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Combien ça gagne, un lutteur au Québec?
Quand j’étais petit, je demandais souvent à ma mère si elle viendrait me voir me battre une fois que je serais devenu lutteur.
Habituellement, elle se contentait de rouler des yeux en me disant qu’avec un peu de chance, je changerais d’idée d’ici là (à sa défense, je n’avais AUCUNE fibre sportive dans tout mon être).
Ces gars-là gagnaient leur vie en se battant en bobettes, tout ça, en remplissant des arénas.
Je comprenais mal. Ça me semblait une profession tout à fait honorable. Ces gars-là gagnaient leur vie en se battant en bobettes, tout ça, en remplissant des arénas. Non seulement ça me semblait une façon vraiment divertissante de gagner son pain, mais ça devait aussi être bien payé, non?
Maintenant, je suis un grand garçon, et je ne suis pas devenu lutteur. J’en ai toutefois connu quelques-uns à force de mener des entrevues pour Balle Courbe. Voilà pourquoi j’ai contacté Benjamin Tull pour lui poser la question qui fait mal (probablement moins qu’un coup de chaise) : combien ça gagne, un lutteur au Québec?
Un salaire variable
La vérité, c’est qu’il n’y a pas une seule réponse à cette question. Plusieurs facteurs vont déterminer le cachet d’un lutteur, mais principalement sa place sur la carte. Un lutteur qui débute ne touchera pas le même cachet qu’un vétéran populaire qui détient le titre de champion, par exemple.
« Quand tu débutes, ça peut-être entre 0$ et 25$ [pour un match]. Quand ça avance, tu peux avoir du 50$ à 75$. Puis quand t’es un lutteur vraiment plus avancé, tu peux te faire 100$, 150$ ».
Et les grosses vedettes invitées dans les spectacles comme attraction spéciale, qu’ils soient des ex-WWE ou des Québécois qui connaissent du succès à l’international, peuvent espérer aller chercher 350$ et plus selon Tull.
Le degré d’expérience et de popularité, comme je le disais, n’est pas le seul facteur; la fréquence des contrats joue également un rôle important : « Si tu te fais appeler et que tu sais que ça va être un one-shot deal, la récurrence est incertaine, c’est sûr que je vais demander plus. Mais si c’est une fédération qui a beaucoup d’exposure, que tu vas revenir plus souvent, aux mois ou toutes les deux semaines, tu vas dealer moins parce que tu veux faire partie de cette ligue-là et tu sais que l’entrée d’argent va venir plus régulièrement ».
La violence ne paie pas
À ma grande surprise, un facteur qui n’entre pas vraiment en jeu, c’est le degré de danger impliqué dans le match. Que ce soit un match régulier où c’est plus facile de « faire semblant » de se faire mal (je mets des guillemets parce que peu importe ce que tu fais, un match de lutte, ça fait mal), ou un match hardcore avec des tables en feu, des barbelés pis des Lego sur le sol (terrifiant), c’est normalement le même salaire… même si certains promoteurs sont plus généreux.
« J’ai déjà fait un match un peu plus violent, le promoteur est venu me voir sans que je n’aie rien demandé et il m’a donné le double de ma paye pour me remercier. »
« J’ai déjà fait un match un peu plus violent, le promoteur est venu me voir sans que je n’aie rien demandé et il m’a donné le double de ma paye pour me remercier. Mais c’est vraiment pas tous les promoteurs qui sont comme ça! »
Une affaire de passion
Vous commencez à le comprendre, être lutteur au Québec, on ne fait pas ça pour l’amour du cash. Les frais sont nombreux : les lutteurs doivent fournir leur équipement. Une paire de bottes de lutte vous coûtera facilement 200$, des protège-genoux une soixantaine de dollars pour la paire, un maillot de lutteur, aisément 200$. Et dans tous ces cas, on parle d’équipement très basique, qui vous fera ressembler à un lutteur créé par votre petit frère au Nintendo 64.
C’est sans compter que les lutteurs doivent souvent couvrir de longues distances pour se rendre à leurs matchs, et qu’ils sont responsables de leur propre transport.
« J’ai lutté pendant 15 ans gratuitement, je ne suis pas encore rentré dans mon argent! »
« J’ai lutté pendant 15 ans gratuitement, je ne suis pas encore rentré dans mon argent! », dit Benjamin Tull.
Et pour tirer son épingle du jeu, il faut savoir négocier : « Moi, quand je vais à l’extérieur, je vais toujours charger pour le gaz, et si je ne reviens pas le soir même, je demande à être hébergé. Idéalement, je demande une chambre d’hôtel, mais je demande au minimum un lit, je ne veux pas être pogné à aller chez un gars de la gang pour dormir sur le divan. Reste qu’il faut que tu comprennes que si tu débutes dans la business, c’est sûr que le promoteur ne voudra pas payer pour ce genre de choses parce que tu va coûter trop cher par rapport à ce que tu peux amener à son spectacle. »
Jumeler famille, travail et lutte
Pour la majorité des lutteurs sur la scène locale, la lutte reste donc une passion, mais une passion qu’ils doivent vivre les fins de semaine, entre les obligations de la vie familiale et professionnelle.
Benjamin Tull, qui est aujourd’hui père de famille, n’a plus le même rapport avec la lutte que dans ses jeunes années. « Moi, aujourd’hui, si je vais lutter à l’extérieur, ben je sacrifie une journée avec ma famille. Alors je vais en demander plus, quitte à ce que [les promoteurs] me disent non, parce que c’est pas grave s’ils le font, je vais passer la fin de semaine avec ma famille ».
Il faut également avoir un patron qui va accepter qu’on doive partir plus tôt certains vendredis parce qu’on lutte à Toronto, ou qu’on va peut-être être magané lundi après s’être fait péter une chaise sur le dos pendant le week-end.
Benjamin Tull, lui, a trouvé une solution qui lui permet d’avoir plus de flexibilité : il a fondé sa propre entreprise, Les Touriers, qui fournit des viennoiseries aux commerces montréalais.
« Il y en a plusieurs qui pourraient lutter beaucoup plus, mais ils ne le font pas parce qu’ils n’ont pas cette flexibilité-là avec leur emploi. »
Ce n’est pas tout le monde qui a cette chance, et ça vient parfois avec des conséquences : « Il y en a plusieurs qui pourraient lutter beaucoup plus, mais ils ne le font pas parce qu’ils n’ont pas cette flexibilité-là avec leur emploi ».
Vivre de la lutte?
Est-ce que la lutte est condamnée à rester un hobby pour ceux qui la pratiquent? Ou, est-ce possible d’arriver à en vivre?
« Ultimement oui, mais on peut pas lutter juste au Québec. Personne ne vit que de la scène québécoise. »
Il faut donc accepter d’aller lutter ailleurs dans le monde, que ce soit dans les grosses ligues américaines comme la WWE ou la AEW, mais aussi dans des ligues indépendantes aux États-Unis, au Mexique, en Europe et au Japon.
Percer dans le monde de la lutte et en faire son gagne-pain demande également d ’être prêt à faire quelques sacrifices au niveau du mode de vie. « C’est sûr que si j’avais décidé de ne vivre que de la lutte, je n’aurais pas tout ce que j’ai aujourd’hui. »
Bref, les lutteurs qui se produisent devant vous le font parce qu’ils sont de vrais passionnés. Pensez peut-être à leur acheter un t-shirt la prochaine fois que vous allez les voir en spectacle? Ça va les aider à payer leur gaz.