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Comment j’ai échoué à être un bon Capitaine America

en évoquant à des enfants la possibilité d’entités malveillantes

Par
Charles Beauchesne
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Je crois qu’il est possible de cerner avec précision le moment où j’ai réalisé que j’allais avoir besoin d’un emploi à temps partiel au jour où, à mon grand désespoir, je me suis aperçu manger du chili con carne froid à même la conserve, nu torse sous une robe de chambre pas attachée, dans la réflexion d’un écran de télévision éteint. “Seigneur… Ça y est, je l’ai fait, je suis officiellement devenu une caricature de problèmes financiers. Prochaine étape, je conduis une voiture qui part une fois sur deux avec le tuyau d’échappement qui traine et je renifle, tête dans le frigo, des vieux cartons de mets chinois périmés avant de les manger anyway parce que: «Ça doit être encore bon.».”

Depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir, j’ai toujours eu certains problèmes à me trouver des entrées d’argent convenables. Mes diplômes n’inspirent aucune confiance; un certificat en création littéraire non complété, une mineure en études cinématographiques non complétée, le tout couronné d’un diplôme de l’École Nationale de l’Humour qui me vaut, plus souvent qu’autrement, de la part de potentiels employeurs: «Hahahahhahahahaha, on va «sérieusement considérer votre candidature».» Je porte les mêmes haillons depuis dix ans, dû à une peur irrationnelle des magasins grande surface, parce que je suis persuadé que leurs mannequins sont en fait d’anciens clients égarés, que le magasin a décidé de fossiliser dans le plastique pour les ajouter à sa collection. Physiquement j’ai l’air d’un vautour avec des sourcils. Ajoutez à tout ceci le fait que je suis socialement une catastrophe; le genre de personne à parler aux femmes enceintes de leur «période de gestation» et du «patrimoine génétique fort de leur portée», et vous obtiendrez la recette du parfait ermite mésadapté, inapte à gagner sa vie à autre chose qu’homme-sandwich ou illustrateur de dépliants préventifs pour les maladies vénériennes dans un centre de réhabilitation pour les jeunes de la rue (mes hommages si par un incalculable hasard vous faites partie de mon lectorat).

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Or, alors que j’étais en train de contempler sérieusement la possibilité de devenir prostitué mâle pour clients privilégiant la quantité sur la qualité, le sens de l’humour du destin frappa une fois de plus à ma porte sous la forme d’une conversation téléphonique qui ne devrait jamais exister:

– Yo! Beauchesne? C’est Asmodeus! (Donnez-moi un break, je suis pas nécessairement le roi quand arrive le temps de préserver l’identité des gens avec des noms fictifs qui se peuvent.) Comment tu vas?
– Pour les besoins de la cause je vais répondre «bien», j’imagine…
– Hahaha! Maudit que tu me fais rire!
– Je saigne de l’intérieur, mais enchaînons…
– Toi, t’as déjà fait de l’animation pour les enfants right?
– Oui, ça a été une catastrophe qui fait que je me réveille encore en sursaut la nuit, mais oui.
– Qu’est-ce que tu dirais d’aller faire Capitaine America dans une fête d’enfants?
– Par “faire”, tu entends “jouer Capitaine America” ou littéralement leur construire une réplique de super héros grandeur nature avec les moyens du bord? Je t’avertis, les sculptures en ballon c’est pas tout à fait le principal attrait de mon CV…
– Hahahah! Maudit que je t’aime! Considère-toi booké pour le 27, ça commence à midi!
– Euh non, ça peut pas être autre chose qu’une mauvaise idée…
– *timbre téléphonique indiquant que la personne a raccroché*
– Misère… Et en plus, cet imbécile ne m’a donné aucune adresse…

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C’est donc bien malgré moi, et principalement motivé par une visite surprise de mon proprio histoire de montrer mon appartement à un jeune couple horrifié parce qu’il avait oublié que j’habitais encore là, que je me présentasse à une cossue demeure banlieusarde sous la forme du super héros favori de toute la famille: Capitaine America de 130 livres avec une barbe de dépression, qui fume des cigarettes en soupirant.

Pour être honnête, la banlieue m’a toujours terrifié. J’en ai toujours eu la vision cauchemardesque d’un vaste champ de maisons clonées, remplies de clones de familles idéales qui reconduisent les enfants à la pratique de soccer en fourgonnette, avec des mamans à robes fleuries qui servent du punch et des papas qui fument une pipe en lisant leur journal l’air mécontent parce que les impôts ont encore augmentés. Un cauchemar familial des années 50 qui gisait de l’autre côté du pont comme un constant rappel de ce qui arrive inévitablement quand on décide de fonder une famille.

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Effectivement, vous allez me dire que je ne sors pas beaucoup de chez moi pour avoir une vision aussi grotesquement erronée du monde extérieur… mais que voulez-vous, les gens me font peur et j’écoute beaucoup de dessins animés.

Bref, alors que je me dirigeais vers l’entrée en me disant que les agences d’organisation événementielle devraient sérieusement penser à demander plus de CV avec photos, la large porte blanche à poignée dorée et ornementation quétaine représentant un vol de canards (qui à mon avis semblaient fuir toutes ailes dehors le cauchemar d’anniversaire qui m’attendait à l’intérieur) s’ouvrit comme le portail d’un manoir hanté, ou tout bonnement celui des enfers, c’est selon le degré de dramaturgie que vous préférez amener à l’histoire. Après un prompt “Ah! Vous devez être «le comédien», vous allez devoir faire l’affaire…” de la part d’une maitresse de maison aux allures austères de matrone d’orphelinat dans Oliver Twist, je fus introduit en quatrième vitesse à ce qui allait devenir ma version du purgatoire pour des siècles à venir…

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Piscine hors terre peuplée de créatures gonflables aux yeux figés dans une synthétique expression de bonheur, tapis de pelouse impeccable de parcours de golf inondé de verres en cartons écrasés, assiettes de pizza froide abandonnées au bon plaisir du peuple des fourmis, piñata dinosaure au regard vide implorant qu’un enfant la libère de la sinistre plaisanterie de son existence à grand coup de bâton de T-ball, gâteau d’anniversaire défiguré pataugeant dans la marre de sang d’un verre de jus de canneberges renversé, et des centaines, des centaines d’enfants (en fait, ils étaient genre dix, mais je suis sur une belle envolée) hurlants comme des bébés ptérodactyles auxquels j’allais être nourris sans même la clémence d’avoir été préalablement mastiqué puis régurgité par la mère qui observait la scène avec moi d’un air suggérant un certain : “Bonne chance mon pauvre coco…” J’étais en enfer.

“CAPITAINE AMERICAAAAAAAA!”

Trop tard pour fuir, j’étais repéré. Toute la horde de ces sales petits bâtards se mobilisa avec une coordination inouïe (en terme d’enfants de sept ans) avant de charger comme un bataillon de Vikings ou un troupeau de très petits rhinocéros (je suis interactif comme ça aujourd’hui).

– Wow! êtes-vous le vrai Capitaine America?
– Euh… Oui, oui clairement! Pour l’Amérique… Et plus loin encore?
– WOW!

Détail intéressant, il semblerait que la totalité du groupe était, pour une raison inexplicable, persuadée que je n’étais nul autre que le véritable Capitaine America, et ce, malgré mon absence totale de… lui ressembler. À cet instant précis, un de ces (infâmes) éclairs de génie signés Charles Beauchesne me traversa l’esprit. Je me remémorai cette scène du Retour du Jedi ou C3-PO, se faisant passer pour un dieu, réussit à tirer profit de nature superstitieuse d’une tribu de Ewoks pour en devenir le chef. Après tout, les enfants ne sont-ils pas un peu comme de petits Ewoks albinos? J’allais peut-être pouvoir retourner cette situation à mon avantage…

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– Capitane America? Êtes-vous l’homme le plus fort du monde?
– Hahaha mais bien sûr! Et c’est pourquoi je suis revenu parmi vous pour être votre roi, et vous… guider vers la terre promise! [Je suis pas vraiment calé en mythologie de super héros.] – Capitaine, c’est quoi la terre promise?
– L’AMÉRIQUE! J’imagine…
– WOW!
– Capitaine, êtes-vous plus fort que Dieu?
– Tout dépend en quel dieu tu crois, mon bonhomme!

Et voilà… À ce moment précis s’amorçait le sommet d’une longue pente descendante qu’un individu avec légèrement plus de diplomatie et de psychologie infantile aurait aisément pu éviter… Mais ça serait très mal me connaître.

– Capitaine, ma mère dit qu’il y a juste un dieu.
– Hahaha! Mais non, le cosmos est peuplé d’entités divines comme Rā et le panthéon olympien qui manipulent les peuples de l’univers tel un titanesque jeu d’échec de pions inconscients des forces qui les contrôlent!

J’aurais vraiment dû arrêter là, mais je me suis un peu laissé emballer par le personnage que je venais de créer.

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– D’ailleurs, certaines de ses entités sont tellement antédiluviennes qu’elles ne sont même pas connues des humains: les Grands Anciens…
– Capitaine, c’est quoi les Grands Anciens?
– Une race de créatures cosmiques au delà des limites de l’imaginaire, mon petit bonhomme. Des êtres divins comme Yog Sothoth, Cthulhu, Aiueb Gnshal, sans oublier Dagon et Azathoth! Elles voyagent à travers les réalités, incompréhensibles, indescriptibles. Dans le meilleur des cas, à leurs yeux nous ne sommes que des bactéries, dans le pire, du bétail…

J’aurais tellement dû arrêter là…

– Mais vous capitaine, vous pouvez nous défendre???
– Hahaha, j’ai bien peur que même Capitaine America ne puisse rien contre de pareilles abominations. Elles sont partout, entendent tout, contrôlent tout, je suis peut-être leur esclave sans le savoir! Et le plus terrifiant dans tout ça, c’est que même si je rassemblais les Avengers pour les combattre, leur seule existence dans notre réalité serait à ce point au delas des limites de notre compréhension, que nous deviendrions tous instantanément fous en leur présence. Même la mort ne pourrait pas nous sauver, car nos consciences seraient instantanément absorbées et condamnées à errer dans la terreur du vide glacial de l’espace pour l’éternité!
– MAMAN! Est-ce que je suis contrôlé par les Anciens?

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Fier de mes talents de compteur pour enfants, j’en profitai à ce moment pour me retourner vers maman histoire de lui confirmer que tout était sous contrôle, et être, par le fait même, confronté à un regard de parent en colère subtilement hybridé à un rictus de profonde incompréhension.

Deux minutes plus tard, j’étais dans l’habitacle de ma voiture à passer un coup de téléphone à mon employeur.

– Déjà fini? Me semblais que t’étais sensé être là jusqu’à 13h?
– Bof, disons que j’ai été victime d’une bonne vieille mésentente sur le folklore convenable aux moins de dix ans. D’ailleurs, dans un tout autre ordre d’idées, si j’étais toi, j’entamerais tout de suite les démarches pour changer de nom…