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Déjà, il faut savoir que c’est pas facile de devenir architecte. D’abord, la profession est encadrée par l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) dont il faut faire partie pour pouvoir pratiquer. Donc, si l’envie vous prend de dessiner les plans de nouveaux condos à Griffintown, il faudra attendre plusieurs années avant d’y parvenir.
Au Québec, seulement trois universités offrent la formation : ULaval, McGill et l’UdeM. Ensuite, après avoir obtenu un baccalauréat et une maîtrise en architecture, il faut encore effectuer un stage de trois ans avant de passer l’examen des architectes du Canada et d’entrer dans l’ordre (le Saint Graal!).
Jean-Claude Dumas, originaire de Blanc-Sablon et architecte depuis 2015, a suivi ce long parcours. Après avoir obtenu son bac et sa maîtrise à l’Université Laval, il a fait ses premières armes à Québec dans une firme d’architecture privée. Son salaire de départ était de 14$ de l’heure. Pas très rentable, me direz-vous.
Désireux de faire ses preuves sans se faire exploiter, Jean-Claude a négocié une augmentation à 18$ après avoir vu une opportunité similaire dans une autre entreprise. Une fois le diplôme complet empoché et l’Ordre des architectes intégré, son salaire a augmenté petit à petit jusqu’à atteindre 32$ de l’heure en 2018.
Curieux de découvrir de nouvelles pratiques, Jean-Claude est ensuite allé travailler à Val-d’Or, toujours dans une firme privée. Là, son salaire a atteint 44$ de l’heure.
Retour aux sources
Un jour, le large l’a rappelé et il est retourné sur la Côte-Nord à Blanc-Sablon pour exercer dans le secteur public. « J’aimais beaucoup ce que je faisais, mais ma région me tient à cœur », confie-t-il.
Jean-Claude travaille désormais dans le Centre de services scolaires du Littoral où il se charge du suivi des projets (la création de nouveaux logements pour le personnel du centre, par exemple) ou encore de l’entretien des infrastructures. « Un architecte, c’est comme un chef d’orchestre », m’explique-t-il. C’est celui qui coordonne chaque intervenant impliqué de près ou de loin avec le projet. À la différence de son expérience en pratique privée, Jean-Claude fait beaucoup de travail de gestion, et moins de conception (donc moins de dessin).
Est-ce que c’est payant, alors? Maintenant qu’il est dans le public, sa rémunération est calculée à l’année. Étant à l’échelon 18 (le dernier), Jean-Claude touche environ 98 000$ par an. En plus, vivre au bord de l’océan présente des avantages, autres que le poisson frais, puisqu’il touche une prime en raison du statut de région éloignée. En bref, il est logé par son employeur (qui ne lui charge que 200$ par mois pour sa maison) et a droit à une prime de 14 000$ pour subvenir aux besoins de ses trois enfants. Une situation atypique, mais confortable, admet l’architecte. À ce sujet, il faut savoir que la situation n’est pas facile en région, où « les architectes ne courent pas les rues », ajoute-t-il.
Selon une étude de l’OAQ réalisée en 2022, les deux tiers des architectes sont concentrés dans la région de Montréal et de la Capitale-Nationale. C’est le cas de Nadège Frey, qui travaille pour la coopérative d’architectes Pivot à Montréal.
Être ou ne pas être (dans l’ordre)
Contrairement à Jean-Claude, Nadège n’est pas membre de l’OAQ. La raison? Elle a suivi un double diplôme en France qui combine ingénierie et architecture, un cursus qui n’est pas reconnu au Québec. Elle exerce donc à titre de diplômée en architecture ou de chargée de projets en architecture, mais elle ne peut pas se présenter comme architecte.
À son arrivée au Québec il y a sept ans, Nadège s’est lancée dans le domaine pour son aspect utile. « J’ai l’impression qu’on a une mission à jouer dans la société. Tout le monde est entouré d’environnements bâtis et ça a un impact très important sur comment les gens vivent. » Une vision partagée par Jean-Claude, qui apprécie aussi le côté concret de la profession.
C’est la possibilité de travailler sur des projets à fort impact social qui a poussé Nadège à rejoindre Pivot. Fondée en 2017, la coopérative n’est ni une entreprise ni un OBNL, mais elle a pour vocation « de donner du travail à ses membres » en privilégiant la rentabilité au profit. Leurs projets sont pour la plupart communautaires.
Chez Pivot, Nadège fait autant de la conception, de l’estimation que de la gestion de projets et du suivi de chantier (pas tout en même temps, rassurez-vous!). Elle aussi est donc une vraie cheffe d’orchestre, ce qui n’est pas toujours facile, reconnaît-elle, surtout quand différents acteurs comme les ingénieurs, les entrepreneurs généraux ou la Ville sont impliqués. « Leurs intérêts convergent et divergent, ce qui peut entraîner des situations conflictuelles. »
L’argent, un sujet malaisant pour les architectes?
Parmi les nombreux défis auxquels la profession fait face, Nadège relève un malaise tangible autour de la valeur et de la reconnaissance du travail. « J’ai l’impression que les architectes ont tendance à baisser leurs honoraires pour avoir des projets. » C’est le cas notamment dans le milieu communautaire où le financement est souvent limité.
Nadège a commencé avec un salaire de 18,50$ de l’heure quand elle a rejoint son premier bureau d’architecte. Depuis qu’elle travaille chez Pivot, son salaire est passé à 32,50$ de l’heure. Bien qu’elle estime qu’obtenir le titre d’architecte pourrait légèrement augmenter sa rémunération, elle pense que ce qui importe le plus, c’est la possibilité de progresser dans sa carrière.
Il n’existe pas de loi qui définit précisément les honoraires des architectes, mis à part pour les projets avec le gouvernement, où les architectes s’appuient sur un décret.
Nadège regrette toutefois que celui-ci ne soit pas révisé plus souvent, car d’après elle, il n’a pas suivi l’inflation des dernières années. Ainsi, la dernière révision du décret indiquait un taux horaire à 98,25$ pour un architecte intermédiaire (entre 5 à 10 ans d’expérience).
Si les salaires sont aussi bas au début de la profession ou que certains architectes baissent leurs honoraires, c’est parce que « les architectes ne sont pas des businessmen dans l’âme », reconnaît Nadège. « Les gens ne se lancent pas en architecture pour faire de l ’argent. »
Et la pratique privée?
Il existe une enquête salariale sur la rémunération des architectes dans le secteur privé, mais malheureusement, il faut être membre de l’Association des architectes en pratique privée du Québec pour y accéder.
J’ai donc demandé à Camille Vallette Viallard, architecte depuis deux ans dans une firme privée et à Jean-Sébastien Laberge, architecte chez Paralem, membre depuis plus de 15 ans.
Tous les deux travaillent à Montréal. En tant qu’adjointe chargée de projet, Camille gagne 32$ de l’heure. Même si elle est d’avis que sa rémunération est « juste, pour le marché actuel », elle conçoit que les architectes ont plus de mal à défendre leurs tarifs que l’Ordre des ingénieurs, par exemple, avec qui ils collaborent.
Jean-Sébastien, qui se situe dans la fourchette des architectes senior, est quant à lui rémunéré entre 90 000 et 110 000$ par an et, comme chaque personne citée ici, il est d’avis que « c’est une vraie bataille de faire reconnaître le travail d’un architecte ». Selon lui, il y a un paradoxe dans la perception de la profession.
D’un côté, il y a cette idée dans l’imaginaire collectif qu’un architecte « fait un salaire faramineux ». De l’autre, il peut être difficile de faire valoir son travail auprès de clients qui « ne comprennent pas pourquoi ils paieraient pour faire faire un plan », déplore Jean-Sébastien.
Alors oui, être architecte peut être payant, dépendamment du statut, du lieu de travail, mais aussi de la capacité à négocier. Disons que si la profession vous tente, je vous conseille de suivre quelques cours en affaires…