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Combien ça gagne, un livreur Uber?
Je ne sais pas pour vous, mais les livreurs Uber de mon quartier ont sûrement plus vu l’intérieur de ma maison que plusieurs de mes amis. C’est dire à quel point je peux être paresseux (et limite sauvage) au quotidien.
Naïvement, je me suis souvent dit qu’en considérant mon nombre élevé de commandes, ces livreurs devaient être plutôt bien payés? Je me suis vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas exactement de cette façon. Simplet, je sais!
J’ai donc rencontré deux livreurs Uber qui ont pu m’éclairer sur la question afin d’avoir l’air un peu plus brillant à l’avenir.
« L’ex-arrondisseur » de fin de mois
Si on se fie aux données d’Uber au Québec, la majorité (65%) des chauffeurs ayant rejoint la plateforme qualifient leur travail comme étant « à temps partiel » ou « occasionnel ». On compte dans cette statistique les chauffeurs et les livreurs. Philippe Gaucher, 26 ans, fait partie de cette deuxième catégorie.
Durant deux étés consécutifs, en 2019 et en 2020, il a mis ses mollets à dure épreuve. Oui, ce jeune homme a plutôt opté pour la livraison à vélo! Pourquoi? Habitant dans le Centre-Sud à Montréal, de nombreux restaurants ne sont qu’à un petit coup de pédale. De plus, étant un skieur de haut niveau, il y voyait une bonne façon de s’entraîner et… de s’amuser! « Pour moi, c’était quasiment un jeu de géo-cache! », me lance-t-il candidement.
Lors de ces deux périodes estivales, le travailleur autonome mixait ses contrats en marketing aux courses Uber. Quand je le questionne sur son salaire, il m’explique qu’il a noté une nette différence entre la période pandémique et l’été précédent.
En 2019, son taux horaire oscillait entre 25 et 27 $ de l’heure en incluant les pourboires. Un an plus tard, cela pouvait parfois grimper jusqu’à 32 $ de l’heure.
On s’entend que la livraison a eu la cote durant la pandémie, et ça paraît! (Avions-nous vraiment autre chose à faire?)
Afin de maximiser ses revenus, Philippe privilégiait les deux périodes les plus achalandées de la journée, soit le dîner (entre 11h30 et 14h30) et le souper (de 17h30 allant parfois jusqu’à 22h00 selon lui).
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le salaire d’un livreur Uber est séparé en deux portions : la rémunération de la plateforme, ainsi que le pourboire des clients.
Il faut ensuite tenir compte de la « majoration ». Sur leur carte, les livreurs peuvent apercevoir des zones orange ou rouges qui indiquent une augmentation de tarif. En travaillant dans ces secteurs, les employé.e.s Uber voient la portion de leur rémunération assumée par la plateforme rehaussée.
Philippe, notre « ex-arrondisseur de fin de mois professionnel », était en mesure de faire grimper ses gains en se limitant à ces zones animées et en refusant les plus petites commandes. Au final, il s’agit de bien comprendre le fonctionnement de l’algorithme et de tenter d’en tirer profit au maximum.
Est-ce qu’il le referait aujourd’hui? Très certainement, mais il éviterait peut-être certains secteurs de la ville où voitures et bicyclettes cohabitent de façon moins, disons, harmonieuse? Ouais, disons-le ainsi, bien poliment.
Le maître du fichier Excel
Marc-André Gagnon fait quant à lui partie du 29 % des chauffeurs pour qui la plateforme est la principale source de revenus. Depuis mai 2020, celui qui documente également son quotidien de livreur sur TikTok se concentre essentiellement sur la Rive-Nord de Montréal. Son horaire peut varier, allant d’une vingtaine à une cinquantaine d’heures par semaine (s’il est bien motivé).
D’entrée de jeu, il m’explique qu’au départ, il n’était présent que sur Uber Eats. Par contre, au fil du temps, il a ajouté d’autres applications de livraison à son quotidien. De cette façon, il s’expose à plus de commandes. Comment fait-il? « Mes applications sont toutes allumées. Quand une commande sonne et qu’elle est intéressante, je l’accepte et je mets les autres applications sur pause », m’explique Marc-André.
C’est avec ce modus operandi qu’il réussit à obtenir un taux horaire variant entre 22 et 25 $ de l’heure. En 2022, son salaire annuel s’est élevé à 42 000 $.
Se déplaçant en voiture, il faut cependant soustraire de ses revenus une partie de son essence, de ses assurances, de son immatriculation de véhicule ainsi que ses frais de cellulaire. Selon ses estimations, ces dépenses se chiffrent à environ 25 % de ses revenus générés.
Comment fait-il pour maximiser ses revenus? Pourquoi l’avoir surnommé plus tôt le « maître du fichier Excel »? Ces deux questions seront répondues simultanément.
Marc-André ne laisse pas le choix de ses commandes entre les mains du hasard. Chaque décision est soigneusement réfléchie. Il a initialement bâti une grille Excel dans laquelle chaque course y est inscrite, ainsi que les profits engendrés pour chacune d’entre elles. En tenant compte de ses dépenses, c’est de cette façon qu’il a pu conclure que chaque livraison lui coûte 21 cents par kilomètres. Pour lui, une course commence à être intéressante lorsque le tarif offert tourne aux alentours d’un dollar par kilomètre. C’est pourquoi il refuse une majorité des commandes qui lui sont proposées. « Mon taux d’acceptation est entre 20 et 35 % », ajoute-t-il avec autant de précision qu’un Paul Houde questionné sur des statistiques de hockey.
« J’ai l’impression que pour que ce soit ton revenu principal, il faut que tu sois vraiment organisé? », je lui demande, encore ébahi par son travail de moine. (Sans farce, la dernière fois que je me suis fait expliquer une notion avec autant de chiffres à l’appui, c’était pendant mon cours de maths fortes en secondaire 5!) Il me répond alors qu’en effet, cette tenue de livres est capitale. Elle lui permet de déduire certaines de ses dépenses et ainsi de réduire son revenu imposable.
Finalement, je lui demande s’il compte se lancer à la livraison à temps plein dans un horizon rapproché.. « Non », me répond-il du tac au tac avec une honnêteté déconcertante.
« J’aime ça, mais je suggère ça comme un bon sideline ! », ajoute-t-il.
Il m’avoue qu’il n’a peut-être pas la discipline nécessaire pour se créer un horaire régulier, surtout avec un emploi qui lui offre une si grande flexibilité. Ah, la tentation!
Maintenant, avant de se lancer dans cette grande aventure, sachez qu’il ne suffit que de s’inscrire en ligne et qu’une vérification de vos antécédents judiciaires sera faite. Si vous n’avez jamais été un « p’tit bum », tout devrait bien aller!