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L’auteur Guillaume Corbeil compte 1022 amis, dont moi. Je ne vous dis pas ça pour me vanter, mais par pur souci de transparence. Je précise parce qu’en cette ère de représentation, on sait jamais. On est toujours en train de s’offrir en spectacle, et ce spectacle, on le veut toujours plus grand que soi, plus beau que celui du voisin. Derrière chaque tweet, derrière chaque statut, derrière chaque affirmation dans le vide, on est toujours en train de dire quelque chose sur soi. Quelque chose de pas toujours aussi subtil que son auteur le pense.
Quel message envoie cette grande intellectuelle par ce simple aveu de «plaisir coupable»? Croit-elle vraiment un seul instant qu’on prendra son statut pour ce qu’il n’est pas : un simple aveu de plaisir coupable? Les statuts Facebook, c’est comme les commentaires passifs agressifs : si vous devez vous sonder pour en évaluer la sincérité, c’est qu’ils ne sont probablement pas sincères. Et peu importe à quel point vous tenterez de maquiller leur sous-texte, il y a fort à parier qu’on en décodera le sens. Parce qu’au fond, on n’est pas si con.
Dans l’agressivité passive : «non, chu pas fâchée!» veut dire exactement son contraire. Et dans l’affirmation selon laquelle lire un livre de l’économiste Paul Krugman (une activité pouvant être perçue comme hautement intellectuelle) constitue un plaisir coupable (qu’on associe généralement à une activité pauvre de sens, jugée honteuse), on est visiblement devant un cas de fausse modestie ou même pire : de vantardise maladroitement déguisée. Au fond, ce que tu veux dire, c’est que tu lis un essai d’économie et qu’il s’agit de petite bière pour toi. Penses-tu vraiment qu’on n’a pas vu clair dans ton p’tit jeu?
La pièce de mon ami Guillaume Corbeil, Cinq visages pour Camille Brunelle, décrypte avec justesse cette dynamique de surreprésentation dans laquelle Facebook nous a plongés. Ses personnages se définissent par la marque de leurs vêtements, par la musique qu’ils aiment, par les lectures qu’ils ont faites, par les films qu’ils ont vu, par les photos sur lesquelles ils se sont identifiés. Et lorsqu’ils déclarent «J’aime Joe Dassin», au fond, ce qu’ils disent, c’est : «Je suis un être éclectique doté d’une capacité à apprécier la musique de façon ironique».
Pour de vrai, j’étais convaincue que cette ère de l’autospectacle était révolue. Que ce site qui érige l’autopromotion au rang d’art nous avait assez solidement renvoyé en pleine face notre côté branleur pour nous décourager de toute velléité à se mettre en valeur de façon pseudo-subtile. Et de fait, la pièce de mon grand ami Guillaume Corbeil reflète peut-être encore mieux nos débuts avec Facebook : mettez un médium à la portée de tous et voyez la première chose qu’ils en feront.
J’ai l’impression qu’avec le temps, on s’est calmés sur les statuts de voyages plus beaux que le tien, de job de rêve qui rendent ton 9 à 5 merdique par comparaison et de vie trépidante à grandes lampées de Veuve Clicquot. Mais dans le domaine de l’autopromotion déguisée, il reste certains irréductibles.
J’ai un ami Facebook (autre que mon BFF Guillaume Corbeil) que je ne suis exclusivement que pour le spectacle qu’il offre de lui-même. Ses branlettes sociales quotidiennes sont un réel divertissement. Le genre de personne qui implique la création de son premier roman dans la plupart de ses statuts et qui, pour le reste, n’hésite pas à citer les compliments que lui ont fait des personnalités connues.
Sa dernière perle : «Quand tu portes des pantalons jaunes, un t-shirt bleu-mauve, un cardigan avec des rayures rouge-bleu-beige et des bas brun-beige-rouge, tu as la preuve que t’avais pas à sortir de chez vous de la journée !» La déclaration suprême d’audace vestimentaire ou l’équivalent 2.0 de la fille qui te dit que ses cheveux font dur juste pour que tu lui dises «ben non t’es super belle».
Ce que ça dit, tout ça, sur nous? Qu’on est des vantards qui ne s’assument pas? Entre autres. Ça dit aussi qu’on est peu de choses, pour devoir se vanter de porter un cardigan à rayures rouges-bleu-beige, d’écouter The Cure ET les gymnopédies d’Erik Satie, d’avoir battu des records de clics, d’avoir été publié dans la section «Opinion» du Devoir, de lire du Paul Krugman par un beau samedi après-midi, d’être l’ami de John Londono… ou de Guillaume Corbeil.
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Vous avez encore quelques jours pour aller voir Cinq visages pour Camille Brunelle, mise en scène de Claude Poissant, à l’Espace Go. Et pour suivre le spectacle de ma vie en 140 caractères, c’est ici: @JudithLussier.