.jpg)
Sur le web, une vieille publicité. Partagée avec moult clins d’œil et rires gras ponctués de beaucoup trop de points d’exclamation, vu que t’sais, c’est la Coupe du Monde.
Une partie de soccer, un accrochage, une chute impressionnante et un joueur qui se tord de douleur, par terre. Le soigneur qui arrive au secours du joueur blessé. Sort un peigne à cheveux, du fixatif. Arrange le toupet du joueur. Fade out, puis, l’affirmation qui te fait faire un violent face-table (j’ai encore un petit peu mal au front) accompagné d’un je-peux-pas-crère-ostie :
Football is for girls.
Try rugby.
C’est pas la première fois qu’on voit une affaire de même pis c’est certainement pas la dernière. L’autre fois, notre goaler a joué comme une fille. Bon, check l’autre qui braille comme une fille. Justin Bieber, il chante comme une fille. Pis l’autre, il sait pas chauffer. Il chauffe comme une fille.
Pis si une fille fait quelque chose de très fort/très courageux, on dira d’elle qu’elle a des couilles. Parce que la force, le courage, et le talent musical, c’est dans le scrotum que ça se passe. Les filles, c’est faible et trouillard. Ça sait pas conduire pis ça joue au soccer.
DUH.
De la féminité comme marque de mépris
Il n’y a pas d’avantage à faire quelque chose comme une fille. C’est pas exactement un compliment, t’sais, quand ton goaler se fait dire qu’il a joué comme une fille. Ça veut dire qu’il a joué comme de la marde. Idem pour le p’tit Bieber. Idem pour le conducteur automobile qui se perd/regarde pas où c’est qu’y s’en va/sait pas chauffer manuel/sait pas se parker en parallèle/roule trop-pas-assez vite/embarque sur le trottoir pis poque ses enjoliveurs/utilise encore le mot « enjoliveur » en 2014.
Goaler/chanter/chauffer comme une fille, ça équivaut à faire une job de marde. Faque: fille = marde.
On dit à quelqu’un qu’il fait quelque chose comme une fille pour l’humilier, pour lui faire honte. Comme si c’était mal d’être une fille. Comme si d’être né-e (ou pas) avec deux chromosomes X faisait de nous un humain de moindre niveau, frappé par l’incompétence, la faiblesse de corps et d’esprit, et l’incapacité d’exécuter un stationnement à reculons.
C’est pas juste insultant, c’est cave en simonaque.
Quelque chose en commun
Au-delà du caractère franchement sexiste de l’insulte, il y a le fait que ça ne se base sur ar-djien. Ça n’existe pas, quelque chose que toutes les filles ont en commun, qu’on puisse leur attribuer en masse et qui puisse servir d’insulte à un gars qui a fait patate.
« Toutes les filles » n’ont rien en commun.
Jouer comme une fille
Je ne sais pas si vous le savez, mais on a des joueuses de hockey pas mal badass au Canada. Notre équipe féminine a remporté non pas une, ni deux, mais bien QUATRE médailles d’or de suite aux Olympiques. Y’a assez de joueuses de calibre pour envoyer n’importe quelle ligue de garage rougir dans le vestiaire.
Le sport n’appartient pas qu’à un sexe. Il y a des filles sportives, comme des gars pas sportifs. L’excellence sportive n’appartient pas aux mâles et la médiocrité aux femelles. Lâchez-nous les ovaires avec ces niaiseries-là!
Chanter comme une fille
Il y a des bons et des mauvais chanteurs. Le bon/pas bon dépend principalement du goût de l’auditoire, pas des gonades de l’interprète; je l’aime pas plus que toi, Justin Bieber, sauf que de le comparer à une fille comme si c’était quelque chose de négatif, c’est archinul. Le monde de la musique a été traversé par des voix féminines absolument fabuleuses : Aretha Franklin, Janis Joplin, Tina Turner et Etta James, pour n’en nommer que quelques-unes. Chanter comme une fille? You bet! Prends-le comme un compliment, gars.
Chauffer comme une fille
Oui, du monde qui chauffe mal, ça existe. Pis y’a du monde pour qui le brake à bras n’a plus de secrets. Ceci, pas plus qu’avec la voix ou l’esprit sportif, n’a rien à voir avec la présence ou l’absence d’un scrotum bien fourni. Parle-en à mon ami qui a DÉTRUIT un de mes rims après le trottoir (mais qui est un très bon joueur de hockey!).
En bonus : avoir un vagin
Le seul comme une fille qui aurait peut-être une mince chance de passer, c’est « avoir un vagin, comme une fille ». Même ça, ça ne fonctionne pas. Il y a les personnes trans, aussi. Ainsi que toutes ces personnes éparpillées d’un bout à l’autre du spectre des genres, portant des attributs masculins et/ou féminins, et s’identifiant au masculin et/ou au féminin.
C’est pas une si mince affaire, cette histoire de « comme une fille ». Rendons-nous service, et cessons d’utiliser le féminin comme insulte. Il n’y a rien de méprisable à être née (ou pas) de sexe féminin.
Je l’sais ben, gars, que t’aimes pas ça, le soccer, mais c’est pas une raison pour être nono.
J’te le dis, moi :
Fille =/= marde. Fille = un monde infini de possibilités, comme les gars.
—–
Je milite pour la justice sociale, l’égalité et le féminisme – des synonymes à mes yeux. Ayant suivi une formation en arts visuels, je poursuis mes démarches en recherche sociologique et j’écris présentement un livre sur l’itinérance qui sera publié prochainement chez VLB.
J’anime le tumblr LES ANTIFÉMINISTES – http://lesantifeministes.tumblr.com/
Pour me suivre : c’est Sarah Labarre sur Facebook et @leKiwiDelamour sur Twitter.