Pardonnez-moi d’être aussi directe, mais voulez-vous des enfants?
Peut-être est-ce votre vœu le plus cher depuis votre plus tendre enfance ou c’est peut-être le désastre climatique imminent qui guette notre planète qui vous a découragé? Sinon, le coût de la vie, du loyer et du morceau de parmesan à l’épicerie ont-ils eu raison de vos ardeurs?
Parce qu’avoir un enfant n’est pas sans ses coûts. Selon une étude de Statistique Canada, en 2023, le ménage québécois moyen devait débourser 17 235 $ par enfant, par année. Au total, cela revient à 293 000 $ de l’enfance jusqu’à la majorité. En 2024, d’après le site de planification financière Hardbacon, ce chiffre aurait augmenté pour atteindre environ 400 000 $.
Avec de tels chiffres, ne serait-ce pas fabuleux de bénéficier d’un salaire permettant d’élever son petit bout de chou adéquatement?
Et si on vous disait que certains parents reçoivent de l’argent pour s’occuper d’un enfant? C’est le cas des familles d’accueil qui ont fait le choix d’ouvrir leur porte et leur cœur aux enfants des autres.
La question se pose : une famille d’accueil, combien ça gagne?
LA VOCATION AVANT L’ARGENT
Au Québec, le salaire d’une famille d’accueil dépend de plusieurs facteurs. « Pour chaque enfant, on fait une classification dépendant des services qu’on a à lui rendre. Plus on rend de services, plus la rétribution sera élevée », explique Mélanie Gagnon, présidente de la Fédération des familles d’accueil et ressources intermédiaires du Québec (FFARIQ).
Selon le site du gouvernement du Canada, au Québec, le salaire horaire pour un parent de famille d’accueil se situe entre 15,75 $ et 25,28 $, ce qui équivaut annuellement à environ 39 000 $.
L’aspect monétaire peut-il encourager certains à faire ce don de soi?
Selon Mélanie Gagnon, qui est aussi parent d’accueil depuis 23 ans, la réponse est sans équivoque : « être famille d’accueil, on ne le fait pas pour l’argent. »
D’ailleurs, elle est plutôt mal à l’aise de parler de rémunération lorsqu’il est question d’un enfant. Pour elle, ce n’est pas un emploi, c’est une vocation, et surtout, « c’est 24h sur 24, sept jours sur sept ».
Faire don de soi
Quand Mélanie Gagnon a décidé de devenir famille d’accueil, elle était déjà maman d’une fille de deux ans et demi et un fils d’un an. Elle rêvait d’une grande famille, « je me disais trois enfants, c’est grand! ».
Le choix de devenir famille d’accueil lui est alors apparu comme une évidence. « Ma belle-mère était famille d’accueil et j’ai dû m’occuper de jeunes personnes dans ma famille. Je me suis dit : tant qu’à déjà le faire, je suis aussi bien de le faire pour les autres. »
C’est ainsi qu’elle est devenue mère à la maison à temps plein, pour s’occuper de ses enfants et de ceux des autres, ses « petits cocos », comme elle les appelle affectueusement.
Aujourd’hui, elle est toujours famille d’accueil, et a même adopté deux des enfants qu’elle accueillait chez elle, faisant grimper le nombre de membres de sa « grande famille » à cinq enfants.
En 23 ans, elle estime avoir accueilli près de 106 enfants chez elle. « À une certaine époque, j’avais six enfants en famille d’accueil. J’avais donc 11 enfants à la maison. »
Elle a même gardé contact avec certains d’entre eux : « Quelques-uns sont venus me présenter leurs enfants! »
Un lien quasi charnel
Pour Mélanie, le lien biologique ne se limite pas à ses enfants. « J’ai présentement deux sœurs. Ça fait neuf ans que je les ai. Pour moi, c’est mes filles. Elles m’appellent “Mamou”. »
Et ce lien se propage aussi chez les autres membres de la famille Gagnon : « Mon fils, c’est leur grand frère, et ma fille, c’est leur grande sœur. »
Et lorsque Mélanie a voulu adopter sa dernière fille, elle affirme que le choix a été fait en famille. « On a demandé aux enfants parce que le choix les impactait aussi. Passer de quatre à cinq enfants, c’est des coûts supplémentaires. »
Qu’est-ce qui explique cette fusion au sein de cette famille? Pour répondre à ma question, Mélanie évoque un jeune qu’elle a accueilli alors qu’il avait 15 ans. « Je l’ai eu pendant des années et j’ai développé avec lui un lien presque aussi fort qu’avec mes enfants. Cet enfant-là est venu me chercher dans mon for intérieur, malgré ses difficultés. »
Mélanie ne cherche surtout pas à cacher que ses « petits cocos sont des enfants à problèmes ». Elle évoque la consommation des parents de certains, la souffrance des autres, « il y en a qui se font battre ». Pour Mélanie, offrir un havre de paix est primordial pour ses petits cocos.
Le mal de l’enfance
Le CIUSSSCN recrutement jeunesse rend disponible des mises en situation, histoire de bien préparer le futur parent d’accueil. On peut y lire l’histoire d’un enfant d’un mois en sevrage de drogue, de trois enfants ayant été témoins de la violence conjugale et d’une enfant ayant été en situation d’itinérance.
Des cas de figure malheureusement bien réels.
« Les enfants que j’accueille ont souvent vu des choses qu’ils n’auraient pas dû voir. Ils ont des problèmes de santé mentale. »
Mélanie explique qu’en étant famille d’accueil, il faut accueillir tout de l’enfant, incluant son histoire : « Quand un enfant te raconte avoir été victime d’abus sexuels, tu ne peux pas t’écraser en pleurant. Ça m’est arrivé plusieurs fois : je me contentais d’écouter l’enfant et quand il avait fini, je m’enfermais dans ma chambre et j’éclatais en sanglots. »
Mélanie souligne que la FFARIQ peut devenir un lieu de réconfort et de soutien. « On y offre de l’écoute active. Si une famille vient me voir et me confie avoir de la misère, je leur demande s’ils ont fait appel à leurs services. Entre familles d’accueil, on échange beaucoup. »
Panser les plaies
Si l’on revient au salaire annuel médian des familles d’accueil, il serait important de contrebalancer ce montant en évoquant les difficultés des enfants accueillis puisque celles-ci dépassent parfois les capacités des familles d’accueil.
« Au Québec, les centres jeunesse sont en crise. Ils n’arrivent pas à fournir le suivi dont ces enfants-là ont besoin. »
Bien que les enfants placés en familles d’accueil soient légalement la responsabilité de l’état, ce sont souvent les familles d’accueil qui doivent payer de leur poche les coûts reliés aux besoins de l’enfant.
À ce sujet, Mélanie s’insurge : « Quand ça les arrange, c’est “nos” enfants ». Malgré tout, elle insiste que « les familles d’accueil, on ne regarde pas ça [l’argent], et on donne le soin à l’enfant qui en a besoin ».
Elle évoque le cas d’une famille d’accueil qui avait la charge d’un enfant de trois ans ayant besoin d’un orthophoniste. « Un orthophoniste, au public, c’est six mois, un an, deux ans d’attente… Le p’tit allait commencer l’école avec un retard de langage sévère. La famille d’accueil a donc décidé d’aller au privé et de payer de sa poche. »
Malgré tout, Mélanie demeure optimiste : « Une famille d’accueil, c’est une famille de cœur. Même quand tu vis des moments difficiles, tu te concentres sur les petites réussites, même si elles sont très petites. Tu as quand même fait un changement positif dans la vie de cet enfant-là ».