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Cet article aurait pu être très court.
Simplement répondre « pas beaucoup » ou « à peine de quoi payer mes bills criss d’esti » à la question suivante : combien ça gagne au juste un auteur?
Sauf qu’on trouvait justement intéressant d’aller au-delà des idées reçues et de se pencher réellement sur la bâtarde de question.
Témoignage d’un auteur à succès
D’emblée je peux y répondre en m’inspirant de ma propre expérience, après avoir signé jusqu’ici trois essais et un roman, en plus d’avoir participé à quelques ouvrages collectifs.
Ça a l’air impressionnant vite de même, mais disons que je suis loin de pouvoir me permettre de lâcher ma job de jour, ce qui est quand même le fantasme ultime de la plupart d’entre nous : vivre de notre plume.
Une poignée en sont capables dans un petit marché comme le Québec.
Selon une étude au nom évocateur menée en 2018 auprès des 1637 membres de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ), 90% des répondants n’atteignent pas un revenu annuel de 25 000$ tiré exclusivement de leurs activités littéraires. Et le revenu médian est inférieur à… 3000$.
Pas de quoi cotiser fort fort dans ses REER, mettons. J’ai pour ma part fait quelques milliers de dollars avec mon essai sur Walmart, paru en 2015, mais j’ignore toujours combien j’ai vendu d’exemplaires de la version traduite en anglais publiée l’an dernier.
Si ça se trouve, je suis millionnaire.
Ce qu’il faut toutefois retenir, c’est que l’argent provenant essentiellement de la création littéraire est, pour la vaste majorité, insuffisant pour vivre.
Si 2% des écrivains ont rapporté en 2008 avoir touché un revenu de création supérieur à 60 000$, 65% ont pour leur part fait moins de 5000$ avec leur art, toujours selon l’UNEQ.
Pas étonnant que trois écrivains sur quatre (membres et non membres de l’UNEQ) doivent tirer des revenus ailleurs, en révision, en journalisme et en activités littéraires connexes (lectures, conférences, prestations médiatiques, etc.).
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Crédit photo : Rémi St-Onge
Des livres et beaucoup de parascolaire
C’est d’ailleurs précisément ce que fait mon amie, l’autrice jeunesse Chloé Varin, pour se garder la tête hors de l’eau. L’écriture de 23 livres et une notoriété certaine ne l’empêchent pas de vivre à peine au-dessus du seuil de la pauvreté. Comme plusieurs, elle ne touche pas grand-chose de ses redevances et vit principalement des animations scolaires effectuées en marge de ses activités littéraires. Une job pratiquement à temps plein, incluant beaucoup (beaucoup) de paperasse et du bénévolat.
« Ce qui devient ridicule, c’est que je dois tellement faire d’animation scolaire pour en vivre que je n’ai pas le temps d’écrire », déplore-t-elle, ajoutant que chaque animation s’accompagne d’une tonne de courriels. « Pour un salaire d’environ 30 000$, je dois faire 90 jours d’animation, ce qui est presque impossible, puisque toutes les inscriptions doivent être remplies dans un court laps de temps en octobre », souligne l’autrice derrière la populaire série de miniromans Chloé et moi.
« Ce qui devient ridicule, c’est que je dois tellement faire d’animation scolaire pour en vivre que je n’ai pas le temps d’écrire. »
Chaque animation lui rapporte environ 325$ pour trois blocs et 30 élèves maximum. « Les honoraires n’ont pas été bonifiés depuis très longtemps », souligne Chloé, ajoutant ne pas aimer parler de cash, de peur de verser dans le misérabilisme et donner l’impression de ne pas aimer son travail.
C’est d’ailleurs tout le contraire, parce que de la passion, il en faut pour maintenir un tel rythme de vie au royaume des horaires atypiques et des salons de livres. « Je me demande parfois pour qui et pour quoi j’investis autant de temps. Et chaque fois que je doute, je reçois un message d’un lecteur qui me dit avoir développé le goût de lire grâce à moi. Même si je me sens un peu esclave de ce métier, je l’adore », assure Chloé, qui ajoute sentir parfois une forme de condescendance envers « les petites histoires » qu’elle signe.
En plus, comme ses livres renferment des illustrations (d’Orbie, notamment), ses maigres redevances sont partagées en deux. « Faudrait un jour revoir la chaîne du livre, c’est pas normal que nous, les auteurs, touchions aussi peu d’argent et aussi peu souvent », résume l’autrice, qui, comme tant d’autres, a dû se tourner vers le ghost writing pour s’offrir ses premières vacances en cinq ans.
Dans cette chaîne du livre à laquelle Chloé fait référence, l’auteur touche en moyenne 10% des revenus générés par sa création. En gros, s’il vend 3000 livres (ce qui est considéré comme un best-seller), vendus 20$ l’unité, il peut s’attendre à recevoir un chèque d’environ 6000$.
Notons que les redevances sont payées seulement une fois par année, alors il faut aussi faire preuve d’une discipline olympienne pour respecter son budget.
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Crédit photo : Audrée Wilhelmy
Contre le bénévolat de la culture
« Ça gagne l’amour de ses lectrices et de ses lecteurs », m’a cyniquement répondu l’autrice et journaliste Claudia Larochelle, quand je lui ai demandé combien gagne un auteur.
Comme Chloé Varin, elle dénonce aussi l’ingratitude de cette chaîne du livre. « L’écrivain n’a pas de respect et n’est pas assez payé. Il est rarement invité sur des plateaux de télévision aussi. C’est quelque chose qui me chagrine énormément », confie l’autrice de la série sur la Doudou (avec l’illustratrice Maira Chiodi), qui récolte un vif succès au Québec avec 40 000 ventes jusqu’ici.
Elle dénonce le travail gratuit souvent exigé des auteurs, dont plus de 200 ont récemment exprimé un ras-le-bol de ce bénévolat culturel dans une pétition en ligne.
Claudia refuse toutefois de blâmer les éditeurs et les libraires – d’autres acteurs de cette chaîne du livre – qui font aussi leur gros possible pour recevoir leur part du gâteau. « Je pense qu’il pourrait y avoir une meilleure redistribution et on sort peut-être trop de livres, aussi. Plusieurs n’écrivent pas pour les bonnes raisons et le font pour être connus. Les chemins pour atteindre la gloire sont multiples et le livre en fait partie », constate-t-elle à regret.
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Artisans du livre < Fonctionnaires
« Nous, on vole les auteurs. C’est le seul truc pour faire de l’argent », plaisante Mark Fortier, éditeur chez Lux, qui vient aussi tout juste de publier son premier essai intitulé Mélancolies identitaires – une année à lire Mathieu Bock-Côté.
Il assure que l’édition et la création sont dans le même bateau, celui de la précarité économique. « Ça dépend du type d’édition et il y a des créneaux plus prospères (livres jeunesse, livre de recettes), mais nous, on est petits », explique le sociologue, qui se spécialise dans les essais et ne publie que quelques titres chaque année.
C’est d’ailleurs Mark qui a édité mon essai sur Walmart. « Il a bien marché et t’as pas fait une fortune », me rappelle-t-il sadiquement.
« La plupart des auteurs font 2000-3000$ l’année de la sortie du livre et certains livres de fond roulent pendant 7-8 ans », calcule Mark Fortier, ajoutant que des auteurs « vedettes » de la boîte comme Serge Bouchard et Normand Baillargeon comptent quand même sur des métiers connexes pour vivre.
« La plupart des auteurs font 2000-3000$ l’année de la sortie du livre et certains livres de fond roulent pendant 7-8 ans. »
Comme éditeur, il doit également compter sur des subventions pour survivre, même s’il préférerait être autonome. « Paradoxalement, les fonctionnaires qui servent la culture font beaucoup plus d’argent que les artisans. Pour notre part, malgré des subventions, on travaille fort et on se donne des salaires tout à fait modestes », illustre Mark, ajoutant que le métier d’auteur n’est simplement pas payant compte tenu du travail investi.
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Crédit photo : Danila Razykov
Vivre (très bien) de sa plume
Chanceux et conscient de l’être, le romancier Patrick Senécal personnifie l’exception qui confirme la règle.
« Je gagne mieux ma vie que la plupart des auteurs, je fais dans les six chiffres chaque année et je serais très mal placé pour me plaindre. Je suis un privilégié », reconnaît avec franchise l’un des auteurs les plus prolifiques de la province, qui a vendu plus d’un million de copies de ses œuvres, toutes publiées chez Alire. Il possède d’ailleurs un spa dans sa cour, ce qui prouve hors de tout doute une richesse excessive.
« Je suis très conscient que ça peut devenir fragile », note Senécal, qui se consacre à l’écriture à plein temps depuis 2007, après une carrière en enseignement collégial. « C’est après la publication du Vide que j’ai pu lâcher ma job de jour. J’avais déjà six romans de publiés, qui se vendent encore », explique l’auteur, à qui on a parfois reproché de ne pas se montrer assez critique envers la chaîne du livre, qui ne redonne à l’auteur qu’un faible pourcentage des recettes. « Tu ne peux pas perdre ta job de jour quand t’es écrivain, mais oui quand t’es éditeur et imprimeur. Mais bon, il y a moyen de faire plus que le 10%, c’est sûr! »
Il admet un certain malaise dans les salons à signer des livres à côté d’auteurs qui n’attirent pratiquement personne. (J’ai pour ma part vécu cette humiliation à quelques reprises, surtout à côté de Sœur Angèle).
« Ça ne veut pas dire que mes livres sont meilleurs, ça veut juste dire que les gens qui les aiment sont plus nombreux. »
« Mais bon, je n’ai rien volé à personne non plus, poursuit Senécal. Il y a plein d’écrivains meilleurs que moi qui ne gagnent pas grand-chose. Ça ne veut pas dire que mes livres sont meilleurs, ça veut juste dire que les gens qui les aiment sont plus nombreux », explique celui qui vient tout juste de lancer son dernier roman, Ceux de là-bas.
Quant à moi, je vais continuer à travailler chez URBANIA encore un moment, en attendant d’enfin vivre de ma plume. Pour y arriver, je compte évidemment sur vous, alors voici mon horaire au Salon du livre.
Parce que moi aussi je veux un spa.