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Combien ça gagne un courtier immobilier?
Avec des émissions comme L’Agence en France, Selling Sunset à Los Angeles, ou plus récemment Conquérir Manhattan à New York qui pullulent sur Netflix, on pourrait croire que devenir courtier.ère, c’est s’assurer de faire du gros cash – et c’est vrai qu’on peut sacrément s’enrichir en vendant des maisons, m’ont confirmé les quatre courtier.ère.s que j’ai rencontré.e.s.
Mais le souci, avec ces émissions, c’est qu’elles montrent seulement la belle facette de la job, comme si tout était simple et qu’au final, être courtier.ère, ça se résumait à visiter des biens d’exception et à annoncer autour d’un verre à ses client.e.s que la vente est conclue. Comme me l’ont expliqué Vianney, Diana, Yanic et Frédérique, derrière les paillettes, il y a beaucoup de sacrifices et d’investissement.
Pas de vente? Pas d’argent!
En premier lieu, il faut savoir que tous.tes les courtier.ère.s sont travailleur.se.s autonomes, bien qu’ils et elles soient affilié.e.s à des agences (ou « bannières », dans le jargon). Ça, ça veut dire beaucoup de paperasse et de gestion, mais aussi, pas de plafond de salaire – un avantage quand les affaires fonctionnent!
Ils et elles sont donc payé.e.s à la commission, qui est perçue après le passage chez le notaire, qui oscille entre 2 à 6 % du prix de vente.
Toutefois, si, par malheur, le vendeur n’est pas satisfait par les visites et que l’achat ne se fait pas, le.la courtier.ère ne touche rien (si ce n’est du bois, en espérant que sa prochaine transaction soit plus fructueuse).
Les courtier.ère.s avec qui j’ai discuté m’ont dit être satisfait.e.s de ce système de rémunération. Selon eux.elles, c’est surtout au début qu’il y a un risque à prendre. Yanic Parent, reconverti en courtier après une carrière comme policier, raconte n’avoir touché aucun salaire pendant les huit premiers mois de sa carrière. 8 ans plus tard, les choses ont décollé et sa conjointe et lui sont dans l’immobilier au sein de Proprio Direct.
Si, pour Yanic, le plus difficile est maintenant derrière lui, Diana Cruz, dans l’industrie depuis seulement un an, en est encore à ses premières armes. C’est en aidant ses parents à acheter leur maison qu’elle a eu la piqûre de l’immobilier. Mais avant de pouvoir se lancer, il lui a fallu obtenir un permis, pour lequel il faut suivre une formation reconnue par l’OACIQ (l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec). Cette formation collégiale dure en général entre 5 et 7 mois et son prix varie en fonction des établissements. Au Collège de l’immobilier du Québec, elle coûte 4890$ tandis que dans les cégeps, le prix est à la session (entre 75 et 200$).
Diana a trouvé son premier client seulement deux semaines seulement après avoir obtenu son permis, un record pour lequel elle s’estime chanceuse. Pour développer son réseau, elle a rejoint une équipe à l’agence EXP. Un win-win, selon elle, parce qu’il s’agit de payer à ton chef d’équipe une partie de la commission en échange des clients qu’il réfère.
Devenir courtier, c’est rapide. En vivre, un peu moins.
Il est donc essentiel de bénéficier d’un coussin financier, le temps de se bâtir une clientèle et de conclure sa première transaction. « Oui, on gagne bien notre vie, mais on va bien gagner notre vie après plusieurs transactions, parce que ce n’est pas vrai qu’en faisant juste une transaction, tu vas pouvoir vraiment bien vivre de ça », précise Yanic.
C’est donc un métier aux allures entrepreneuriales où le salaire dépend de l’effort fourni, à la différence du salariat (sauf si votre boss est super généreux). « Si tu travailles beaucoup et que tu réussis beaucoup de transactions, tu vas faire beaucoup de sous. Si tu décides de prendre ça plus relax et de moins travailler, c ’est sûr que ça sera moins payant », explique l’ex-policier.
Toujours dispo
À travers ces témoignages, j’ai compris que pour réussir dans le domaine de l’immobilier, il faut se donner corps et âme, et ce, en se rendant entièrement disponible. « Tu ne peux pas prévoir des activités le week-end, parce que ça se peut que tu doives répondre à des appels quand t’es à un souper avec des amis », admet Frédérique Lajoie, dans l’industrie depuis 2016 et courtière pour REMAX Québec.
« C’est un métier où tu peux travailler 60, 70, 90 heures par semaine », ajoute Yanic.
« C’est un engagement et il faut que ça devienne une partie de nous. On est courtier 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », affirme quant à lui Vianney Godbout, courtier pour The Agency à Montréal.
Un mode de vie loin de celui dépeint par les émissions citées plus haut. « La compétition est féroce », m’explique Vianney. « On est dans une industrie fermée, donc il y a une limite pour arriver à se démarquer ». Si Yanic Parent estime être dans une situation très confortable, il sait qu’il fait partie des rares professionnels du secteur à pouvoir le faire. Il compare la dynamique du marché à la règle du 20-80 : « Généralement, c’est 20% des équipes de courtiers qui vendent 80% des maisons ».
Un salaire de médecin?
Réalisant près de 100 transactions par an, Vianney se considère extrêmement privilégié. Il affirme qu’en 2023 son salaire net équivalait au salaire brut d’un médecin spécialiste.
Cependant, les gains réels sont souvent réduits par des dépenses nécessaires, comme le salaire d’un.e photographe, le gaz pour se déplacer, les pancartes publicitaires et les frais d’agence. Ces frais varient énormément en fonction des services offerts. À The Agency, par exemple, les courtiers bénéficient de conseils juridiques et d’aide pour la conformité et la comptabilité.
« De façon très réaliste, je pense qu’il nous reste environ 30 % de ce qu’on fait », affirme Vianney.
En 2023, Yanic et sa conjointe ont réalisé 147 transactions immobilières. « Je remets à peu près 50 %, en termes de dépenses », déclare le courtier. À titre d’exemple, si le couple touche 2 % de commission sur des ventes de 500 000 $, cela représente 10 000 $ par transaction. Annuellement, leur chiffre d’affaires se situe aux alentours de 1 470 000 $ brut. De ce montant, on déduit ensuite les charges et impôts. Des chiffres qui contrastent fortement avec ceux avancés par le site du gouvernement provincial qui, en 2020, estimait le salaire annuel d’un.e courtier.ère à 56 400 $.
De son côté, Diana estime faire entre une et deux transactions par mois.
En juillet, par exemple, elle a touché 10 000 $ en commissions, mais en août, rien du tout. Avec des frais d’agence de 180 $ par mois et très peu de frais marketing, Diana empoche sa commission après avoir versé 5 % à son agence et un certain pourcentage à sa cheffe d’équipe. Celui-ci varie en fonction de la façon dont elle a été référée auprès de son client. Dans son ancienne équipe, Diana reversait 40 % si le client lui avait été recommandé par son supérieur, mais seulement 20 % si le client provenait de son propre réseau (ami.e.s, famille, etc.).
Bref, non, ce n’est pas Selling Sunset. Les paillettes sont réservées à une poignée de chanceux, qui ont les bons contacts et les moyens de se lancer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si tant de gens choisissent l’immobilier pour effectuer un changement de carrière, profitant ainsi d’un réseau déjà établi. Pour les autres, c’est un chemin bien plus ardu, où il faut de la persévérance avant que les efforts ne portent vraiment leurs fruits (et leurs sous).