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Depuis l’été 2016, j’ai une nouvelle obsession. Elle ne se terminera pas dans un groupe de soutien à siroter du mauvais café filtre ou dans l’ombre d’une journée de sensibilisation avec des mots-clics et des témoignages larmoyants. Elle ne devrait pas non plus devenir problématique pour ma vie professionnelle ou nuire à l’éducation de ma fille.
Des rouleaux de trente-sous dépensés avec Street Fighter.
Non, j’ai le luxe d’avoir une obsession saine, aussi étrange soit-elle.
J’ai redécouvert, depuis la naissance d’Arcade MTL sur la rue St-Denis, le plaisir d’aller à l’arcade.
C’était, jusque-là, un tendre souvenir d’enfance. Des rouleaux de trente-sous dépensés avec Street Fighter ou Mortal Kombat, par exemple, et quelques machines pinball qui n’attiraient pas mon attention très longtemps.
C’est avec ces souvenirs tendres que j’ai posé mes fesses devant une arcade de Donkey Kong pour la première fois et je suis vite devenu accro. Comme un premier fix, joystick dans une main et singulier bouton pour sauter dans l’autre. Ne manque qu’un bébé qui marche au plafond et j’étais dans une version beaucoup plus hygiénique de Trainspotting.
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Mais pourquoi Donkey Kong et pas un autre jeu? Je me l’expliquais mal au début, mais j’ai vite compris que ce n’était pas un jeu comme les autres.
La musique du jeu, le son de Jumpman (Mario) qui évite les barils, la musique différente lorsqu’on capture le marteau de la délivrance, la répétition des niveaux, la progression de la difficulté et, ultimement, la quête d’un mythique «kill screen» qui se pointe dans le jeu lorsqu’a la programmation même de la machine ne permet plus la progression – comme si un joueur ne devait pas se rendre jusque-là.
À la conquête du mythique «kill screen».
C’est d’ailleurs une des différences notoires entre Donkey Kong et les autres jeux rétro qui suscitent un intérêt des joueurs compétitifs : il y a une fin tangible à Donkey Kong, un niveau maximal, le 22e, ou tout s’arrête même si tu joues la partie de ta vie. On se tourne alors vers le pointage (high score) pour déterminer qui est le meilleur joueur de Donkey Kong.
Pour ma part, je suis très loin d’atteindre mon objectif un peu farfelu d’un jour effleurer le mythique «kill screen». J’atteins, péniblement, le niveau 7. Considérant que le joueur occasionnel sort difficilement du premier niveau, c’est quand même un progrès considérable. Mais je suis devant une montagne qui m’obsède, comme le grimpeur du dimanche en intérieur qui s’imagine planter son drapeau au sommet de l’Everest.
Mon obsession ne se résume pas à l’action de jouer des parties à l’arcade, dans un lieu d’échange social avec des gens. Non, si seulement. J’ai installé un émulateur sur mon ordinateur à la maison pour me pratiquer, progresser dans ma quête d’atteindre le sommet du jeu. J’ai visionné des parties des détenteurs des meilleurs pointages sur YouTube des heures durant. J’ai lu des stratégies sur des forums, les particularités du jeu et les caprices de la programmation. Où sauter pour éviter les obstacles de façon optimale, quel chemin emprunter, comment survivre le plus longtemps possible, etc.
Donkey Kong est un grand exercice d’endurance et de patience!
Mais, contrairement à d’autres jeux qui ont des patterns et des répétitions, Donkey Kong est une succession aussi hasardeuse que familière. Cinq tableaux sont présentés en boucle, mais le comportement des obstacles n’est jamais le même. Les barils n’ont jamais la même fréquence ni la même trajectoire. Les flammes vont dans tous les sens dans certains paramètres que l’on finit par décoder à force de jouer et nous ne sommes jamais à l’abri d’une petite erreur d’inattention fatale.
Donkey Kong est un jeu cruel qui devient vite un exercice d’endurance et de patience. À ce sujet, le documentaire The King of Kong, a Fistful of Quarters, offre une incursion fascinante sur la quête d’un joueur qui, dans son garage avec sa propre arcade, tente d’abattre un record du monde jusque-là inatteignable.
Ce que je trouve étrange avec mon obsession, c’est que je n’ai pas la fibre des jeux vidéo très forte. J’aime ça depuis toujours, mais j’ai surtout été un «jock player» dans ma vie, c’est-à-dire que je vais passer des heures devant chaque édition de Madden Football, mais je vais ignorer les grands jeux populaires comme Grand Theft Auto ou World of Warcraft, par exemple.
J’ai une relation presque fusionnelle avec Donkey Kong.
C’était pareil plus jeune. Pendant que mes amis jouaient à Final Fantasy et Zelda à la Nes et à la Super Nes, je jouais à NHL 94 et à des jeux de lutte plutôt moyens.
Je n’ai donc pas le profil type d’un joueur obsessif qui peaufine sa technique encore et encore sur le même jeu et dans un monde de gens passionnés, je suis un imposteur, un étranger.
Mais avec Donkey Kong, c’est différent, j’ai une relation presque fusionnelle avec le jeu. C’est un défi à ma portée qui interpelle mon côté compétitif et mon désir de m’améliorer. Parce qu’il n’y a pas 56 façons de s’améliorer à Donkey Kong : il faut jouer, jouer un peu plus et jouer jusqu’à ce que la musique envahisse nos rêves.
Quand je suis en train de jouer à Donkey Kong, je ne pense qu’à ça!
Ça semble excessif dit comme ça, mais j’aime cette nouvelle obsession que j’ai. Elle m’offre un objectif concret qui me donne une pause de ma vie, de ma routine, de mes responsabilités et de mes aspirations. Quand je suis en train de jouer à Donkey Kong, je ne pense pas à mes dettes, à mon célibat, à mes envies d’être plus que l’employé que je suis.
Quand je suis en train de jouer à Donkey Kong, je ne pense qu’à ça et ça me fait tellement du bien. Les yeux rivés sur les barils lancés par ce gorille pixélisé, la vie devient soudainement moins lourde et préoccupante.
Je ne serai jamais l’un des grands joueurs de Donkey Kong, mais je pourrais être un bon joueur et ça me comblerait. Ça n’ira jamais sur mon profil Tinder (si j’ose réinstaller cette chose) et ça ne sera jamais une conversation lors d’une rencontre pour me rendre intéressant.
Mais entre moi et mon meilleur ami, on se parle de Donkey Kong et on compare nos pointages et c’est simple, c’est sain, c’est plaisant.
Que voulez-vous de plus?
Pour lire un autre texte de Stéphane Morneau : « Pourquoi je ne suis pas un foodie #NotAFoodie ».
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