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Combien ça gagne, une infirmière?

Être un « ange gardien », est-ce que c'est payant?

Par
Mathias Poisson
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Dans la dernière année, le métier d’infirmier.ère a eu un petit coup de mou. En effet, selon le dernier rapport de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), l’organisme confirme n’avoir jamais délivré si peu de nouveaux permis depuis 10 ans. En 2022-2023, 2864 permis ont été délivrés contre 3600 en moyenne par année depuis 2013-2014.

Pourtant, dans le vaste univers qu’est la santé publique, le métier d’infirmier.ère occupe une place majeure dans le bon fonctionnement des établissements de soins et du bien-être des patient.e.s. Leurs tâches recoupent notamment l’administration des médicaments, des premiers soins, de la toilette des patient.e.s ; mais aussi de faire preuve de réactivité, d’attention et d’écoute à l’égard des patient.e.s et de leurs proches… Bref, beaucoup de compétences et de connaissances souvent méconnues sont nécessaires à l’exercice de ce métier.

Mais est-ce que le salaire et les conditions de travail reflètent la complexité et l’importance du travail de ces véritables anges gardiens de notre système de santé? J’ai parlé avec trois infirmières pour répondre à cette question.

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Technicienne vs clinicienne

Avant de parler salaire, parlons plutôt d’études, puisque le chemin peut s’avérer être long et parfois difficile avant de décrocher le titre d’infirmier.ère.

D’ailleurs, au Québec, il y a plusieurs types d’infirmier.ières : les technicien.ne.s et les clinicien.ne.s. Le statut de technicien.ne s’obtient à la fin du cégep alors que celui de clinicien.ne s’obtient à la suite d’un baccalauréat. La première formation permet d’exercer plus rapidement à titre d’infirmier.ière, mais les avantages sont aussi plus limités (ce que je vais décrire plus bas).

Un des parcours les moins sinueux pour exercer en tant qu’infirmier.ère clinicien.ne est le bac en sciences infirmières. C’est ce qu’a complété Tran, 32 ans et infirmière clinicienne au CHUM.

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Cependant, plusieurs autres parcours sont possibles. C’est le cas, par exemple, de Quim, 32 ans, elle aussi infirmière clinicienne au CHUM : « Le bac en soins infirmiers ne m’intéressait pas puisque pour moi, c’est un peu de la répétition avec ce qu’on a vu dans la technique. Pour le compléter, il fallait faire un peu de recherche, écrire des articles scientifiques, ce sont moins des trucs qui m’intéressaient. Mon bac par cumul, je l’ai fait en intervention en santé mentale et en toxicomanie, puis en gestion de la santé et des services sociaux. ».

Dans tous les cas, les études pour y arriver nécessitent beaucoup de persévérance, selon ces pratiquantes. « C’est exigeant, c’est beaucoup d’études. Le métier évolue énormément. Les connaissances aussi. On a des cours de bio, de chimie. C’est quand même assez poussé. On n’est pas des médecins, mais on a quand même la vie des gens entre nos mains. Il faut réfléchir, avoir de bons réflexes… », raconte Quim.

La formation implique aussi plusieurs stages non rémunérés, ne laissant pas d’autres choix aux étudiants qui veulent être autonomes financièrement que d’avoir un deuxième emploi. « Je me rappelle que quand j’étais en stage, je rentrais chez moi, je changeais d’uniforme, puis de 17h à 23h, je travaillais au McDo. Ensuite, je faisais mes travaux à 2h du matin et je me réveillais à 7h pour aller faire mes stages. Ça coupe un peu ta vie sociale et ça implique des sacrifices, mais moi, j’adorais ce que je faisais, donc je l’ai bien vécu », ajoute Quim.

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Le salaire : une question de formation et de milieu

Question salaire, le revenu associé à la profession est fixé selon une grille salariale conventionnée. À ses débuts, un.e infirmier.ère technicien.ne touche 25,81$ de l’heure et peut aller, selon l’ancienneté et l’expérience, jusqu’à 41,39 $. Annuellement, ça représente un salaire d’entre 50 330$ et 80 710$, en faisant un 37,5 heures par semaine, comme l’indique la convention collective de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ).

Pour les clinicien.ne.s, le taux horaire commence à 27,08$ de l’heure et peut atteindre les 47,98$. Ça représente un salaire annuel qui oscille donc entre 52 806$ et 93 561$, toujours selon la FIQ.

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Comme pour Tran qui travaille dans le service Hépato-Néphro et qui arrive à faire toutes ses heures en 4 jours, certain.ne.s se réservent un jour de la semaine pour aller exercer en externe. Dans le jargon, « travailler en externe » signifie exercer le métier en agence privée. Là-bas, le salaire y est plus élevé, selon Tran : « Au CHUM, je suis à 32$ [de l’heure] et en externe, je suis à 35$ [de l’heure]. À l’année, j’ai fait 75 000$ en travaillant 35 heures [par semaine] au CHUM, et 8 heures [par semaine] en privé, le vendredi. ».

Quim, qui exerce au service toxicomanie et psychiatrie, est à 45$ de l’heure et explique que son taux horaire pourrait aller jusqu’à 50$ de l’heure. « Ensuite, il y a des primes de week-end, de soir, de santé mentale… Ça peut varier aussi si tu es infirmière en chef », raconte-t-elle.

Si la rémunération est plus conséquente au privé, le cadre de l’hôpital offre toutefois d’autres avantages, comme l’explique Tran : « Il y a des assurances, des massages gratuits, des visites avec des psychologues, des primes d’ancienneté qui te permettent d’avoir des semaines de vacances assez facilement. Présentement, je suis à 4 [semaine de vacances par année], mais je vais bientôt pouvoir passer à 5. »

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Pour Inès, 28 ans, immigrante française et infirmière clinicienne au bloc opératoire à l’Hôpital Notre-Dame, ces conditions de travail sont nettement meilleures que celles offertes en France. « On est payées presque le double par rapport à la France. Et niveau reconnaissance, on compte plus, même par rapport aux médecins », estime-t-elle.

Les longues heures et l’impact émotionnel

Malgré le salaire et les avantages offerts par l’hôpital, les conditions de travail de ces établissements de santé publics peuvent parfois révéler des côtés plus ardus. « On nous en demande toujours plus, et nos salaires ne suivent pas. Il manque d’infirmières, donc la charge de travail est alourdie », raconte Quim.

Selon cette infirmière, quand des personnes sont malades ou absentes, il est obligatoire de rester pour les remplacer. C’est ce qu’on appelle le « temps supplémentaire obligatoire » (TSO). « Par contre, un truc beaucoup moins le fun par rapport à la France, c’est le TSO. Techniquement, tu n’as pas le droit de refuser », confie Inès. Le TSO force donc les infirmier.ère.s à travailler 16 heures d’affilée au lieu de 8. « En fait, quand tu fais un shift de 16 heures et que tu commences à 8h du matin, c’est encore jouable, parce que tu te lèves à 8h et tu te couches tard. Mais quand tu fais 16 heures en commençant à 16h pour finir à 8h, c’est vraiment difficile. Parce que là, c’est 24h debout que tu passes après t’être levée à 8h du matin », ajoute-t-elle.

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Le fait de devoir faire face à des situations parfois éprouvantes sur le plan émotionnel fait aussi partie du métier, comme l’explique Tran : « Faut être capable de gérer ses émotions. Tu côtoies la mort régulièrement. Les patients sont aussi parfois tellement malades qu’ils ne sont pas eux-mêmes. Ils sont plus instables et irritables, et leurs familles peuvent aussi l’être. Ils t’en demandent beaucoup. »

Des propos qui semblent faire écho à l’expérience d’Inès : « À 19 ans, alors que tu es un peu protégée, tu te retrouves confrontée à la mort, à la maladie… À des trucs pas drôles, quoi. Mais après un moment, tu t’y fais parce que ça fait partie de la vie », conclut-elle.

Être infirmière : une vocation?

Le sentiment d’être utile et la satisfaction que l’on peut en tirer font bel et bien partie du corps même de cette profession sont d’importantes sources de motivation. « J’aime voir les patients retrouver une meilleure santé. J’aime voir les petits efforts qu’ils font. C’est très satisfaisant et la reconnaissance qui vient après, vraiment, ça touche le cœur », confie Tran.

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Le fait de profiter d’un environnement professionnel effervescent, diversifié et collaboratif est aussi une force, selon Quim : « J’ai la chance de travailler dans une équipe diversifiée. On travaille avec des médecins, des gens en intervention, des travailleurs sociaux, j’aime le côté multifacette du travail ».

C’est un secteur qui offre aussi de nombreuses opportunités d’évolution, tant pour changer de service que pour gagner en responsabilité.

« Il n’y a pas de routine, tu peux changer. Il y a une belle diversité dans le métier », raconte Inès.

Être dans un secteur économique qui cherche constamment à recruter fait assurément partie des forces de la profession. En effet, la promesse de toujours pouvoir travailler assure une sécurité et un sentiment de confiance pour les pratiquant.e.s. « Je peux exercer mon métier n’importe où », explique Inès. « Dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les compagnies d’assurance et les compagnies aériennes… », illustre Quin.

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« Au total, j’ai démissionné 6 mois avec de gros breaks de 2 mois. Ma sœur qui est en marketing me dit qu’elle ne pourrait jamais faire ça de peur de perdre son travail. Moi, je n’aurai jamais peur. Si je suis en galère financièrement, demain, je peux travailler », assure Inès.