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Comment j’ai finalement réussi à avoir une date
Plus tôt cette semaine, alors que j’étais en train de m’adonner à mon habituel voyeurisme limite pervers de la vie privée des gens sur les réseaux sociaux, quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur cette curiosité parmi mon déluge de statuts relatifs à “qui est allé bruncher où”:
“Pas facile de convaincre les garçons d’aller sur une date avec toi quand t’as l’habitude de faire des posts de blog sur les garçons que tu dates . Oups.”
Effectivement, mon amie Catherine fait également partie de notre petite cabale de gens foncièrement déçus des individus que la grande roue du destin arbitraire des dieux des relations interpersonnelles a mis sur notre chemin, ayant choisi de manifester son mécontentement par le biais de ce bon vieux village western d’internet city. Je l’aime bien Catherine. C’est une fille brillante, j’allais dire “trop brillante”, mais honnêtement ça reviendrait à dire que quelqu’un n’a pas suffisamment le cancer du cerveau, allons-y simplement avec la triste affirmation que comme la plupart des filles brillantes, Chatherine fréquente beaucoup de gros ploucs.
Du moins, des ploucs suffisamment angus pour que les articles où elle les incinère à grand coup de féminisme de troisième vague viennent immanquablement pincer une corde sur la mandoline de mon sentiment d’empathie. J’aime les gens qui n’aiment pas, qu’est-ce que vous voulez… Je dois être fétichiste ou quelque chose. C’est à ce moment qu’une idée tout à fait ridicule et potentiellement super malsaine traversa momentanément l’esprit de votre humble narrateur. Je commentai:
“Veux-tu sortir avec moi ? Je vais possiblement faire un article URBANIA là-dessus…”
Pour être honnête, je ne sais trop comment c’est arrivé, ni pourquoi elle s’est également imaginé que ça pouvait être une bonne idée, mais 12 minutes plus tard j’avais officiellement une date. Donc si l’on prend le temps de récapituler, il semblerait que j’en étais arrivé à un stade de ma vie où ma longue succession d’échecs socioaffectifs m’avait tranquillement guidée vers un rendez-vous galant avec une fille qui va se faire un plaisir de prendre le temps d’écrire ni plus ni moins qu’UN ARTICLE relatant à quel point je suis un individu fréquentable ou non.
Pour les quelques fous qui douteraient de la réponse: je suis le pire. Non, ce n’est pas de l’auto-flagellation de ma part, je suis proprement monstrueux dans ce genre de situations. Soyez informés qu’il fut une époque où j’ai volontairement conclu PLUSIEURS rendez-vous de la sorte avec la phrase “Pis? On va-tu fourrer?”. Je suis à ce point mauvais! Je ne sais pas à quoi j’ai pensé, il ne m’était pas arrivé d’aventure de merde depuis quelque temps, ma date de tombée arrivait à grands pas, et parfois il faut simplement savoir déclencher son propre malheur pour pouvoir mieux s’y vautrer devant beaucoup de monde. Mon métier est très étrange…
OK, on dirait bien qu’il va me falloir faire trotter ce cheval jusqu’au fil d’arrivée qu’il soit vivant ou non! Le sort en était jeté ! J’en profitai pour ressortir du grenier mon bon vieux “circuit de la date avec Charles”:
- Souper (préférablement un pub);
- Aller fumer une pipe à eau dans un café de poètes maudits (ça me donne un air bohème et mystérieux);
- Aller prendre un café s’il y a encore motif à conversation, sinon aller prendre une autre bière et prier pour une relation sexuelle.
Ah! Le bon vieux “circuit Charles Beauchesne”! Toujours aussi infaillible dans sa potentielle faillibilité! Le point de rendez-vous fut fixé à 21h30, parmi les attachants personnages du chic métro Berri, sortie Ste-Catherine. J’arrivai à 21h10, elle ne se manifesta physiquement que cinq minutes plus tard.
“S’cuse, je suis en retard, c’est impardonnable pour une première date!” me dit-elle, narquoise.
S’en suivit un bloc de conversation compact sur ses cours de scénarisation à l’université, les vieux étudiants qui se sentent absolument obligés d’essayer de prouver qu’ils en connaissent plus que le prof pour exister, le type avec qui elle fume des topes à la pause qui se prend pour l’antéchrist. Catherine parle beaucoup et à débit aliénant. Je tombe dans la lune mi-conversation. Tout va bien, il semblerait qu’on en soit encore au même sujet qu’il y a cinq minutes, je ne serai pas obligé de lui expliquer que pendant un instant tout ce que je percevais c’est une voix de Alvin and the Chipmunks en sourdine alors que j’essayais de figurer ce que j’allais commander au pub.
En fait, je dois dire que tout ceci est fort agréablement dépaysant, il y a vraiment longtemps que j’avais vécu un moment de la sorte avec une fille sans être obligé d’être le générateur de conversation. C’est fantastique, elle s’occupe de tout ça elle-même, ça crée un bruit de fond apaisant, et je n’ai pratiquement pas à me forcer à inventer des questions pour simuler l’intérêt.
-Ça te dit de partager une entrée de calmars?
-Certainement, par contre j’ai pas super faim, je crois que je vais prendre juste ça.
Bon merde, là je suis pogné pour lui manger dans la face! Je déteste faire ça, j’ai toujours l’impression que les gens aux autres tables s’imaginent que je suis un gros cheap qui voulait pas l’inviter… Au diable, j’ai juste déjeuné et je commence à avoir des reflux gastriques, je compenserai en réglant la totalité de la facture. Haha! Une fois de plus j’ai gagné grâce à… ma capacité à dépenser de l’argent… Oh shit! Ça doit bien faire cinq minutes que j’ai complètement arrêté de l’écouter! Ah non, c’est beau elle est encore en train d’élaborer un point quelconque.
-En tout cas, merci Catherine, ça faisait longtemps que j’avais pas vécu une date sans être obligé de calfeutrer constamment la conversation. Tout ceci est infiniment relaxant.
-Je comprends! Y’a-tu de quoi de pire que d’avoir à vivre ça avec quelqu’un d’introverti à qui il faut tirer constamment les vers du nez. Des fois, je me sens comme une maman qui essaie de mettre de la vie dans un souper.
-Les moldus sont tellement plates… En fait, je pense que c’est le grand drame de nos vies: les seules personnes qui vont éventuellement nous stimuler c’est d’autres artistes, mais à toutes les fois, c’est inévitablement un cas de “choisis ta maladie mentale”. Ça me déprime tellement… Des fois j’aimerais juste pouvoir ne plus jamais avoir à ressentir quelle que émotion que ce soit pour qui que ce soit. Ça serait tellement plus facile.
-Ah Charles, come on! Je peux pas croire que tu puisses avoir un discours aussi cynico cégépien!
-Cynico cégépien? Fuck you! Fille, ça fait cinq ans que je suis célibataire! As-tu une idée à quel point c’est statistiquement un enfer de trouver quelqu’un ?
-En quoi c’est plus un enfer que pour n’importe qui d’autre ?
-Ben premièrement, il faut que je sois attiré physiquement, dans mon cas c’est pas évident, j’ai des standards de beauté dans le tapis!
-Tout le monde en a…
-Oui mais, ensuite il faut que cette personne-là soit stimulante, faut qu’elle me fasse rire, qu’elle aie de la conversation!
-C’est exactement comme ça pour tout le monde qui ne sont pas des imbéciles Charles!
-Oui, mais en plus il faut que cette personne-là me trouve attirant, c’est un cauchemar de probabilités.
-Le même que pour tout le monde. À quel point tu peux être puéril dans ton raisonnement pour préférer te “couper de ressentir l’amour” par peur d’avoir mal? Tes pas plus misérable que n’importe qui. Oui, les probabilités sont intimidantes, mais t’as tout autant de chances que tout le monde de vivre des choses intensément positives et ça peut arriver d’une seconde à l’autre.
Ce que j’aime bien chez elle, c’est qu’elle n’a certainement pas peur de me remettre en question. Aussi étrange que ça puisse paraître, je suis trop négatif dans la vie pour aimer avoir raison, et me faire dire mes quatre vérités par une fille de 23 ans, je dois dire qu’il y a quelque chose de bizarrement sexy dans tout ça. Je dois être fétichiste ou quelque chose… C’est possiblement aussi que les filles véritablement brillantes ne se sont que trop peu souvent manifestées sur mon chemin. Anyway, tout ceci est hautement stimulant.
J’en viens à l’étrange réalisation que mon cas n’a rien d’unique. Les gens qui m’attirent sont eux aussi, à leur façon, seuls et tourmentés. Catherine ne fait pas exception à cette règle. Dans l’immédiat c’est excessivement rassurant à savoir. Serait-il possible que tout ce temps, toutes ces aventures de merde ne soient pas dues à un coup du destin, mais bien simplement au fait que c’est le lot de tout le monde dans la vie et que notre attitude face à ces situations en détermine la résolution? Est-ce que je suis seul parce que je dégage involontairement un total manque d’intérêt pour les humains que je côtoie? Serait-il possible que les malheurs du quotidien ne soient des malheurs que parce qu’on décide inconsciemment de les voir ainsi? Merde, une première date ne devrait pas être aussi introspective !
-J’ai rien d’intelligent à dire.
-T’es un excellent clown triste Charles Beauchesne.
-Est-ce qu’on va fumer du pot et écouter des épisodes de Friends?
-Fuck oui …
Et pour ceux qui se poseraient des questions, non il ne s’est rien passé, et oui, elle a écrit un article là-dessus…