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Comment et pourquoi j’ai pris de la MDMA, pour la première fois, à 50 ans

Par
Anonyme
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Pis? Ta fin de semaine?

Euh, ben, correct là… En fait, j’ai fait de la MDMA pour la première fois…

Chez URBANIA, on reçoit souvent des courriels nous proposant des témoignages et récits d’aventures diverses. Certains attirent notre attention plus que d’autres, dont celui-ci. Un peu comme si notre oncle, notre père (pour les plus jeunes d’entre nous) ou notre boss débarquait en nous avouant, sur le bout des lèvres, qu’il a fait de la MD pour la première fois et qu’il avait un peu envie de nous raconter ça. C’est sûr qu’on serait curieux d’en savoir plus. Alors on l’a lu et on s’est dit que vous auriez envie de le lire aussi. Les noms ont été changés.

D’aussi loin que je me souvienne, les drogues de synthèse m’ont toujours donné la chienne. En sixième année, un policier est venu à l’école de mon village pour nous mettre en garde contre les dangers de la drogue. Je me souviens qu’il parlait du PCP de comme de la « Pire Cochonnerie Possible », en insistant bien sur les conséquences néfastes d’une seule première dose. Dès ce moment se cristallisa en moi une réelle phobie de ces substances, qui semblaient à la fois si séduisantes et si nocives pour les humains. Ce qui m’effrayait le plus, c’était la perte de contrôle — sur le corps et l’esprit — qu’elles induisaient.

À l’université, ma meilleure amie consommait de l’acide assez régulièrement. Quand elle était là-dessus, elle partait dans un autre monde et ça me faisait peur de la voir ainsi.

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J’ai navigué dans l’existence pendant un bon bout de temps avant d’être confronté à l’objet de ma phobie. À l’université, ma meilleure amie consommait de l’acide assez régulièrement. Quand elle était là-dessus, elle partait dans un autre monde et ça me faisait peur de la voir ainsi. Je me mettais à trembler, à avoir froid, à être mal dans ma peau, sans pourquoi me raisonner.

Fast-forward quinze ans. Pendant une mauvaise passe — AVC de ma mère, perte d’emploi soudaine et relation amoureuse difficile —, je me suis mis à faire de l’anxiété. Je vous épargne les détails, mais disons que je suis maintenant un homme dont le mode par défaut est : anxieux. Beaucoup de trucs, souvent anodins, deviennent pour moi des déclencheurs et dans ce domaine, les vieilles phobies sont d’une redoutable efficacité.

Ainsi, lorsque A., ma blonde depuis trois ans et la mère de mes jumelles, m’a dit cet été qu’elle aimerait passer un week-end dans un festival de musique avec des amis pour faire de la MDMA, j’en ai eu le souffle coupé. J’ai tâché de ne rien laisser paraître de mon trouble parce que je ne voulais pas qu’elle s’empêche de triper avec ses amis à cause de moi (c’est son genre) — surtout qu’à cette période, elle avait bien besoin d’un break, seule.

Mais dans le fond de mon être, esti que ça allait pas ben. Je me suis mis à imaginer plein de scénarios anxiogènes, de l’overdose en pleine nature à des kilomètres de l’hôpital le plus proche (le site du gouvernement du Québec sur les drogues est clair : la MDMA est fabriquée clandestinement, impossible de savoir ce qu’il y a dedans avant de la consommer) en passant par le pelotage et le doigtage sur la piste de danse, entourée de beaux jeunes danseurs suintants, jusqu’à l’orgasme (là aussi les Internets sont clairs : parmi les effets de la MDMA, on retrouve une augmentation de la sensualité et du besoin d’intimité, ainsi qu’une levée des inhibitions). Je le sais, c’est imbécile de penser ainsi, j’ai dû me le répéter trois milliards de fois, mais c’est le genre de choses que nous, anxieux, avons de la difficulté à contrôler. J’en ai même fait des cauchemars.

Je me suis mis à imaginer plein de scénarios anxiogènes, de l’overdose en pleine nature à des kilomètres de l’hôpital le plus proche.

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À son retour à la maison, elle a bien vu que ça n’allait pas. On s’est assis et je lui ai expliqué que le fait qu’elle prenne cette drogue de synthèse avait triggué mon anxiété. Elle m’a écouté, sans me juger je crois, puis m’a exposé les raisons pour lesquelles elle aimait la « MD » : ça la sort complètement de sa vie, la musique lancinante des DJ prend toute la place en elle, et ça lui fait un bien fou. Elle m’a aussi rassuré en me disant qu’elle n’avait pas une envie irrépressible de baiser là-dessus. Puis elle m’a serré fort dans ses bras en me disant qu’elle m’aimait et que je n’avais pas du tout à m’inquiéter si un jour elle décidait d’en refaire.

Facile à dire, ça.

***

Dans les jours qui ont suivi, j’en suis venu à une conclusion : si je voulais moins m’inquiéter la prochaine fois qu’elle partirait dans un festival, si je voulais comprendre pourquoi des gens aimaient en faire, de la MD, il fallait que je l’essaie à mon tour. C’était une idée qui m’angoissait (terriblement!), mais c’était à mon avis la seule chose à faire pour me calmer les nerfs pour de bon. Suffisait juste de trouver la bonne occasion.

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Après s’être assurée que je le faisais d’abord pour moi, A. a proposé d’en prendre avec T. et E., un couple d’amis à elle que je connaissais assez bien. Ils étaient partant et en plus, leur maison est à l’orée d’une forêt, un environnement parfait pour avoir un bon trip (il paraît). Le long week-end de la fête du Travail s’avérait le moment idéal : on arrive le vendredi, j’ai 24 h pour m’acclimater et me sentir à l’aise avec eux, on prend la MD le samedi soir, et j’ai du temps pour « m’en remettre », avant de retourner au boulot.

***

C’est vrai qu’on se sent bien dans leur maison : sa structure repose sur de solides poutres en bois massif, il y a de larges fenêtres panoramiques qui donnent sur des arbres centenaires et l’éclairage en soirée est chaleureux; bref, tout se déroule comme prévu.

«Tu vas avoir envie de pisser mais ça voudra pas sortir; tu vas être déshydraté, donc bois beaucoup d’eau, et tu vas avoir la mâchoire qui va te serrer. Fait que panique pas, c’est normal.»

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Samedi, ce n’est pas très long avant que la conversation au souper porte sur ma première fois. Les amis racontent la leur, m’expliquent ce que cette drogue leur fait, et précisent qu’ils n’en consomment que trois ou quatre fois par année, qu’ils n’en sont pas dépendants. Puis ils me demandent ce qui me fait peur (TOUT!), comment ils pourraient m’aider pendant (juste répondre à mes moindres demandes, je pense), et quel genre de musique j’aimerais écouter (euh… tout sauf du heavy metal). T. m’explique ensuite les possibles effets secondaires : « Tu vas avoir envie de pisser mais ça voudra pas sortir; tu vas être déshydraté, donc bois beaucoup d’eau, et tu vas avoir la mâchoire qui va te serrer. Fait que panique pas, c’est normal. » J’apprécie son choix de mot.

Après le repas, T. me demande si je suis toujours willing. J’opine de la tête, le cœur me débattant dans la poitrine. Il sort sa fiole et sa balance : 100 mg pour les filles, 200 mg pour les gars. Il mélange les quatre tas de poudre à de l’eau, j’en ai pour deux tasses dans une gourde de sport. « Tu en bois la moitié, tu attends trente minutes; si tu sens rien, prends l’autre moitié », m’explique T. Ils trinquent ensuite à ma santé (cute) et on boit.

On se met à danser dans le salon et je deviens anxieux, je suranalyse le moindre changement dans mon corps.

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Sur sa tablette, E. sélectionne une playlist d’un (excellent!) DJ québécois que je ne connaissais pas : Stéphane Cocke. On se met à danser dans le salon et je deviens anxieux, je suranalyse le moindre changement dans mon corps. T. est en plein dans son trip : souriant, les yeux grands ouverts, il est très tactile et me caresse, ce qui me surprend un peu car on ne se connaît pas tant que ça. E. danse telle une chaman, alors que ma blonde semble absorbée dans la musique, les yeux fermés, ondulant lentement.

Après trente minutes, je sens rien pantoute. J’y vais donc pour la seconde moitié de la dose, que je cale d’une traite.

Une quinzaine de minutes plus tard, ça kicke in. Et pas à peu près. Je suis en proie à des vertiges, je dois rapidement aller m’asseoir sur le sofa pour ne pas m’écrouler. Fuck! Fuck! Fuck, je suis en train de perdre le contrôle! Ma blonde se colle sur moi : « Ça va passer dans quelques minutes, promis. Là, tu es dans le pire moment. Ça arrive à plein de gens, ne t’inquiète pas. » T. et E. viennent eux aussi s’installer pas loin sur le sofa modulaire, les yeux remplis de compassion. E. essaie de me distraire en me posant des questions sur mon travail. Je comprends son but, mais elle me stresse, alors je réussis à lui articuler que je ne veux pas parler. Que j’en suis, à la limite, incapable. À un certain moment, T. s’adresse à ma blonde et les syllabes qui sortent de sa bouche ne font aucun sens pour moi. Ciboire. Pourquoi le monde aime tant être dans cet état-là !?

À un certain moment, T. s’adresse à ma blonde et les syllabes qui sortent de sa bouche ne font aucun sens pour moi. Ciboire. Pourquoi le monde aime tant être dans cet état-là !?

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Cherchant à me faire rassurer par mes trois complices, je me mets à verbaliser tous mes symptômes — accélération de mon pouls, mouvements saccadés des yeux (joliment appelés nystagmus, ai-je lu le lendemain) et mâchoire serrée. Seul le contact du corps de A. me fait du bien en ce moment, et j’ai juste fucking hâte que ça finisse. Je lis dans le visage des amis qu’ils sont préoccupés par mon état, mais pas inquiets. Ils en ont vu d’autres, visiblement. Je me dis quand même que si ça ne s’améliore pas dans les prochaines minutes, je vais vouloir appeler le 911, mais je me souviens aussi avoir lu qu’en cas de dose trop élevée, il n’y a rien que la médecine puisse faire, à part le soulagement des symptômes désagréables. Bon. Aussi bien prendre mon mal en patience. Je ne mourrai pas ce soir. Enfin, je pense pas.

La musique meuble notre silence, entrecoupé par les « je t’aime, ça va aller bientôt » de A. Et, effectivement, après une trentaine de minutes qui m’ont paru deux jours, je regagne enfin le contrôle de mon corps. Ma respiration se fait plus régulière aussi. Je réussis à me lever pour aller aux toilettes. Je crie : « T., man, t’avais raison : pas capable de pisser, haha ! ».

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Et à partir de là, j’ai parlé pendant trois heures, pratiquement sans m’arrêter.

Dans la liste des effets psychologiques de la MDMA, on retrouve « augmentation de la confiance en soi » et « goût de communiquer ». Si T. se sent plus tactile, E. adore encore plus danser et ma blonde rentre dans la musique, moi, je me sens intéressant. Il faut savoir que comme je suis une personne plutôt effacée, j’envie secrètement les gens qui ont de l’humour et de la répartie, et qui sont de bons raconteurs; or, ce soir, je suis the life of the party. Je me mets à raconter mes meilleures histoires de cul; je détaille des épisodes très personnels de ma vie, confiant à T. et à E. des trucs que j’aurais gardés pour moi en d’autres circonstances; je fais même un aveu à ma blonde, dont je ne voulais lui parler que quelques semaines avant notre mariage, pour être clean avec elle.

Moi qui croyais que j’allais faire la drogue par excellence du sexe, et qui fantasmais un peu sur le fait que notre soirée allait virer en trip à quatre, finalement j’expérimente la drogue de l’amour.

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Moi qui croyais que j’allais faire la drogue par excellence du sexe, et qui fantasmais un peu sur le fait que notre soirée allait virer en trip à quatre, finalement j’expérimente la drogue de l’amour. Ouais, pendant plusieurs heures, je le ressens même physiquement. Ma blonde me chuchote ses mots d’amour les plus sentis depuis longtemps et je fais de même, au moins cent fois. Eh que je l’aime ! Je remercie nos hôtes sans cesse et leur dis que je les aime aussi. À en devenir fatigant.

À 1 h 30, les effets sont dissipés, alors on décide d’aller se coucher. Je ne suis pas capable de faire l’amour à A., même si j’en ai envie. Je me réveille une fois par heure pour aller pisser et à 5 h 30, je perds définitivement le goût de dormir. Je vais lire mon roman dans le salon, face aux grandes fenêtres. Au lever du soleil, je m’émerveille devant le spectacle que m’offrent les pics mineurs et chardonnerets qui viennent bouffer aux mangeoires. Je me dis que la préservation de la Vie est la chose la plus importante sur Terre. Je m’esclaffe : mon buzz est clairement pas fini.

***

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Deux jours plus tard, l’une des petites nous a fait une crise d’insomnie comme elle seule en a le secret. J’ai passé une bonne heure et demie auprès d’elle, le temps qu’elle se rendorme, et je me suis mis à repenser à mon trip du week-end.

Et c’est là qu’il s’est passé une chose assez incroyable : dans mon cerveau, une petite fenêtre s’est ouverte, il y a eu comme un appel d’air. Quelque chose en moi a eu envie de retrouver l’état dans lequel j’étais samedi soir, quand j’avais cette puissante confiance en moi, quand je sentais tout cet amour m’habiter, quand je faisais un avec l’univers.

Un mouvement d’addiction.

Et c’est là que j’ai enfin compris ce qui me faisait le plus peur dans les drogues : aimer ça.