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Comment faire un documentaire à Prague, en 143 étapes faciles

Ou comment un bon pourboire peut changer une vie.

Par
Alexandre Pépin
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Ce n’est un secret pour personne, les voyages aux visées pédagogiques sont de plus en plus populaires auprès des jeunes. S’ajoute donc aux classiques programmes d’échange, une pelletée d’options permettant aux étudiants milléniaux de faire d’une pierre deux coups en parcourant la planète tout en complétant leur formation générale.

Après avoir voyagé pendant deux étés consécutifs pour des motifs totalement différents (été 2017 = deux semaines en Europe de type «scolaire» / été 2018 = deux mois en Asie de type «faire le party et tomber en moto pour se ressourcer), j’étais fin prêt à unir ces expériences.

C’est comme ça que je me suis retrouvé tout l’été à Prague dans le cadre de l’école d’été de l’UQAM, une opportunité en or pour l’étudiant en journalisme que je suis qui voulait garnir son portfolio et acquérir de l’expérience complémentaire.

Inutile de vous dire que le vrai défi de ce « voyage académique » n’était pas le premier mois passé à être assis beaucoup trop confortablement dans la salle mythique du Kino Ponrepo.

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L’école d’été de l’UQAM à Prague permet depuis trois ans à une trentaine d’étudiants en communication de plonger dans la culture du cinéma tchèque. Pendant huit semaines, les étudiants sélectionnés suivent tout d’abord un cours théorique sur le cinéma tchèque et doivent ensuite, en équipe de six, présenter un documentaire et une fiction qu’ils auront entièrement produits lors de leur séjour.

Inutile de vous dire que le vrai défi de ce « voyage académique » n’était pas le premier mois passé à être assis beaucoup trop confortablement dans la salle mythique du Kino Ponrepo (salle de cinéma et d’archives nationales où de grands noms tels que Beethoven se sont déjà produits) à visionner les classiques du cinéma tchèque.

À ce moment précis, je m’employais principalement à ne pas avoir l’air trop inculte en me décrottant les yeux, pendant que les étudiants en cinéma s’obstinaient à savoir si le « chef-d’œuvre » qu’on venait de visionner était soit sublime, soit divin.

De séance en séance, mon léger complexe d’infériorité a fini par se dissoudre, cédant sa place au stress de la production. Avec une équipe d’étudiants beaucoup plus expérimentés que moi, j’ai vite compris que pour la fiction, j’allais devoir me contenter du rôle de chearleader et de préposé au rouleau d’tape. Deux jobines à ne pas sous-estimer, particulièrement quand une production se passe à vitesse grand V, mais surtout deux jobines qui me permettaient par la bande de concentrer tout mon temps au documentaire.

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À mon grand plaisir, je devais donc coréaliser, avec mon coloc et grand ami, un premier documentaire sans aucune restriction sauf celle de prouver à Denis, le directeur du programme de cinéma de l’UQAM qu’il avait bien fait d’accepter dans son école d’été un étudiant en journalisme qui n’a pas encore vu Kill Bill.

Nous étions, depuis l’atterrissage, en mode «Sherlock et Watson». Il fallait détecter le meilleur sujet et ce, le plus rapidement possible.

« Ouin le monde parle pas beaucoup dans les tramways, on pourrait faire un documentaire sur le silence! »

« Hey les chiens sont pas en laisse ici, on pourrait faire un documentaire sur la liberté canine ! »

« Hey la pizza est pas chère ici, as-tu faim ? »

Bien assis à la Pizzeria Ristorante Roma Uno pour la première fois, nous en étions au premier d’une interminable suite de « brainstorms » tout en mangeant notre première d’une interminable suite de pizzas à la crème quand arriva le classique moment-supplice de tout citoyens du monde (!): celui où il faut décoder les habitudes en matière de pourboire à l’étranger. Pressés et paniqués, on décide d’arrondir notre facture à 500 couronnes tchèques laissant 120 couronnes (environ 7 dollars) à la serveuse.

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C’est vraiment quand elle a tassé les chaises pour nous faire un câlin qu’on a compris que laisser du pourboire était fort optionnel dans le quartier.

Ces 120 couronnes, on les aurait surement bien utilisées vers la fin du voyage. Disons que des productions étrangères coûtent pas mal plus cher qu’un livre pour le cours Histoire des communications. Mais ces 120 couronnes, on leur doit notre première inspiration pour le documentaire.

Une fois la serveuse partie propager la bonne nouvelle en cuisine, nos voisins de terrasse n’ont pas mis de temps à nous questionner sur le montant que venait de remporter l’heureuse élue et sur les motifs de notre voyage. Par un heureux hasard, l’un était professeur de cinéma et l’autre, une ancienne journaliste. Pratique quand on est à la recherche d’un sujet pour un documentaire.

Suivre la discussion fascinante qui s’en est suivi tout en notant leurs dizaines d’idées ou de pistes sur mon téléphone s’est révélé de loin le plus gros défi Tap’Touche de ma jeune carrière.

Une piste s’est rapidement démarquée des autres.

En Europe de l’Est, un phénomène curieux s’opère : pendant que les communautés gitanes peinent à s’épanouir dans de grandes villes comme Prague, on n’hésite pas à célébrer les grands noms de la musique gitane.

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En Europe de l’Est, un phénomène curieux s’opère : pendant que les communautés gitanes peinent à s’épanouir dans de grandes villes comme Prague, on n’hésite pas à célébrer les grands noms de la musique gitane. Pourquoi? Et surtout, comment la musique peut-elle devenir un outil de survie culturelle et d’intégration sociale? Nous allions documenter tout ça.

La première rencontre avec notre directeur, Denis, s’est très bien déroulée. Le sujet lui semble intéressant (et il ne se doute toujours pas que je n’ai jamais vue Kill Bill). La productrice exécutive et le conseiller à la scénarisation en ont tout de même profité pour nous prévenir que bien couvrir ce sujet relevait fort probablement de l’utopie.

Il ne fallait pas couvrir un phénomène, il fallait simplement suivre un sujet qui nous parlerait concrètement de son expérience. Mais plus les semaines passaient moins nous avions de chances de trouver la perle.

Entre-temps, nous cumulions les rencontres, de propriétaire de salle de spectacle à musicologue en passant par des employés de musée, sans trouver d’intervenants à filmer. Les protagonistes potentiels, contactés via des intermédiaires, étaient pour la plupart pas très réceptifs ou indisponibles.

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Un petit vent de panique s’installait. On actualisait nos boîtes de courriels plus souvent qu’on allait prendre une bière, et sachez qu’à Prague, les pivo sont très abordables.

Puis, entre frustration et désespoir, on a recommencé à contacter des groupes (dont certains qu’on dénichait dans des playlists Spotify tchèques), un par un, sans passer par les gérants, en douce.

Deus ex machina

Miracle. En moins de cinq minutes, j’ai reçu une première réponse que j’ai lue avec yeux d’une serveuse pragoise qui reçoit 120 couronnes de pourboire. En moins de deux, nous avions un groupe prêt à participer et une personne pour coordonner le tournage qui, bonus, parle anglais.

Ce sauveur, prénommé Tomáš est probablement l’homme le plus humble et efficace du monde. En deux heures il nous avait préparé une fin de semaine de rêve avec les membres de Terne Čhave et leur famille, chez le chanteur principal, en banlieue éloignée de Prague.

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Nous sommes finalement arrivés chez Gejza Bendig, le charismatique leader du band après deux heures de route asphyxiantes passées dans le modeste bolide verdâtre de Tomáš. BBQ, feu extérieur, jam-session privée, goulasch traditionnel avec la famille, leur hospitalité quasi complexante m’a presque fait oublier mon intoxication alimentaire de la veille.

On était tellement emballés, qu’on a enregistré près de cinq heures de métrage. Denis nous a réprimandés : la consigne était de maximum 120 minutes. Le karma nous a, encore une fois rattrapé, en salle de montage cette fois-ci.

On était tellement emballé, qu’on a enregistré près de cinq heures de métrage. Denis nous a réprimandés : la consigne était de maximum 120 minutes.

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Les deux semaines de postproduction à saveur d’état d’urgence, confinés à l’Université Charles avec les autres étudiants ont suffi pour permettre aux équipes de remettre des projets qui nous remplissent de fierté. Ce qui est, selon mes observations estivales, un rare phénomène chez les étudiants en cinéma.

La projection européenne s’est déroulée le vendredi 2 août dernier au Kino Pilotů de Prague au grand plaisir de Denis qui semble déjà motivé par la future quatrième édition de son école d’été.

Et bon, on ne pouvait pas vous présenter le résultat de notre aventure ici, mais pour les curieux, toutes les fictions et tous les documentaires seront projetés au cinéma Beaubien le lundi 30 septembre 2019 avant d’être disponibles en ligne sur la page Viméo de la chaire René-Malo.