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Comment j’ai réussi à devenir le meilleur ami du pire chat du monde

Par
Charles Beauchesne
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Pauvre Nestor… Qu’est-ce qu’ils t’ont fait pour que tu deviennes un animal de compagnie aussi poche? Ne me méprenez pas, je l’adore mon petit chat. Je l’aime du même amour que peut éprouver une mère dont l’enfant est enfermé à l’asile parce que “les voix dans la télé lui disent de tuer du monde”. C’est un amour infini et non négociable, mais bâtard, des fois…

Pourtant, quand les gens viennent chez moi pour la première fois, tout le monde craque pour Nestor! Pour un grand total de huit secondes… Mais comment ne pas craquer pour mon petit monsieur noir à motif de tuxedo, les pattes gantées de blanc, la posture noble, comme un petit majordome cinq secondes avant de recevoir une tarte à la crème en pleine figure?

Ensuite, inévitablement tout le monde finit par se rendre compte qu’il détale se cacher cinquante siècles quand on essaie de le toucher, qu’il mange du papier (ce salaud s’acharne spécialement sur mon courrier et je le suspecte de savoir quelles enveloppes contiennent des chèques pour mieux en faire de la neige de confettis), qu’il éventre systématiquement les sacs de litière pour le plaisir, qu’il chie dans mon lit comme une peinture de Jackson Pollock, qu’il passe des nuits entières à courir comme un mongol la queue “puffée” comme une moufette à réaction, qu’il fait tomber les cadres, qu’il hurle comme un fantôme de l’opéra à trois heures du matin, et règle générale, si le déjeuner n’est pas servi à six heures AM je peux m’attendre à l’OSM du bruit de griffes contre un miroir. Vous qui suivez mes aventures jusqu’à maintenant, êtes-vous vraiment surpris que même mon chat soit un cauchemar?

Mais je l’aime mon petit gremlin.

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Je crois que c’est malheureusement parce qu’il me fait penser un peu à moi. Chaque nouvelle journée dans la vie misérable de Nestor en est une de découvertes terrifiantes. Tour à tour, un nouveau monstre s’ajoute à son musée des horreurs, que ce soit l’aspirateur hurle en respirant, la vengeance des fils électriques qu’on mastique, l’évier qui l’asperge d’eau glaciale parce qu’il a décidé d’y dormir et que j’étais encore moi-même trop somnolent pour me rendre compte de sa présence, menant tout droit à la pire séance de brossage de dents de ce côté-ci du Rio Grande… Chaque soleil en est un légèrement plus moisi pour nous deux.

Or, aussi difficile à croire que ça puisse paraître, sa qualité de vie s’est vue bonifiée depuis notre rencontre. Ah! Je me souviens distinctement de ce jour où les dieux du destin de merde ont envoyé ce message dans mon feed Facebook :

Mr. Tux se cherche une famille! Très affectueux (sérieusement fuck you) il adore les contacts humains (pour vrai, allez chier) et sera le compagnon idéal de votre petite famille (si votre famille avait préalablement l’intention de dealer quotidiennement avec le plus gros malade mental qui existe), même si vous avez des enfants (êtes-vous tombés sur la tête viarge?)!

Néanmoins… Un petit monsieur tuxedo! Comment résister?

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Avec ma grosse chatte blanche Mademoiselle Cunningham (oui, oui, tous mes chats ont des noms d’aristocrates, quitte à être leur esclave, aussi bien que notre relation soit claire pour tout le monde…) j’allais pouvoir avoir à la maison l’équivalent chat du petit couple des gâteaux de mariage. Fuck yeah! Si seulement j’avais su… Maudit soit mon trouble obsessif d’agencer esthétiquement les animaux!

C’est donc par un chatoyant après-midi du mois d’octobre que je me rendis, transporteur félin en main, à… Quartier industriel ultra louche de Montréal/borderline Pointe-aux-Trembles, exactement là où ça commence à sentir le cochon qui brûle. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser que l’adresse écrite au crayon sharpie dans le creux de ma main me menait directement à une sinistre église solitaire qui semblait avoir poussé dans le paysage comme si un gigantesque membre du Ku Klux Klan avait jailli des entrailles de la Terre.

“You must be Charles?” Laissa s’échapper mollement une forme assise, tête entre les mains, sur les marches. Mon interlocuteur était nul autre qu’on homme fin-quarantaine qui, me sembla-t-il, dégageait un je ne sais quoi tout à fait… Tueur en série-esque. Je ne sais trop si c’était ses vêtements dignes d’un bac à objets perdus ou sa totale absence de dents d’en haut, mais inutile de vous dire que j’ai légèrement hésité quand il m’a annoncé de le suivre “to my appartement in the basement”.

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— I work for the church you know. The Lord has given me a new purpose in life, and for that I am grateful.

Évidemment… Toute cette atmosphère n’aurait pas été totalement “Normand Bates” si BIEN SÛR ce type n’était pas en plus une espèce de freak religieux.

En tout cas, ce chat était mieux d’en valoir la peine (ah oui, c’est vrai…). Je le suivis donc comme un total imbécile le long d’un escalier en colimaçon en prenant bien soin de garder l’oreille ouverte à un potentiel cri de femme séquestrée, jusqu’à ce que finalement débouchâmes à son humble appartement de gros creep qui habite dans un sous-sol d’église.

— It’s gonna be nice for the other cats to have a little more personal space *rire de redneck*.

— Other cats?

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À peine la porte fut-elle ouverte, que je réalisai avec horreur toute l’implication du terme “other cats”. Je fus soudainement pris d’une forte impression de pénétrer dans un saloon de film western, ne mettant en vedette que des chats. DOUZE CHATS dans un un et demi! À mon souvenir, une bonne partie d’entre eux interrompirent leur partie de cartes alors que celui qui jouait du piano cessa d’une fausse note.

— That’s… That’s a lot of fucking cats…

— *rire de redneck* Yep! Okay, open up the cage while I fetch the lil guy for ya!

Sur ce, Normand Bates procéda à nul autre que se mettre à quatre pattes pour… essayer de séduire le chat j’imagine?

— Lil guy! Lil guy!

— Euh… Êtes-vous certain que vous êtes entièrement qualifié pour…

— Sometimes when you put food on the floor he comes out!

— Seigneur non, ne faites pas…

Ma phrase ne fut pas terminée qu’il déversa un véritable raz-de-marée de croquettes Friskies sur le sol, suivi (évidemment) d’une tornade de douze chats qui s’y précipitèrent comme des gnous sur un Mufasa. Quel imbécile, vivement que je sorte “lil guy” de ce bordel.

— Ah! There he is!

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D’un geste soudain, Ted Bundy extirpa un chat terrifié de sous le lit comme on arrache un diablotin du ventre d’une femme enceinte. Il me tendit alors, par la peau du cou, “puffé” comme un plumeau et toutes griffes dehors mon nouveau démon de compagnie.

— Ok, now keep the cage open!

— Mais enfin, comment voulez-vous qu’on insère cet animal dans quoi que ce soit?

— KEEP THE CAGE OPEN!

— Oui monsieur, juste prenez pas ma peau!

Le processus de convaincre Nestor de pénétrer dans une cage fut prévisiblement un total enfer sur Terre. À peine y fut-il enfoncé de peine et de misère, qu’il défonça la grille d’un coup de pattes antérieures herculéen d’animal terrorisé avant de redisparaître sous le lit.

— You should have closed the cage…

— Mais la cage ÉTAIT fermée! C’est quand même pas ma faute si les animaux ont à ce point peur en ta présence qu’ils développent des super pouvoirs!

— Let me get some more food… Lil guy! Lil guy!

— Miséricorde…

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Un bon vingt minutes fut nécessaire à finalement enfermer Nestor à double tour et me donner l’impression de rentrer à la maison avec mon tout nouveau diable de Tasmanie.

— Now be sure to take good care of this lil guy…

Me dit-il en… pleurant? Je sais que j’aurais sensé être attendri par cette soudaine preuve de sensibilité de la part du tueur du Zodiac, mais pour être honnête je me demande encore si ce n’était pas des larmes de regret à l’idée de ne plus pouvoir se confectionner une perruque avec sa peau. Je déguerpis au plus vite et pris bien soin de jeter quelques coups d’œil au siège arrière de ma voiture avant de démarrer, juste au cas où cet horrible type édenté aurait eu envie d’en jaillir pour une frousse finale.

Pauvre Nestor, j’ai été son Oskar Schindler.

Pauvre Nestor, je ne saurai jamais ce qu’on lui a fait pour qu’il devienne à ce point un chat de merde. Pauvre Nestor, je suis la dernière chose qu’il lui reste… Ce qui n’est jamais une bonne chose pour qui que ce soit. Néanmoins, à tous les soirs, quand il vient prudemment se mettre en boule sur mon lit et se laisse finalement caresser après une longue journée de totale angoisse en “suçant sa queue” comme un nourrisson (oui, oui, fouillez-moi il fait ça…), je sais bien que je suis la seule personne au monde à qui il fera jamais à ce point confiance.

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Tu as beau être le pire chat du monde mon bonhomme, tu as toujours eu ta place dans ma petite famille dysfonctionnelle de célibataire mi-vingtaine angoissé. N’aie crainte, on est deux à trouver le monde complètement terrifiant, et c’est pour ça que je t’aime.

Pauvre Nestor…