Une dépression, c’est vraiment de la merde. Dans une autre vie, j’ai soigné des personnes atteintes de dépression majeure. L’automne dernier, c’était à mon tour de le vivre. Pour toutes sortes de raisons biopsychosociales, comme on me l’a appris, je suis tombé dans un trou. Un trou profond.
C’est arrivé un lundi.
Cela faisait quelques mois que le trou se creusait. Ce lundi-là, j’ai eu l’impression que mon cerveau se révoltait. Il était écoeuré et avait décidé de ne plus coopérer. Je venais de passer trois heures à regarder quelques lignes de codes sans rien y comprendre. J’ai voulu mourir comme je n’avais jamais voulu mourir avant.
Ce qui était souffrant, c’était l’absence; le néant. N’avoir d’intérêt pour rien.
Ce qui était souffrant, ce n’était pas tant la tristesse. J’aurais préféré être triste. J’avais l’impression d’être mort à l’intérieur. Ce qui était souffrant, c’était l’absence; le néant. N’avoir d’intérêt pour rien. On se surprend à se pincer, à se faire mal, juste pour ressentir quelque chose. Le futur n’existe pas; le passé non plus. Il n’y a qu’un éternel présent dont on n’arrive pas à s’échapper.
À la fin novembre a lieu le Hackfest. Il s’agit d’une conférence annuelle de cybersécurité. J’y suis allé pour la première fois il y a bientôt trois ans, en 2018. Je m’étais assuré d’avoir fait les mises à jour sur mon cell et je ne me suis connecté à aucun wifi sans protection.
J’ai vraiment tripé. Deux jours de conférences données par des expertes et experts du milieu. Il y avait une compétition « d’ingénierie sociale ». Pour marquer des points, des personnes avec un talent pour l’impro appelaient des compagnies au téléphone pour tenter de leur soutirer des informations. Une autre compétition, organisée par l’organisme TraceLabs, mettait le talent de recherche Google des participants à l’épreuve. Le but était de dénicher des informations qui seraient ensuite remises aux autorités pour aider à retrouver des personnes disparues. J’ai appris plein de choses intéressantes et je me suis acheté un kit de crochetage de serrures (Je n’aspire pas à imiter Arsène Lupin, mais je l’utilise pour m’exercer sur de vieux cadenas en regardant Netflix).
Le terme hacker a mauvaise presse. […] Pourtant, les hackers sont avant tout des gens curieux.
J’entamais ma deuxième année de techniques en informatique et je m’amusais à faire des CTFs (Capture The Flag). Ce sont des épreuves de « hacking ». On tente de trouver la faille dans une application et on l’exploite pour aller chercher les drapeaux cachés sur une machine. C’est une chasse au trésor de nerd. C’est difficile. Je ne suis pas super bon, mais c’est vraiment amusant. Alors que mes collègues au cégep jouaient à Super Smash Bros, j’apprenais à faire de l’injection SQL et de l’escalade de privilège.
Le terme hacker a mauvaise presse. Il est habituellement associé à une activité criminelle. Pourtant, les hackers sont avant tout des gens curieux. Ceux et celles qui ont inventé Internet étaient des hackers. Ce sont des hommes et des femmes qui trouvent des façons originales d’utiliser la technologie. Ce sont aussi des passionnés qui passent des heures devant leurs moniteurs pour trouver des failles dans les applications pour les rendre plus sécuritaires.
Je me suis inscrit à la version virtuelle du Hackfest 2020. Je ne savais pas si mon niveau d’énergie allait me permettre d’y assister. L’année précédente, j’avais trop attendu et la conférence était « sold out ». Malgré les idées noires, j’ai donc réservé ma place.
Cette année, il y avait un « village de la santé mentale ». J’ai vraiment apprécié l’ouverture de la conférence à traiter de ce sujet, mais comble de l’ironie, je me sentais trop mal pour y participer.
Assister au HackFest n’a pas été facile. Après 20 à 30 minutes de conférence, la concentration flanchait. Je me trouvais vraiment nul. Ça me fâchait. Comment ça se fait que je n’arrive pas à suivre la conférence d’un dude qui explique comment pirater un guichet automatique! La motivation revenait tranquillement, mais ma tête ne suivait pas. Cette année, il y avait un « village de la santé mentale » avec des discussions et autres activités. J’ai vraiment apprécié l’ouverture de la conférence à traiter de ce sujet, mais comble de l’ironie, je me sentais trop mal pour y participer. J’ai quand même pris part au CTF de débutants. J’ai même trouvé quelques drapeaux.
Durant la conférence, j’ai rejoint le serveur Discord du Hackfest. Discord est une plateforme de discussion créée pour les gamers. Depuis, l’utilisation s’est répandue et l’on retrouve des serveurs sur une multitude de sujets. Au fil du temps, j’ai commencé à interagir un peu plus; partager des articles, poser ou tenter de répondre à des questions. Le CTF de débutant m’ayant donné la piqûre, je me suis mis tranquillement à en tenter sur des plateformes comme tryhackme et hackthebox, deux sites Web qui offrent ce genre d’épreuve.
Au fil du temps, j’ai commencé à interagir un peu plus; partager des articles, poser ou tenter de répondre à des questions.
En décembre, un utilisateur du Discord m’a contacté. Il voulait faire une revue de l’année en cybersécurité et m’a demandé si j’avais envie d’y participer. Il s’agissait de résumer certains événements marquants de l’année dans un événement diffusé en direct. J’avais vu son appel aux intéressés, mais je n’avais pas osé me manifester. Interpellé directement, j’ai accepté. Ça m’a foutu la chienne. J’étais qui moi pour parler de cybersécurité? Je ne savais pas si le jour venu, j’allais avoir assez d’énergie pour participer ou si le trou allait m’engloutir. Ça s’est pourtant bien passé. Effet collatéral, ça m’a rapproché du groupe. J’y ai trouvé un sentiment de communauté.
Ayant encore beaucoup de difficulté à coder, je me suis mis à écrire. Un jour, j’ai fait quelque chose que je n’aurais jamais imaginé faire. J’ai écrit au directeur de la ville de Montmagny pour une demande d’entrevue. À ma grande surprise, il a accepté. J’ai donc publié mon premier article sur le blogue du Hackfest. J’ai appris l’identité du groupe derrière l’attaque informatique qui avait paralysé les serveurs de la ville. J’avais mon premier scoop! J’avais aussi trouvé quelque chose que j’adorais faire.
J’ai appelé d’autres directeurs. J’ai écrit d’autres articles. Le feeling en trouvant une nouvelle est très semblable à celui de taper l’instruction « whoami » dans une ligne de commande et se faire répondre « root », ce qui veut dire que nous sommes devenu l’administrateur principal.
J’ai l’impression d’être sorti du trou et d’avoir les outils pour ne pas y retomber.
j’en dois une aux hackers. Ceux et celles qui ont créé ces CTFs qui m’ont permis de petites victoires, qui ont répondu à mes questions de « noob » sur les forums
Les hackers n’ont bien sûr pas été seuls. Je n’y serais pas arrivé sans le support de mes proches, sans ma blonde qui m’a obligé à appeler le CLSC, sans l’intervenante qui a pris cet appel et m’a littéralement sauvé la vie, sans le médecin qui m’a offert un traitement et sans la psychologue qui m’a aidé au-delà de ce que mes mots peuvent exprimer.
Mais j’en dois une aux hackers. Ceux et celles qui ont créé ces CTFs qui m’ont permis de petites victoires, qui ont répondu à mes questions de « noob » sur les forums, qui m’ont encouragé à écrire et qui par leur générosité continuent à m’apprendre une foule de choses.
Hack la planète! De façon responsable et éthique, bien sûr.