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Comment je suis devenu le bouncer de Marjo

Louis-Philippe Gingras joue les gros bras.

Par
Louis-Philippe Gingras
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Cet article a été initialement publié le 5 juin 2018.

Je m’appelle Louis-Philippe Gingras, je suis auteur-compositeur-interprète, et voici comment je suis devenu le garde du corps de Marjo.

Par un mercredi du mois de mai 2018 particulièrement ensoleillé à Rouyn-Noranda, j’étais très emo. Je venais de clore avec succès les spectacles finaux d’un projet de création de chansons avec les enfants de ma petite école, « Jukebox Noranda ». Mes guitares rangées, je suis allé pleurer ma fierté chez mon chum Félix et me faire un sandwich au foie de chevreuil.

La veille, j’avais acheté un billet pour le show de Marjo au très cosy bar de billard le Diable Rond. Marjolaine Morin s’y produisait trois soirs de suite en formule acoustique et, sans vraiment de promo, il restait à peine quelques billets pour le premier soir. Je jugeai que c’était la façon adéquate de commencer mes vacances.

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J’arrive donc tôt le mercredi et je m’accote seul à la colonne de son, Black Label à la main et coupe emo dans le cœur. Le band monte sur le stage, qui doit faire un pied de haut. Je suis aux premières loges. Y a un gars très talentueux à la guitare acoustique, Bob Champoux, et un percussionniste assis sur un terrible cajon (tsé la boîte en bois que maîtrisent uniquement les tam-tameux de slackline du parc Lafontaine). Le band ouvre en lion : Illégal! Marjo traverse la foule et ramasse son micro. Oups, le lion s’étouffe, le micro marche pas, on recommence. Elle n’en est pas à son premier barbecue.

À bientôt soixante-cinq ans, l’auteure-compositrice-interprète (elle a écrit l’entièreté ou presque de ses tounes) est en voix, a une forme physique impressionnante et toute sa tête. Les textes sont là, déposés dans le micro comme des premières fois.

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Le petit hic réglé (les osti de micros sans fil, sérieux), Marjo nous donne un show digne de la plus grande rockeuse de l’Histoire du Québec qu’elle est. Hey! Obstine-moi pas, pour vrai Marjo est sur la grosse coche. À bientôt soixante-cinq ans, l’auteure-compositrice-interprète (elle a écrit l’entièreté ou presque de ses tounes) est en voix, a une forme physique impressionnante et toute sa tête. Les textes sont là, déposés dans le micro comme des premières fois. En plus, à force de l’écouter, le joueur de cajon arrive à me faire apprécier contre toute attente cet instrument du diable, je catch que c’est Luc Catellier, mon vieux chum d’études en musique au cégep de Saint-Lau. Fist bump, yeah! Je. Trippe. Ma. Fucking. Vie.

JUSQU’AU MOMENT OÙ les paparazzis-matantes du téléphone intelligent se mettent à harceler le visage de Marjo. Des gros cells à deux pouces de la face, les vidéos interminables filmés en dansant mal sur « J’lâche pas ». Jusque là ça va, ça gosse, mais tsé it’s 2018. Ça reste tolérable JUSQU’AU MOMENT OÙ une dame qui vit un peu trop dans le moment présent monte sur le stage pour prendre un selfie avec Marjolaine. La star joue le jeu, mais tu vois clairement qu’elle est dérangée, ça lui fait rater le début de son couplet. Et ça suivra ainsi, on assistera plus tard au spectacle d’une autre petite dame qui sautille toute seule au milieu du band pour que sa chum la filme avec son iPad. De l’art performatif!

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À l’entracte, entre deux cigarettes, je parle à un des gars qui organise le show, un petit sanglier nommé Dino, qui me demande comment ça sonne en avant.

– Ça sonne super ben, mais là Dino, ça a pas d’allure les madames qui grimpent sur le stage! Là Marjo joue demain pis après demain, ça va mal virer, faut que t’engages de la sécurité.

– Ouin, ouin, grommelle-t-il les bras croisés sur le comptoir du bar, qu’est-ce tu fais demain?!

Eh voilà! je passais, en deux-trois phrases échangées, de musicien en vacances à bouncer pour Marjo!

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Engagé en échange de quelques bières après les spectacles, je suis donc convié pour le jeudi et le vendredi. Après avoir vainement essayé de me trouver un chandail qui dit « sécurité », je me pointe pas mal d’avance avec un t-shirt noir moulant qui montre mes petits muscles. Un autre gars avait aussi été appelé, un réfrigérateur très gentil portant une chemise Harley Davidson du nom de Mike allait être mon « back-up » si ça virait mal. Mais désolé, cher lecteur avide de sang et de crachas, je n’ai aucune anecdote violente à te raconter, les deux autres shows ont été totalement peace and love. Une madame à ramener sur le plancher avant même qu’elle se rende sur scène, un gars qui tenait sa bière trop proche des moniteurs, un micro à changer avec mes skills de technicien. Juste être là!

Je me pointe pas mal d’avance avec un t-shirt noir moulant qui montre mes petits muscles. Un autre gars avait aussi été appelé, un réfrigérateur très gentil portant une chemise Harley Davidson du nom de Mike allait être mon « back-up » si ça virait mal.

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Y a eu surtout des beaux moments. Le pied droit écrasé sur le stage à regarder autour si tout va bien, tu vois des belles choses. J’ai vu des filles de 26 ans en accolade avec leurs mères, les deux attendant ce moment depuis toujours; j’ai vu un jeune pleurer parce que la chanteuse lui a flatté la joue en chantant doux; des anciens bums, des gros tough, chanter toute par cœur; puis je me suis vu, mes poings ramenés vers le ventre en imitant Mike, retenir mes larmes quand elle chante « Aide-moé / Aide-moé à me retrouver ». Ce serait long. Mais Marjolaine Morin a cette capacité rare de comprendre que ses chansons touchent les gens. Si t’es assez proche, elle ramasse tes yeux dans la petite fente des siens, jusqu’au bleu pétant, jusqu’aux mots doux que t’as besoin d’entendre. Et c’est de la poésie simple, qui vise à faire blaster le cœur de ceux et celles qui sont durs à faire brailler.

Pis y a eu un autre beau moment. Le vendredi, juste avant que Marjo remonte des loges pour prendre sa grosse demi-heure de prises de photos avec ses « amis », j’ai proposé petit cinq-dix minutes d’entrevue-placotage dans le sous-sol du Diable Rond :

LPG : Écris-tu, ces temps-ci?

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Marjo : Là, là? Non. J’aimerais. Ça fait 15 ans qu’y faut que j’écrive des chansons. Y a trop d’affaires qui se sont passées dans ma vie. La perte de mes licences, déménager en ville à Montréal, revenir déménager dans Saint-Sauveur. Trop d’affaires en même temps. Mais j’ai un beau studio, je me suis fait ça. Ça m’attend! J’aimerais ça écrire des chansons! Chu due!

LPG : Une tournée de même, les bars, les fucks de micro. Comment vis-tu ça à soixante-…cinq ans?

Marjo : Soixante-cinq au mois d’août!

LPG : Bonne fête d’avance! Donc comment vis-tu avec ça, les p’tits bars, la proximité, les dangers que ça comporte aussi?

Marjo : Ça va bien. Moi c’est la vie. Ma philosophie, c’est que là où y a du monde, y a de la vie et on peut chanter. On peut rejoindre plein plein plein de monde. Que ça soit sur un gros stage, on s’en va faire les Francos. C’est différent d’un bar, là, ça va être un autre feeling, mais c’est la même chose, on chante, on donne, on s’exprime et on rejoint. C’est surtout ça, on rejoint.

LPG : Merci

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Marjo : Ben, merci beaucoup. Moé, je continue. Jusqu’à temps que je meure!

Vous n’aurez probablement pas la chance d’être son bouncer là-bas, mais Marjo sera aux Francofolies de Montréal, le mercredi 13 juin sur la scène Bell.

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