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Claude Rajotte ne vit pas dans le passé

À 69 ans, le critique musical en chef du Québec n’a rien perdu de sa ferveur.

Par
Benoît Lelièvre
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« Mes amis de mon âge détestent tout ce que j’écoute comme musique », lance Claude Rajotte.

À partir d’un certain âge, le commun des mortels commence à se désintéresser de la nouvelle musique. On se met à trouver que c’était mieux avant. Que les artistes d’aujourd’hui ne sont pas aussi complexes et intéressants musicalement et émotionnellement que ceux avec qui nous avons grandi. Ça vous est arrivé et ça m’est arrivé à moi aussi, mais ça n’est jamais arrivé à Claude Rajotte.

À l’aube de sa septième décennie, l’animateur et critique chouchou des Québécois tripe toujours aussi fort. Bien qu’il se soit fait discret depuis son départ de MusiquePlus (ou MusiMax, pour être plus précis) en décembre 2015, Rajotte effectue en quelque sorte un grand retour médiatique avec la sortie de son autobiographie Les oreilles de Rajotte et un passage à l’émission La chaîne musicale sur ICI Première pendant le mois de novembre.

Il ne s’en cache pas : il aimerait aussi retrouver un micro régulier.

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Les gens de son âge sont peut-être à la retraite, mais Claude Rajotte n’a pas envie d’aller jouer au golf ou de déjeuner au centre d’achats. « J’aimerais ça, pouvoir continuer de vivre ma passion et de la partager avec les autres », explique le principal intéressé en compagnie de Super, le chat le plus relax au monde qui supervise notre entretien roulé en boule dans un box qui surplombe la table.

Super Rajotte dans l’exercice de ses fonctions. Photo: Jean Bourbeau
Super Rajotte dans l’exercice de ses fonctions. Photo: Jean Bourbeau

L’héritage culturel de MusiquePlus

« J’avais la trentaine passée quand j’ai été engagé à MusiquePlus. J’avais douze ans de métier dans le corps et tous mes collègues avaient 18 ou 19 ans », raconte Claude Rajotte. « Ça ne m’a jamais dérangé. Je me suis toujours senti plus jeune que mon âge, de toute façon. J’ai pas 69 ans dans ma tête, tsé. »

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Déjà réputé pour son travail à CHOM, c’est cependant la chaîne télé qui fera de Rajotte une figure consacrée de la culture populaire québécoise. Plus précisément son émission culte Le cimetière des CD, qui a jeté les bases du bon goût musical pour une génération entière de jeunes Québécois. Il est, entre autres, l’un des premiers à avoir vanté les mérites de Radiohead à la jeunesse de la Belle Province en décernant la note extrêmement rare de 10/10 à l’album OK Computer, aujourd’hui un incontournable du rock alternatif.

Le cimetière des CD était également réputé pour ses destroy hebdomadaires, une destruction en règle d’un album jugé comme dénué de mérite artistique par le critique.

La collection de disques de Claude est impressionnante, mais moins large qu’on le croit. Il écoute aujourd’hui la plupart de sa musique en ligne. Photo: Jean Bourbeau
La collection de disques de Claude est impressionnante, mais moins large qu’on le croit. Il écoute aujourd’hui la plupart de sa musique en ligne. Photo: Jean Bourbeau
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« C’était beaucoup de travail. Tout le monde aimait les faire, mais ça pouvait prendre jusqu’à une demi-journée de tournage et une journée de montage chaque fois. On a fini par manquer d’idées et de ressources, donc à la place, on s’est mis à simplement flusher les albums », se rappelle l’animateur.

Claude Rajotte ressent encore l’amour du public aujourd’hui. Il affirme n’avoir jamais eu de problèmes avec aucun artiste pour ses critiques, même si certaines compagnies de disques se sont plaintes de ses destroy. Audiogram lui a même fait parvenir un disque platine de Rêver mieux de Daniel Bélanger, un autre rare album auquel il avait décerné une note parfaite. L’animateur a d’ailleurs toujours l’artéfact en sa possession.

« J’ai aussi juste des commentaires positifs depuis que j’ai recommencé à La chaîne musicale. À part peut-être un épisode où une jeune adolescente avait fait un site web en protestation à mon désaveu des Backstreet Boys, ce qui était une réaction normale de jeune adolescente, je peux pas dire que je me rappelle de quelconque hostilité venant du public. »

Le critique nous a accueilli chez lui. Photo: Jean Bourbeau
Le critique nous a accueilli chez lui. Photo: Jean Bourbeau
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Et ça se voit, si on se fie aux commentaires laissés sous ses dernières publications Facebook : « Au nom de mes oreilles et de mon esprit, je vous remercie pour ce retour! » et « J’ai tellement découvert de groupes en vous écoutant. Encore aujourd’hui, j’ai des albums magnifiques que mes amis ne connaissent pas et que je leur fais découvrir grâce à vous. Merci! »

Si MusiquePlus a forgé ce lien entre Claude Rajotte et nous, ce lien perdure grâce à sa passion pour les nouveautés musicales et les artistes émergents, ce qui lui permet de conserver toute sa pertinence. Pendant toutes ces années où il était sans micro, il a pris l’habitude de bâtir des listes d’écoute sur des plateformes comme Mixcloud, YouTube et Tidal. Une pratique à laquelle il se prête d’ailleurs toujours.

Claude avec son arme de prédilection pour la découverte musicale : sa tablette. Photo: Jean Bourbeau
Claude avec son arme de prédilection pour la découverte musicale : sa tablette. Photo: Jean Bourbeau
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L’art de traverser les époques

« Quand YouTube est arrivé, je savais que c’était la fin de la télé musicale. Plus personne ne resterait assis sur son divan à attendre de voir passer une vidéo alors qu’elle était disponible instantanément là-dessus », raconte Claude Rajotte.

MusiquePlus s’est peut-être éteint, mais le critique a toujours fait partie du paysage montréalais. Pendant ses années plus modestes, il a notamment été DJ et animateur d’une émission musicale à CIBL, un projet auquel il a dû couper court à cause de la maladie de Crohn pour laquelle il a finalement obtenu un diagnostic en 2021. « C’est souffrant, ça, mon chum. Je pouvais plus faire grand-chose. »

L’enthousiasme de Claude Rajotte pour son sujet de prédilection est palpable.

À quelques reprises, il interrompt notre entretien pour me faire écouter un morceau, notamment du groupe de drum and bass australien Pendulum ou pour me donner un exemple de musique hardstyle européenne.

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Chaque fois, il s’agit d’artistes dont je n’avais jamais entendu parler auparavant.

Il me raconte la fois où Diane Dufresne lui a donné des frissons en spectacle, le passage du légendaire groupe allemand Kraftwerk au théâtre Saint-Denis dans les années 80 et la fois où il a vu Ginette Reno interpréter Bohemian Rhapsody sur le Mont-Royal à un party de la Saint-Jean-Baptiste pendant les années 70.

– Wow, est-ce qu’on peut voir ça quelque part?

– Oublie ça, on était tous déchirés sur l’acide dans ces partys-là. Y avait personne pour filmer.

Claude Rajotte ne vieillit décidément pas au même rythme que tout le monde. Il a toujours été et sera toujours le grand frère musical de tout le monde. Celui qui nous fait découvrir nos prochains artistes favoris. Quel est donc le secret de sa fontaine de jouvence musicale?

On y trouve quand même quelques incroyables pépites. Photo: Jean Bourbeau
On y trouve quand même quelques incroyables pépites. Photo: Jean Bourbeau
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« La curiosité me garde orienté vers les nouvelles idées. Je ne m’emmerde jamais. Je me trouve toujours quelque chose à faire, un sujet auquel m’intéresser. Je lis beaucoup de philosophie depuis environ dix ans. Très jeune, j’allais prendre des marches avec mon chien en écoutant de la musique, j’écoutais Radio-Canada tout seul chez nous. Ça fait partie de qui je suis », explique-t-il.

Claude Rajotte continuera d’écouter de la nouvelle musique et d’élargir ses horizons, qu’il ait un micro pour les partager ou non. C’est dans sa nature. Retrouvera-t-il un micro à temps plein? Les découvertes d’une personnalité avec laquelle les gens ont un lien de confiance inébranlable sont peut-être la shot de vitamine dont l’industrie musicale aurait grandement besoin.