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Quand on se fait tatouer, peut-on considérer qu’on achète de l’art?
En tout cas, les millénariaux semblent généralement plus down de flamber quelques bills de 100$ pour un tattoo que pour un tableau qui ornera le couloir de leur 4 et demi, quelque part entre le salon et la toilette.
« Les gens sont tellement plus willing d’investir pour un tatouage. »
« J’ai commencé mes études en arts parce que je voulais faire de l’art dans ma vie. Mais c’est tellement difficile de vendre mes toiles, tandis que les gens sont tellement plus willing d’investir pour un tatouage », confirme La Claude, une tatoueuse de 21 ans.
Seulement aux États-Unis, c’est une industrie qui génère environ deux milliards de dollars par année, selon la firme d’étude économique IBISWorld. Le tatouage, autrefois réservé aux motards et marins de ce monde, est aujourd’hui pratique courante : un.e Canadien.ne sur trois en possède au moins un. Disons-le : un bras tatoué est l’extension naturelle d’un latte, et il est tout aussi banal d’avoir un dessin permanent sur soi que de posséder un aloès.
Ou d’avoir un dessin permanent de son aloès. Ou de liker sur Instagram le dessin permanent de l’aloès d’une inconnue.
Disons-le : un bras tatoué est l’extension naturelle d’un latte, et il est tout aussi banal d’avoir un dessin permanent sur soi que de posséder un aloès.
Parce qu’en game hip, cool et moderne, une bonne partie du marketing des tatoueurs et tatoueuses passe par Instagram. C’est d’ailleurs avec « des paragraphes de hashtags » #noshame, le bouche-à-oreille et quelques flash days (à des spots d’escalade, notamment) que Claude a « kick-starté » sa carrière. En un an et demi de pratique, elle cumule déjà plus de 250 tattoos, réalisés dans son studio maison.
J’ai jasé avec elle et d’autres artistes du milieu pour démystifier les gros et petits dollars du monde du tatouage!
First things first : combien ça coûte, se faire marquer à vie?
Quand on se fait écrire Pura Vida sur le pied au Costa Rica, on ne voit que la pointe de l’iceberg : le prix que l’artiste facture. Mais ce montant cache plusieurs dépenses.
« L’investissement initial, soit ma machine, ma pédale et ma table de massage, c’est environ 3000$ », explique Claude.
Après, le gros du prix d’un tatouage provient des aiguilles. « Pour moi, c’est environ 6 $ par aiguille, et dépendamment du tatouage, je peux en utiliser jusqu’à quatre. » Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’encre n’est pas très dispendieuse. « Parfois, les gens pensent qu’un tatouage en couleur, c’est plus cher, mais c’est un mythe », ajoute Claude.
À cela s’ajoutent notamment le produit nettoyant (de grade médical, à 40$ le gallon) et la pellicule plastique. Grosso modo, elle estime que le coût en matériel s’élève à une quinzaine de dollars par tattoo.
Après, c’est surtout la taille, l’emplacement et la complexité qui fait fluctuer le prix d’un tattoo. Si c’est un design préparé d’avance (un #flash), c’est généralement moins cher qu’un design fait sur mesure (un #custom, yo). Ça varie aussi d’un tatoueur à l’autre — certains facturent un tarif à l’heure. Avec La Claude, un flash (ajustable) tourne autour de 150$.
Les coûts qu’on oublie
Évidemment, on ne peut pas réduire le prix d’une œuvre d’art (j’ose le dire) au prix des bébelles ayant servi à se mettre de l’encre dans la peau. Peaufiner son style, attirer sa clientèle à coup de #hashtags, bâtir son following, préparer les design de ses flashs… tout ça, c’est une charge de travail invisible à prendre en compte.
Et puis, avez-vous déjà essayé de vendre quelque chose sur Kijiji? L’enfer sur Terre. T’sais, le nombre de personnes qui vous contactent « juste pour voir »… La fille qui propose 15$ pour votre four (livré)… Le dude qui finit par vous ghoster alors que vous avez réservé votre vendredi soir pour lui vendre votre vieux Xbox…
On pense que je ne fais que dessiner et tatouer, mais il y a une bonne charge de travail qui vient de l’administration et la prise de rendez-vous. »
Ce n’est pas très différent de ce que vivent les tatoueurs et tatoueuses au quotidien. Pas surprenant que la plupart des artistes refusent les DMs Instagram et exigent un dépôt pour fixer un rendez-vous. La Claude, elle, demande maintenant à ses futurs client.e.s de remplir un formulaire d’avance.
« Ça me permet de vraiment raccourcir le back and forth avec eux, explique-t-elle. On pense que je ne fais que dessiner et tatouer, mais il y a une bonne charge de travail qui vient de l’administration et la prise de rendez-vous. »
Faites donc plaisir à votre tatoueur ou votre tatoueuse : envoyez-lui une requête (la plus) claire (possible) dès votre premier email!
Dis-moi où tu tattoo et je te dirai qui tu es
La Claude choisit de travailler à partir de chez elle, et donc de payer son espace studio à même son loyer. Ça lui permet d’aménager ça à son goût — cozy, convivial. « Un tatouage, c’est un résultat, mais aussi l’expérience qui va avec. »
Certain.e.s préfèrent pratiquer leur art sous l’enseigne d’un tattoo shop. N’allez pas croire qu’ils perdent pour autant leur indépendance — il n’est pas rare de voir des artistes voyager d’une ville à l’autre pour tatouer dans différents lieux. C’est que dans l’immense majorité des cas, les tatoueurs et les tatoueuses sont considérés comme des travailleurs autonomes et « louent » une table à un endroit donné.
Ce faisant, ils bénéficient d’une visibilité additionnelle, de potentiels walk-ins (les touristes qui débarquent à l’improviste pour se faire tatouer le signe infini derrière l’oreille, genre), d’un espace studio (le shop, duh), d’une bonne partie du matériel nécessaire et, parfois, des services d’un.e réceptionniste qui booke les rendez-vous pour eux.
N’allez pas leur demander comment ils splittent l’argent entre eux. Si le cash est tabou dans la société québécoise, c’est particulièrement vrai dans le milieu du tattoo.
De la dizaine de tatoueurs, propriétaires et propriétaires-tatoueurs contactés pour cet article, aucun d’entre eux n’a accepté de témoigner à nom découvert à ce sujet. Mais voici quelques scénarios possibles, selon les bribes d’informations que j’ai obtenues :
> Le tattoo shop se prend une cut (entre 30 et 50% des revenus du tatoueur ou de la tatoueuse. Ça peut varier d’un.e artiste à l’autre dans une même shop)
> Le tatoueur ou la tatoueuse paie des frais mensuels fixes
> Le prix de l’équipement et du loyer est partagé entre les artistes
Vivre de peau et d’eau fraîche
Alors, combien ça gagne, un tatoueur ou une tatoueuse? Sans surprise, ça varie pas mal d’un.e artiste à l’autre. La Claude estime faire quelques dizaines de milliers de dollars de sa profession avant d’en déduire les dépenses. « Mon père ne serait pas fier d’entendre que j’ai pas vraiment fait ma comptabilité. Mais je dirais que c’est quand même pas pire payant. »
L’artiste, qui termine son baccalauréat en parallèle, vend aussi de la merch où l’on retrouve ses illustrations. Un pensez-y-bien si vous préférez avoir un tattoo sur un tote bag plutôt que sur la cuisse. Mais pour le moment, ça demeure un side hustle pas mal moins lucratif que le tatouage pour La Claude.
Pourboire ou pas?
15% pour un repas en restaurant, 10% pour une bouffe à emporter, 1$ pour un drink au bar… Mais combien offrir en pourboire pour un tattoo?
C’est avec cette question épineuse en tête que j’ai fait le tour des tattoo shop ce printemps. En gros, on m’a répondu que ce n’est pas nécessaire ou attendu, mais que c’est apprécié. À demi-mot. Comme en étant un peu gêné.
Je passe le message : tipper pour un tattoo is a thing.
Mais c’est surtout un sujet méconnu et mélangeant. Alors, je passe le message : tipper pour un tattoo is a thing.
Le boutte fun de l’affaire, c’est que les artistes du milieu sont généralement… fun, eux aussi. Ce qui veut dire que vous pouvez être créatif quant à la forme que prendra votre pourboire hypothétique. Pour vous inspirer, quelques anecdotes :
Alcool et ossements —Jonathan, Private Tattoo Montréal
« J’ai déjà reçu du sake, mais qui vient de Thaïlande. Faque dans la bouteille, y’a un cobra avec un scorpion. C’est un peu dégueulasse, je l’ai jamais bu, haha! J’ai aussi reçu beaucoup de crânes d’animaux. Quelqu’un m’a d’ailleurs déjà amené une tête de bouc! Il y a aussi eu quelqu’un qui m’a fait un virement de 500$ après un tattoo. J’ai reçu ça pis j’étais comme… t’es-tu sûr que tu t’es pas trompé? »
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Des statuettes de chat et du love — Aimee, DFA Tattoos
« Presque la moitié des figurines que j’ai sur le comptoir, c’est des tips! Une personne m’a donné des passes gratuites de Laser Quest. Ça c’était fun! Une autre, une sacoche pleine de weed et des Pabst Blue Ribbon. Quelqu’un m’a aussi donné une bouteille de bourbon. Mais j’accepte n’importe quoi — je suis contente juste avec un hug! »
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Offrez-lui donc du Végo – Dominic, Les Chochottes
« Ça arrive que les gens me tip en bouffe. Ça, je suis toujours down. Végo, c’est mon restaurant. Sur Saint-Denis! » Mais il assure « ne pas être difficile ».
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*Anecdotes abrégées à des fins de concision, captures d ’image tirées de vidéos.