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Quatre95

Combien ça gagne, un médecin?

La question qui tue : public ou privé?

Par
Maylis Roumy
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Au Québec, le système de santé peine à répondre à la demande. Alors qu’un quart de la population n’a toujours pas de médecin de famille, de plus en plus d’individus se tournent vers le privé, au risque de devoir débourser quelques centaines de dollars pour obtenir un rendez-vous. L’offre du privé est aussi alléchante pour les médecins qui sont de plus en plus nombreux chaque année à changer de bord, un exode que le gouvernement peine à freiner.

Mais est-ce que ça veut dire que les médecins qui travaillent au privé s’en mettent plein les poches? Puis, pour ceux qui travaillent au public, c’est-tu si pire que ça?

Pour répondre à ces questions, j’ai discuté avec deux professionnels du domaine de la santé. D’un côté, Geneviève Gaëtan, pédiatre engagée dans le système public et ex-cheffe du département de pédiatrie du CISSS de l’Outaouais. De l’autre, Alain Chamoun, directeur des cliniques privées MD-Plus et ancien médecin d’urgence. Deux parcours, deux visions du métier, mais une réalité commune : être médecin.

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Passage obligé

Avant de parler chiffres, un rappel s’impose : devenir médecin demande de la persévérance (et un certain goût pour les études). Après un doctorat d’environ 4, 5 ans, une résidence pouvant durer entre 2 ans (pour la médecine familiale) et 6 ans (pour les spécialisations), et un examen final, les futurs médecins peuvent enfin exercer leur profession.

Pour les plus déterminés, il est aussi possible de se surspécialiser au terme de quelques années supplémentaires.

Le public : entre convictions et défis

Pédiatre depuis 2015, Geneviève Gaëtan n’a jamais envisagé se tourner vers le privé. Elle croit que tout le monde devrait avoir accès aux mêmes soins de santé :

« J’aime qu’au Québec, notre système de santé soit public », soutient la pédiatre.

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Mais elle est aussi consciente des défis auxquels il fait face. En plus des délais, elle avoue ressentir les impacts de la pénurie de personnel, surtout auprès de ses collègues vers lesquels elle redirige des enfants ayant des besoins spécifiques, comme les ergothérapeutes, les orthophonistes ou encore les psychologues. « On n’a aucun psychologue dans la région qui fait du public », regrette-t-elle. À cela s’ajoute l’exode du personnel infirmier vers l’Ontario où le salaire est plus compétitif. « On a tout le temps cette épée de Damoclès au-dessus de notre tête qui dit : “Peut-être que vous allez devoir fermer, parce que vous n’avez pas assez de personnel.” »

Un salaire (très) compétitif au public

Côté rémunération, il faut savoir que les médecins sont considérés comme des travailleurs autonomes. Ils ne sont pas employés des hôpitaux, ce qui signifie, entre autres, qu’ils doivent payer eux-mêmes leurs assurances. « On ne nous donne d’ailleurs aucun cours sur comment gérer nos finances », déplore Geneviève.

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Différents modes de rémunération existent, tout dépendamment des spécialités. En pédiatrie, explique Geneviève, il est mixte : « On a un montant pour chaque demi-journée travaillée, plus une rémunération à l’acte. » La rémunération à l’acte est fixée selon un montant déterminé dans le Manuel des médecins spécialistes (ce même manuel existe aussi pour les médecins omnipraticiens).

Créé par la RAMQ il y a plus de 50 ans, il est, selon la pédiatre, trop rarement mis à jour et les montants ne varient pas selon l’ancienneté du praticien (moi qui étais persuadée que Gérald et ses 45 ans d’expérience gagnait plus!).

Geneviève gagne donc un peu moins de 300 000 $ brut par année.

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Un salaire confortable, mais qui ne rivalise pas avec celui d’autres spécialistes comme les ophtalmologues dont le revenu annuel brut est estimé à un peu plus de 725 000 $, selon les derniers chiffres de l’Institut canadien d’information sur la santé, les plaçant tout au haut du palmarès (suivi des chirurgiens généraux avec un salaire annuel brut avoisinant les 615 000 $).

Le privé, une alternative en pleine expansion

De son côté, Alain Chamoun, directeur des cliniques privées MD+, est médecin depuis 1990. Ayant d’abord pratiqué comme urgentologue, il a travaillé au Centre hospitalier de Lanaudière à Joliette. En 2004, il a lancé sa première clinique privée MD+. Aujourd’hui, le réseau est composé de quatre établissements tous situés dans la région de Montréal. « On est devenu une sorte de mini-GMF privé, mais sans aide financière du gouvernement », explique-t-il.

Pour Alain Chamoun, le privé a sa place au Québec, puisqu’il s’agit selon lui d’une alternative aux services publics.

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« Ceux qui payent des impôts financent tous les services publics. Alors, pourquoi empêcher des gens qui payent déjà, et qui contribuent à rendre le service disponible à l’ensemble de la population, de payer pour leurs propres services? »

Dans les cliniques MD+, un rendez-vous d’une demi-heure pour un non-membre coûte, selon les tarifs affichés sur leur site web, 240 $. Interrogé sur le coût des services en clinique privée, Alain explique que ce n’est pas l’intégralité de la somme payée par les patients qui revient au médecin : une partie importante du montant sert à couvrir, entre autres, les frais d’infrastructures, l’équipement et le personnel infirmier. « Ils payent pour l’ensemble du service », précise-t-il.

Les nombreux modèles de rémunération du privé

Évidemment, la rémunération au privé diffère de celle au public, et chaque clinique bénéficie de sa propre tarification. Certaines cliniques privées optent pour une rémunération à salaire, basée sur un tarif horaire fixe. D’autres privilégient un système combinant un minimum garanti, destiné à assurer une certaine stabilité financière, avec un pourcentage tiré de la rémunération à l’acte.

Il existe aussi des modèles de partage de revenus, où les recettes de la clinique privée sont réparties entre le médecin et la clinique.

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Le modèle adopté dans les cliniques MD-Plus est hybride puisqu’il mêle un partage des revenus et un minimum garanti pour les nouveaux praticiens, ce qui permet de « sécuriser » les médecins qui font le saut du public au privé.

C’est ainsi que les médecins de famille qu’emploie Alain, majoritairement à temps partiel, génèrent des revenus qui varient en fonction du nombre d’heures et de semaines travaillées, ainsi que de la fréquence des consultations. « Voir des patients toutes les 25 minutes ou toutes les 45 minutes peut faire varier les revenus du simple au triple », explique-t-il. Il estime la moyenne annuelle de salaire à environ 225 000 $ brut pour les médecins de famille de son réseau. En comparaison avec le public, toujours selon les chiffres de l’ICIS de 2022-2023, un médecin de famille au Québec à temps plein gagnait en moyenne 384 305 $ brut.

Contrairement au secteur public, où les professionnels sont sûrs d’avoir des patient.e.s, le privé comporte des incertitudes.

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Cette réalité se traduit par des fluctuations de revenus en fonction des périodes de l’année, entre haute et basse saison. « Dans le privé, les revenus ne sont pas garantis », rappelle Alain Chamoun, ce qui peut faire hésiter certains professionnels.

Au public, des tarifs qui datent

Questionnée sur les tarifs, Geneviève regrette que la rémunération à l’acte du Manuel des médecins spécialistes n’ait pas suivi l’évolution du système de santé et de la pratique de la médecine. En pédiatrie, par exemple, la prise en charge des patients exige désormais plus de temps, car la majorité des enfants qui consultent un pédiatre ont des besoins particuliers.

Un point de vue que partage Alain : « La réalité d’aujourd’hui et la réalité du début des années 1970, c’est tellement différent, mais on utilise la même logique depuis 50 ans pour établir les barèmes et les tarifs qui sont facturés. La facturation à l’acte vient avec des déséquilibres et une forme d’incitation à travailler d’une certaine manière pour optimiser et générer le plus de revenus possible », déplore-t-il.

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Être médecin est donc assurément payant, mais ce métier s’inscrit dans un écosystème complexe, souligne Alain. Malgré ces défis, il reste le plus beau métier du monde aux yeux de Geneviève : « Toute la journée, tu prends des décisions pour sauver la vie d’une personne que tu ne connais pas. »