smooth) ont décroché des numéros 1 avec leurs chansons en anglais. Ces succès ont ouvert la porte à d’autres artistes, comme Shakira, Shaggy, et Sean Paul. Au milieu des années 2000, Daddy Yankee a offert Gasolina. Avec un flow-mitraillette et un refrain accrocheur, la pièce a été pour plusieurs, dont RealMind, un premier coup de coeur pour la musique reggaeton.

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Rihanna, originaire de la Barbade, a lancé Music of the Sun, un premier album aux sonorités reggae. Son style de musique a évolué au fil des ans, mais d’autres pièces comme Rude Boy, You Da One et Work ont prouvé qu’on peut sortir la fille des Caraïbes, mais qu’on ne peut pas sortir les Caraïbes de la fille.

Ironiquement, c’est seulement lorsque Trump est devenu président des États-Unis que la musique espagnole est revenue à l’avant-plan. Un an et demi après son entrée à la Maison-Blanche, Despacito a égalé le record pour le plus grand nombre de semaine en première place du Billboard. Le vidéoclip a dépassé les milliards de vues.

Au même moment, Mi Gente est devenu un si grand succès que la reine Beyoncé a décidé de se joindre à J Balvin et Willy William pour faire un remix. Le Colombien J Balvin a ensuite été invité à rejoindre le portoricain Bad Bunny à offrir des couplets en espagnol pour la pièce I Like It de Cardi B. La pièce est centrée autour d’un échantillonnage de I Like It Like That de Pete Rodriguez. Cette dernière est un classique du mouvement boogaloo, qui a pris d’assaut la communauté latino-new-yorkaise dans les années 1960. Si le piano de l’introduction ne vous sonne pas de cloche, avancez la chanson à 0:36 pour reconnaître l’extrait.

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Le Québec se met de la partie

Toutes ces chansons ont été des hits au Québec, mais c’est seulement depuis quelques années que les influences tropicales ont commencé réellement à se faire entendre. Loud n’est pas étranger à cette tendance. Déjà, sur 56k, les producteurs RealMind et RuffSound intégraient de ces sonorités. « J’avais juste les vocals de Loud et ça m’a inspiré, explique RealMind par courriel. Ça me faisait ressentir des tons de musique et le vibe que je fais dans des beat de reggaeton. » Selon lui, la clé du côté latino de la chanson vient du piano ensoleillé qui parcourt la pièce et du « bongo roll » qui précède les premières lignes du nouveau riche.

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Même chose pour Toutes les femmes savent danser, qui ouvre aussi avec un roulement de bongos. « On l’entend dans le style de musique qui est la bachata, un style de musique qui vient de la République dominicaine », élabore celui qui vient de ce pays. Un roulement de timbales avant le premier refrain donne le même effet. Mais évidemment, au-delà des broderies rythmiques, la batterie et la basse sur toute la pièce jouent sur des idées qui mélangent reggaeton et dancehall.

Ce qu’il faut noter, c’est que les influences latines ne se font plus entendre seulement chez les artistes latinos. On retrouve même ce son dans Ne m’appelle pas, la toute nouvelle chanson de Cœur de Pirate. Le single a d’ailleurs été produit par RuffSound. Qui aurait cru que la pianiste finirait par explorer les tropiques après la sortie de Comme des enfants?

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À ce sujet, RealMind me laisse sur ces mots : « Il ne faut pas être nécessairement latino pour faire, disons, un reggaeton. Il faut par contre aimer l’épice latine! »

Un peu d’amour pour Gilles, s’il vous plait

La croissance fulgurante de la population latino-américaines aux États-Unis, l’arrivée de nouveaux producteurs au Québec et, faut-il l’ajouter, la démocratisation de la musique par internet sont tous des facteurs qui expliquent pourquoi les artistes d’ici font maintenant de la musique plus ensoleillée.

Je m’en voudrais toutefois de conclure sans glisser un mot sur le secret le mieux gardé de ma discographie : Gilles Rivard. En véritable visionnaire, le Drummondvillois s’est inspiré au tournant des années 1980 du Brésil et de la bossa-nova. Emporté par un cancer en 1991, sa musique est malheureusement tombée dans l’oubli. Heureusement, au début de 2018, son album En couleurs a été réédité en vinyle et est maintenant disponible sur Spotify. S’il n’a pas su marquer le paysage musical québécois de son vivant, son œuvre est tout d’un coup beaucoup plus d’actualité en 2019.

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