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Comment aborder le tourisme autochtone quand on est allochtone?
« Vivre une expérience autochtone, c’est forcément politique. »
– Dominic, conteur, résident de Wendake et membre du clan du loup.
Comme une trop grande majorité de Québécois et de Québécoises, j’ai appris peu de choses sur les Premières Nations, les Inuits et les Métis à l’école. Et force est de reconnaître que ce que l’on m’a enseigné relève du point de vue colonial. Je dois d’ailleurs l’admettre : je ne suis pas capable de nommer les onze nations autochtones du Québec. C’est gênant, mais c’est ça pareil.
Depuis le décès tragique de Joyce Echaquan et la découverte de milliers de tombes d’enfants sur les sites d’anciens pensionnats autochtones, mettant ainsi en lumière les atroces conditions de vie des jeunes résidents, je ressens la nécessité de m’éduquer et de ne plus fermer les yeux sur ce pan de notre histoire.
Que ce soit à travers des documentaires, des expositions, des podcasts, des romans, des recueils de poésie, des pièces de théâtre ou des expériences touristiques et culturelles, il existe toutes sortes de moyens de déconstruire nos biais historiques.
C’est dans cette optique que j’ai accepté l’invitation de l’équipe de l’Hôtel-Musée Premières Nations à Wendake.
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Bonjour-Kwei
L’Hôtel-Musée Premières Nations, situé à Wendake en bordure de la rivière Akiawenrahk (Saint-Charles), à quelques kilomètres de la ville de Québec, se déploie au bout de la place de la Rencontre.
Nous sommes accueillis par Danisse Neashit, coordonnatrice du développement marketing et touristique pour Tourisme Wendake, qui nous propose d’emblée de nous remettre de nos trois heures de route autour d’un lunch au restaurant La Traite.
«L’hôtel […] est entièrement détenu par les Premières Nations et majoritairement par la communauté huronne-wendat»
« Nous sommes ouverts depuis 2008 », raconte Danisse, en me suggérant de choisir la table Wendat, qui change au gré des saisons. « La demande est tellement forte que nous réalisons actuellement de grands travaux du restaurant et du lobby, et nous ajoutons 24 chambres et suites. Les gens ont un grand intérêt pour le tourisme autochtone. »
Pour Danisse, le fait que beaucoup de gens prennent actuellement conscience qu’ils n’ont qu’une connaissance très partielle des Premières Nations et de leur histoire les incite à rechercher des expériences culturelles autochtones. Et c’est tant mieux.
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« L’hôtel, le restaurant La Traite, mais aussi le Musée huron-wendat et la maison longue nationale Ekionkiestha’ sont entièrement détenus par les Premières Nations et majoritairement par la communauté huronne-wendat », explique-t-elle alors que je déguste ma salade d’endives aux baies d’argousier. « C’est important pour nous d’offrir une expérience authentique, mais sans tomber dans une accumulation de clichés. […] Parmi les employés, huit nations sur onze sont représentées. » L’équipe engage également des artistes et artisan.e.s du coin, afin d’agrémenter les lieux de leurs oeuvres.
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Je suis soulagée d’apprendre qu’il n’y a pas de riche propriétaire allochtone qui s’enrichit sur le dos de la nation huronne-wendat. Mais il y a tout de même un éléphant dans la pièce.
Au coeur du terroir
«Marc de passorio a pu échanger avec des aîné.e.s de la nation atikamekw et en apprendre davantage sur les méthodes de cuisson et de cueillette traditionnelles.»
Lorsque je demande à Danisse pourquoi le tout nouveau chef de La Traite, Marc de Passorio, est français, un choix qui peut paraître surprenant venant d’un établissement autochtone, elle est sans équivoque. « Nous sommes allés chercher une expertise, fait-elle valoir. En effet, notre chef est allochtone, français en l’occurence, mais sa brigade est composée de personnes autochtones. Marc est très curieux, il se montre particulièrement intéressé à en apprendre plus sur les produits de notre terroir et il a l’expérience et le talent pour les mettre en valeur. Il transmet ses connaissances et ses techniques à son équipe. On voit ça comme un bel échange, dans une perspective durable. »
Parlant du loup, Marc de Passorio vient nous rejoindre pour le café, alors que je termine mon assiette de bison.
Marc de Passorio, qui a travaillé aux quatre coins du monde, est un chef doublement étoilé au Guide Michelin (2009 et 2015). Avec ses quarante ans d’expérience, il a aussi reçu trois toques au Gault & Millau, en plus du Gault & Millau d’or. Ce n’est pas tous les jours qu’on boit un espresso avec quelqu’un de sa trempe.
« Je me sens prêt à relever ce défi, c’est comme une finalité dans une carrière bien remplie », raconte le chef, qui est venu s’installer au Québec avec sa famille lorsqu’on lui a proposé de prendre les rênes de La Traite. « En arrivant, c’était primordial pour moi de m’imprégner du terroir pour faire briller les produits de la chasse, de la cueillette et de la pêche. »
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Le chef raconte qu’à son arrivée, il a séjourné au Domaine Notcimik, à La Bostonnais, où il a pu échanger avec des aîné.e.s de la nation atikamekw afin d’en apprendre davantage sur les méthodes de cuisson et de cueillette traditionnelles.
«Il y a plein de choses que j’aimerais explorer. Par exemple, la soupe de cœur d’orignal»
« Je suis un apprenti sur certaines choses et enseignant sur d’autres. Je suis dans une dynamique d’échange constant avec ma meute », explique-t-il, en référence à sa brigade. « Je nous considère encore au stade embryonnaire, nous voulons aller beaucoup plus loin. Il y a plein de choses que j’aimerais explorer. Par exemple, la soupe de cœur d’orignal, un plat traditionnel atikamekw. Je trouve ça extraordinaire », ajoute-t-il en riant.
Épines de sapin pochées dans le sirop, loup-marin, pain bannique maison, sel de cèdre : la mise en valeur des produits du terroir m’impressionne à chaque bouchée.
À l’image de l’Hôtel-Musée, Marc de Passorio cherche à faire dans l’authentique, mais sans tomber dans les stéréotypes. Et c’est absolument délicieux.
Maison longue et matriarcat
Notre après-midi est bien remplie. Nous rejoignons Francine, notre guide, pour une visite commentée du musée, qui explore l’histoire et la culture du point de vue autochtone. Ici, pas de « découverte » de l’Amérique : les Premières Nations étaient là bien avant que les colons européens ne débarquent.
Canot d’écorce, raquettes artisanales, ceintures de wampum (une ceinture de coquillages utilisée pour sceller les ententes conclues entre des peuples) : les artefacts se succèdent au fil de l’exposition.
On nous invite alors à visiter la maison longue, entourée par une impressionnante palissade de bois, située à quelques mètres du musée. À l’intérieur de la maison, deux feux sont allumés. Des peaux de bêtes recouvrent les différents paliers de l’habitation traditionnelle.
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Francine, toujours aussi passionnée, nous explique le mode de vie des familles qui y vivaient traditionnellement. En effet, pendant des milliers d’années et jusqu’au début du XIXe siècle, les habitant.e.s de la Huronie vivaient dans des maisons longues comme celle-ci.
« La maison longue de Wendake mesure 64 pieds de longueur, 20 pieds de largeur et 20 pieds de hauteur, indique la guide. Son aspect visuel est authentique mais on a utilisé des techniques modernes de construction. »
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« La société huronne-wendat était matriarcale, poursuit-elle. C’est l’aïeule, respectée pour sa grande sagesse, qui régnait sur la maison longue. Chaque clan était constitué par la famille élargie du côté de la femme. Le mari emménageait donc dans la maison de sa femme, même s’il gardait son clan. »
Francine nous propose de conclure la visite avec un atelier de fabrication d’un bâton de parole, un outil servant à réguler la parole au sein d’un groupe.
«La société huronne-wendat était matriarcale»
Alors que nous assemblons les différents matériaux, la guide nous explique que chaque élément a une signification bien précise : la fourrure permet de parler avec pouvoir et force, les pierres aux quatre couleurs des éléments représentent les forces de l’univers tandis que les plumes illustrent le courage et la sagesse. Ça peut toujours servir!
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Le tourisme autochtone comme outil de réconciliation?
«Ça faisait un bout qu’on n’avait pas construit de maisons longues… genre plusieurs centaines d’années!»
Avant de profiter d’un souper gastronomique, où nous avons eu la chance de déguster un mi-cuit de loup-marin, une soupe des trois soeurs à base de courge, de maïs et de haricot, ainsi qu’un plat de poulpe et une assiette de cerf, on nous invite à l’activité de Mythes et légendes dans la maison longue.
« Ça a pris du temps pour la construire, raconte Dominic, conteur, résident de Wendake et membre du clan du loup. Il a fallu qu’on se documente avec des images d’archives. Ça faisait un bout qu’on n’avait pas construit de maisons longues… genre plusieurs centaines d’années! »
On prend place dans l’habitation traditionnelle, autour du feu. Dominic, très impliqué dans la vie de sa communauté, nous parle de la forte demande pour obtenir une maison dans la réserve. Si 2 000 personnes vivent aujourd’hui à Wendake, des centaines de personnes sont toujours en attente d’un logement.
« On est “chanceux” à Wendake, on ne vit pas les mêmes problématiques que d’autres réserves plus éloignées, reconnait Dominic. On a de l’eau potable et on a accès à des produits de base à prix abordables, contrairement aux Autochtones dans le Nord Mais là, s’cusez, je m’éloigne; je dois vous raconter une histoire! »
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Dominic nous parle d’un ours qui a perdu sa queue, d’un loup, d’un renard, il nous explique l’importance de la tradition orale, mais revient rapidement sur les enjeux d’acquisition de terres afin d’agrandir la réserve et de répondre à la demande.
« Je m’éloigne encore, mais vous savez, vivre une expérience autochtone, c’est forcément politique », affirme le jeune trentenaire.
Je prends la balle au bond et pose la question qui me brûle les lèvres depuis mon arrivée à Wendake. Est-ce que c’est éthique, pour un.e allochtone, de faire du tourisme autochtone? Et si oui, quelle est la meilleure posture à adopter?
« La première chose à faire selon moi, c’est de déconstruire une grande partie de ce que vous avez appris à l’école, affirme le conteur. Je pense que les gens prennent de plus en plus conscience de notre histoire, et c’est tant mieux, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. »
Dominic croit qu’il est important de s’informer et de faire preuve de curiosité, mais sans pour autant faire porter le poids de l’éducation au « seul Autochtone que tu connais ».
«Les personnes autochtones qui travaillent en tourisme sont disposées à répondre à vos questions […] et elles sont payées pour le faire.»
Les propos du jeune homme me rappellent le discours des militant.e.s antiracistes lors du plus récent mouvement Black Lives Matter en 2020, à la suite du meurtre de Georges Floyd. Ce n’est pas aux personnes noires d’éduquer les personnes blanches : ces dernières ont la responsabilité de le faire par elle-même. Compte tenu des traumatismes individuels et collectifs vécus par les communautés noires et autochtones, c’est tout à fait légitime comme attente.
« C’est là que le tourisme devient un bel outil à mon avis, poursuit Dominic, toujours devant le feu. Les personnes autochtones qui travaillent dans les organisations touristiques sont disposées à répondre à vos questions, à vous donner de l’information et à partager leurs expériences, et elles sont payées pour le faire. En plus, c’est une belle manière d’encourager des entreprises tenues par des Autochtones. »
Avant de nous offrir un chant au son de son tambour, Dominic nous parle avec enthousiasme des jeunes autochtones qui réapprennent leur langue, qui se réapproprient des techniques artisanales comme le perlage de wampum.
« C’est beau de voir que les jeunes autochtones retrouvent leur fierté, constate le conteur. Il nous reste encore énormément de combats à mener, mais il y a de l’espoir. »