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Cinq faits historiques qui prouvent que l’identité de genre ne date pas d’hier
URBANIA et le Musée de la civilisation s’unissent pour déboulonner les constructions sociales liées au genre à l’aide de quelques moments clés historiques et culturels.
Avec l’avènement des réseaux sociaux et le flot continu d’information qui en découle, il est commun de penser que certains enjeux de société sont tout juste sortis de leur emballage. Or si on entend de plus en plus de voix et de témoignages de personnes de la communauté LGBTQIA2S+ dans l’espace public, ce n’est pas parce que leur réalité est nouvelle – loin de là! C’est parce que ces personnes ont à présent tout l’espace pour exister au grand jour et prendre la place qu’elles méritent.
En effet, mine de rien, non seulement l’identité de genre a-t-elle existé de tout temps, mais elle s’exprime aussi depuis toujours d’un bout à l’autre du globe. Si, si, on vous assure! Suffit de gratter la peinture pour découvrir le beau tableau de diversité qui se trouve derrière.
La troisième nature des hijras
On commence par l’Inde, où la culture était très en avance sur son temps, la religion hindouiste reconnaissant l’existence d’un troisième genre depuis l’Antiquité. Oui, l’Antiquité! Vous avez bien lu.
Nommé hijra, ce genre qu’aucun carcan masculin ou féminin ne limite est en lien direct avec Bahuchara Mata, la déesse de la chasteté et de la fertilité, ainsi que le dieu Shiva, grand détenteur du savoir suprême et maître du yoga. La légende dit même que pour souligner la nature dévouée des hijras, Vishnou – une troisième divinité à qui l’on doit cette fois-ci l’univers tout entier – leur aurait offert la capacité de bénir les mariages, accouchements et autres grands événements par des chants et de la danse.
Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes se définissent comme hijras au sein de la population indienne, et leur place au sein de la société en tant que tritîyâ prakriti, ou « troisième nature », est pleinement acceptée. La Cour suprême indienne reconnaîtra même officiellement leur statut non binaire en 2014, aux côtés de ceux des personnes transgenres, intersexes et eunuques. Et ce n’est pas fini : l’option d’un troisième genre existe aussi pour certains documents officiels tels que le passeport!
Jamais deux sans sept
On poursuit chez les Tchouktches, cette communauté autochtone de Sibérie dont l’existence remonte à la préhistoire et où ce ne sont pas deux, ni trois, ni même quatre genres qui sont reconnus… mais bien sept! Et tout cela sans compter les genres masculin et féminin.
L’anthropologue russe Vladimir Germanovitch Bogoraz, qui a vécu quelque temps à leurs côtés, raconte que certains membres de la communauté pouvaient librement choisir leur genre et se marier avec la personne de leur choix. Et ce n’est pas comme si ce changement pouvait limiter le statut de la personne qui s’y prêtait, car même en se déclarant d’un genre autre que celui purement masculin, il était tout à fait possible de devenir shaman ou encore de se livrer à des activités de chasse.
En approfondissant mes recherches sur le sujet, je suis tombée sur un article de Patti A. Gray, une rédactrice du blogue Rutabaga Writer, qui interprète le témoignage de Vladimir Germanovitch Bogoraz sur la communauté Tchouktche sous une lumière plus belle encore : « Je ne croyais pas que les Tchouktches avaient sept genres distincts. Il était évident pour moi qu’ils reconnaissaient simplement que le genre se manifeste le long d’un continuum, et Bogoraz en a simplement capturé sept instantanés arbitraires. »
Le parfait juste milieu
Une autre communauté autochtone était en avance sur son temps : celle des Kānaka Maoli, le peuple natif de l’île d’Hawaï. Il existe dans la culture de ce peuple un troisième genre nommé māhū, ou « entre-deux », qui combine à la fois la facette masculine, dite kāne, et la féminine, nommée wahine.
Leur rôle au sein de la société est primordial, car iels transmettent les savoirs et rituels ancestraux d’une génération à l’autre tout en agissant comme guérisseur.euse.s au sein de la communauté. À l’image des hijras en Inde, les māhūs ont aussi une très forte connexion avec l’art, notamment le chant et la danse sacrée du bassin, appelée hula.
Déjà icônes au 16e siècle
Comment ne pas aborder ici la Renaissance, ce mouvement européen célébrant les arts visuels, intellectuels et littéraires au 16e siècle?
Durant cette période, les personnes intersexes (à l’époque appelées « hermaphrodites ») étaient les muses de nombreux poètes et écrivains, au point d’en devenir de véritables « icônes culturelles », comme l’explique Kathleen P. Long, professeure de français à l’université Cornell, dans son article « Hermaphrodites in Renaissance Europe » publié en 2006 dans le Bulletin of the History of Medicine.
Cet engouement a permis à la mentalité binaire de l’époque d’élargir sa perception du genre et d’envisager qu’une catégorie distincte du féminin ou du masculin puisse exister. En ont découlé de nombreuses remises en question, aussi bien sociales que philosophiques, sur ce que la réalité d’un troisième sexe suffisamment éloigné des constructions sociales et des rôles de genre pouvait signifier.
Une mako comme une autre
On termine ce tour du monde en Ouganda, dans la communauté autochtone des Langi, avec les mudoko makos, ces personnes nées biologiquement hommes, mais adoptant une présentation de genre féminine et assumant également au sein de la société des rôles typiquement attribués aux femmes – qui est d’ailleurs la traduction même du mot mako en dialecte lango.
Non seulement les mudoko makos étaient pleinement acceptées et considérées en tant que femmes au sein de la communauté, mais elles pouvaient aussi se marier avec un homme ou une autre femme. Il est même rapporté que certaines simulaient leurs menstruations!
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Maintenant que votre curiosité est piquée, on comprend que vous souhaitez en savoir beaucoup (beaucoup, beaucoup) plus sur la riche histoire qui entoure l’identité de genre. Et on a juste ce qu’il vous faut pour étancher cette soif : l’exposition Unique en son genre, présentée par le Groupe Banque TD au Musée de la civilisation jusqu’au 14 avril 2024!