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C’était l’été 2005. Le plus bel été de ma vie. Et probablement le plus pauvre aussi. Je sais ben pas comment j’ai fait mon compte, mais je me suis ramassée au Portugal.
Cet été-là, ma chum de fille Marie et moi, on avait de l’ambition plein le palazzo. Quoiqu’il advienne, début mai, on paqueterait nos petits et on s’envolait vers Londres pour se la jouer Lady Di (sauf la partie dans le tunnel à Paris). La grande aventure. Une aventure tellement adventurous qu’on ne s’était pas bâdrées de se chercher un emploi ni de se trouver logis, avant de partir. Des hippies de type Rock et Rolland; attachantes, mais un peu ordinaires par bouttes.
Ça fait qu’une fois arrivées aux Angleterres avec nos pantalons fripés et notre accent du bas de la ville, on a, et ce à notre grand étonnement, pas fait exactement fureur sur Piccadilly Circus. Dur dur. L’orgueil en petit tas dans le fond du backpack, nous nous sommes donc résolues à travailler dans un pub enfoui dans la campagne anglaise et à dormir dans un taudis avec des Australiens, des Sud Africains, des étranges et le plus bel Anglais que la terre ait pondu. Je vous en reparlerai certes un jour.
Toujours est-il qu’à la solde de cet été grandiose à me faire donner des tite tapes sué fesses par le barman de la place et à ramasser des butchs de cigarette avec une pelle, Marie et moi, on avait accumulé trois sous. Les trois sous les plus scintillants et les plus remplis de promesses de tout le screening du Yorshire, je vous en passe un papier. Et je vous dis qu’on voyait grand, à part ça. L’Écosse. L’Irlande. LE ROYAUME UNI ET SES SUJETS. On se voyait déjà verdir nos running shoes blancs à marcher dans les grand’ prairies qui embaument le celtisme et le Michael Flatley.
On a toutefois vite constaté que notre petite bourse vide et tachée de gravy ne nous permettrait pas d’aller faire nos smattes à Stone Edge, ni même de se payer un cornet deux couleurs entre deux trucks à York. On a donc tourné la page, un avion a déchiré le soir et on s’est retrouvées à Lisbonne, sans trop comprendre ce qui s’était passé. Convaincues que le portugais, c’était de l’espagnol avec des « ao » à la fin, ça goûtait le métal dans notre bouche et nous étions très, très blanches avec pas de crème solaire dans le baluchon. Des conditions gagnantes.
Vous savez, cette impression gripette que le monde nous appartient quand on découvre un pays pour la toute première fois, libres et un peu trop jeunes pour se préoccuper de l’Espace cellier? Je donnerais n’importe quoi pour revivre ça. On dirait que passé un certain âge, et je pense que ça se produit au moment précis où tu vas chercher tes numéros de taxes dans le sous-sol épeurant de la pyramide olympique, cette innocence s’évanouit. Cette nonchalance de la moustache qui aurait besoin d’un bleach, mais qu’on laisse roussir. Le « j’ai pas de bikini, mais check-moi ben découper des triangles dans ma bâche et les relier avec un peu de corde à brêler, y croiront pas à ça à Lagos ». Eh bien ça me manque.
Et l’auberge de jeunesse que nous avions réservée au hasard n’était pas une auberge de jeunesse. C’était UN PALACE où une vieille dame bienveillante nous avait attitré une suite avec des tables de chevet et qui, pendant qu’on partait manger des pastéis de Belém (d’enchanteresses petites tartelettes à la crème avec le dessus brûlé pour lesquelles tu tuerais des marcassins à mains nues, je te le promets), lavait nos caneçons avec une vieille planche antique ET LES REPASSAIT. Pour une raison qui nous échappait, d’ailleurs, la vieille dame semblait nous avoir adoptées; ça ou elle passait ses veillées à respirer puissamment nos fonds de culottes en se rappelant les années folles. L’un comme l’autre, ça nous allait.
On ne comprenait pas tout ce qui se passait, mais mon dieu qu’on était heureuses. Même pauvresses, on se sentait si riches. Et pour souligner notre félicité, toute occasion était bonne pour prendre un petit verre. Mais surtout, pour se rappeler de ne pas aller visiter le musée de l’électricité.
Eille. Tu traverses un océan pour aller manger des grillades et te faire bronzer les pomélos à l’air, JE T’INTERDIS DE VISITER LE SAPRISTI DE MUSÉE DE L’ÉLECTRICITÉ DE LISBONNE. Auqué? Y’a toujours ben des maudites limites. Et on essayera de te le vendre. Oh! qu’on va essayer.
Monte plutôt sur le toit de ton auberge, dans le pire, fais jouer du Manu Chao et ouvre-toi une bouteille avec un tournevis et les bras d’un touriste américain qui pense qu’il va se tenir avec vous-autres. Prends quelques verres, mange des olives, joue une petite partie de canasta et monte dans le premier train venu.
LE PREMIER VENU, JE TE DIS.
Le genre d’affaire que tu ferais pas à Laval, mais qui t’apparaît comme une bonne idée, dans un pays où tu communiques en gestes et en expressions de désarroi.
Festives, nous étions. Et nul doute désagréables pour les autres passagers, ça oui. Mais comme toute personne qui hurle son petit rouge pour converser, on était loin de se rendre compte de tout le désagrément qu’on incarnait dans le wagon. Mais un petit monsieur, lui, l’a vite remarqué.
Casquette de jeune golfeur des années 30 vissée au crâne, le vieillard était plus guilleret que Francine Ruel quand elle respire les pages d’une biographie qui vient tout juste de sortir. On ignorait pourquoi, mais le monsieur semblait conquis par notre étiquette un peu bancale et notre exotisme de Nouvelle-France, je n’aurais su dire.
Toujours est-il qu’après nous avoir écoutées papoter-pactées de l’homme éléphant qui quêtait sur la place Rossio et de toute la misère qu’on éprouvait à saisir quand est-ce que, calvaire, on devait finir « Obrigado » en « o » ou du « a » selon la présence de jupon (ou pas) au bassin de l’individu fluent, il nous a abordées.
De son sémillant anglais, le nonagénaire Portugais avait capté tout le dynamisme de la folle jeunesse qu’on incarnait, et il avait un plan: nous céder sa business.
De même, sur le fly.
C’est que depuis les (Sylvain Cossette) seventies, ce bon monsieur opérait la très lucrative entreprise de vente d’avions miniatures et voiturettes téléguidés, de toutous pis de virevents aux touristes écartés de Lisbonne.
« Good business. Good life. I SPEAK THE TRUTH!! » qu’il nous répétait sans cesse en faisant aller ses petites épaules, tellement il était heureux d’avoir trouvé succession à son labeur. J’ignore encore si on se trouvait dans un remake de la dangereuse intro de Taken avec Liam Neeson (où les petites sottes un peu pactées se font enlever pour finir dans un sous-sol russe avec un coat jeans en diamants), mais ma chum de fille et moi fûment hautement aguichées par l’opportunité d’affaires qui s’offrait à nous.
Des horaires flexibles. Des touristes qui repartent avec un morceau de patrimoine important (et, accessoirement, un avion-réguine qui va casser dans le scan des douanes) et la possibilité, entre nos shifts, de passer le journal sur la place Rossio et de tisser des liens avec l’homme éléphant. LA GOOD LIFE.
Nous étions sur le point de signer (sans stylo ni contrat, mais d’un mouvent accéléré de sourcils complices), quand une charmante dame avec une blouse autoritaire et un permanent hostile nous a demandé nos billets. Oh, on avait nos billets. DES BILLETS FICTIFS. Vou savez, ceux qu’on fait semblant d’avoir jusqu’à ce que ça devienne lourd dans la conversation?
Ça fait qu’on a dû écourter nos projets de business de virevents pour débarquer vite fait à la prochaine station, gravelle dans la gougoune avec un restant de tartelette dans un cellophane et nos tickets fictifs pour une belle grand’ marche.
Aujourd’hui, quand mes yeux se posent sur une bouteille de Portugais (ou le Portugais qui fait des sandwichs à la poule sur St-Laurent), il me vient l’envie de me découper triangles de feutrine, de relier tout ça avec du fil de soie et de me faire croire que j’ai treize ans, bientôt 30, et que la semaine à venir sera pas piquée des vers.
La bise.
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