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Ciné-club Extraordinaire, les films de marde qui ont sauvé mon confinement
Tous les dimanches, c’est une messe bien particulière à laquelle nous assistons. Chacun.e chez soi, devant son ordinateur, nous attendons avec impatience les premières images sur notre écran. Depuis maintenant 9 mois, nous sommes toujours une poignée à nous connecter pour regarder ensemble le pire que le cinéma a à donner. C’est l’heure du Ciné-club Extraordinaire.
Ce qui a commencé par la simple envie de regarder Spice World entre ami.e.s un 1er avril en pleine pandémie s’est métamorphosé en évènement hebdomadaire presque incontournable. Après quelques semaines, un petit noyau de fidèles s’était visiblement pris au jeu. Félix, mon chum et fondateur du ciné-club, s’est mis à la production de bandes-annonces pour les prochains films entrecoupées de mauvais vidéoclips pour faire comme au cinéma. S’il recevait au début de nombreuses suggestions, c’est maintenant des messages d’ami.e.s reconnaissant.e.s qu’on lui envoie. Beaucoup disent que le ciné-club a égayé leur confinement.
Comment expliquer cet engouement? Pourquoi prendre ce temps pour regarder un mauvais film plutôt qu’un bon? Je me suis tournée vers mes ami.e.s et des experts pour analyser notre nouvelle passion pour les nanars.
De nanars et de navets
si mauvais, si ratés et de si mauvais goût qu’ils en deviennent presque bons.
On appelle « nanar » un film qu’on apprécie pour ses travers. Ces films sont si mauvais, si ratés et de si mauvais goût qu’ils en deviennent presque bons. Comme il est question de cinéma, tout cela est assez subjectif. Cependant, même si le nanar de l’un.e est le navet de l’autre, il existe certaines tendances.
Ces tendances, les trois gars des Films dans le Cabanon les connaissent. Dans leur balado « dédié aux films tellement mauvais que c’en est drôle », Joël Dion, Anthony Hamelin et Jean-Gabriel Pothier décortiquent et analysent les nanars. Pour eux, ce qui fait le bon nanar, c’est la naïveté. « Ça se voit qu’il y avait de grands rêves dans ces films-là », explique Joël. Plutôt que de rire du film, ils ont parfois l’impression de rire avec le film. « C’est des artisans dévoués, ça se voit et c’est ça qui fait la magie », ajoute Anthony.
Il va sans dire que le monde des nanars a ses superstars, ces personnages plus grands que nature qui contre toute attente (et parfois contre le bon sens) réalisent des films qu’ils croient très bons. Confrontés à la réception de leur création, ces Neil Breen, Tommy Wiseau et compagnie ne semblent pas comprendre ce que le public trouve si drôle. Ils sont souvent à la fois producteurs, scénaristes, réalisateurs, acteurs principaux. Neil Breen s’occupait même de la nourriture sur ses tournages! Il y a là quelque chose de très attachant… Mais des fois un peu moins lorsqu’on se rend compte que la plupart en profitent pour s’écrire des scènes d’amour « torrides » avec de jeunes et jolies actrices.
Nanarophilie
C’est par ce terme que Simon Laperrière désigne la culture entourant le visionnement de nanars dans son livre écrit avec Antonio Dominguez Leiva, Éloge de la nanarophilie. Pour le doctorant en études cinématographiques, ce qui vient autour du mauvais film est aussi important que le mauvais film lui-même. Il explique ainsi les projections de nanars qui, avant la pandémie, attiraient un public à rendre jaloux les festivals de cinéma.
C’est ce genre de soirées que Simon Laperrière et Simon Lacroix ont voulu créer en organisant Les nuits de la 4e dimension. Leur première séance a eu lieu le vendredi 13 mars 2020. Si la date était bien choisie pour montrer une compilation des pires films amateurs inspirés de Friday the 13th, vous savez sans doute pourquoi il n’y a pas eu de nouvelle projection en salle depuis.
«Ces projections-là sont des expériences carnavalesques. On peut parler, crier, lancer des objets.»
Bien qu’ils organisent des séances en ligne en attendant une lointaine réouverture des cinémas, les deux Simon considèrent que le visionnement en salle est au cœur de l’expérience du nanar. « Ces projections-là sont des expériences carnavalesques. On peut parler, crier, lancer des objets. Il y a des codes, mais c’est très loin des projections normales où c’est beaucoup plus cérémonieux », explique Simon Laperrière.
C’est ce que notre expérience confirme. Lorsque je demande à Félix son meilleur souvenir du Ciné-club Extraordinaire, il me rappelle tout de suite la sortie La malédiction d’Aurore Gagnon. Ce film américain basé très vaguement sur l’histoire d’Aurore l’enfant martyre, produit dans le mauvais village avec des acteurs français qui oublient leur accent une fois sur deux est sorti dans les cinémas Guzzo cet été. Nous avons donc profité du court moment où il était possible d’aller au cinéma. Quel plaisir inégalé pour nous, 8 intrépides nanarophiles, de regarder un film sur grand écran dans une salle vide ! Nous pouvions rire et crier à pleins poumons lors des scènes plus ridicules qu’effrayantes. Des mois plus tard, il nous arrive encore de citer les répliques de La malédiction d’Aurore Gagnon.
Une affaire de cinéma… et de gang
«on a accès à la vision pure d’individus qui sortent complètement des conventions […] c’est ça qui fait toute la magie.»
Tous les experts interrogés s’entendent pour dire qu’il faut d’abord aimer le cinéma pour s’intéresser aux mauvais films. « Ça a un côté très geek, c’est s’intéresser au cinéma des marges », avoue Anthony Hamelin. La figure des collectionneurs revient souvent dans le monde des nanars, on cherche les perles rares, on teste les films, on se les passe entre ami.e.s. Pour Simon Lacroix, il faut connaître les codes filmiques pour mieux comprendre les nanars: « on a accès à la vision pure d’individus qui sortent complètement des conventions, surtout celles d’Hollywood. Moi, je trouve que c’est ça qui fait toute la magie. »
Il semblerait que ce sont des connaissances qui s’acquièrent. Si les cinéphiles étaient peu nombreux dans notre groupe au départ, nous nous sommes bâtis au fil des films une expertise assez impressionnante. Mais pourquoi, au départ, une dizaine de néophytes ont-iels décidé de consacrer presque tous leurs dimanches soirs à ce passe-temps obscur?
«Survivre à un nanar ensemble, c’est une expérience qui solidarise.»
« La gang », voilà ce que toustes mes ami.e.s m’ont répondu lorsque je leur ai posé la question. Dans un monde de télétravail ou de congé forcé à la maison, l’idée d’avoir un moment dans la semaine pour se rassembler virtuellement et rire était encore plus intéressante que le film même. Partager ce rituel, avec ses référents et ses blagues nichées, nous a permis de nous rapprocher. Comme le dit si bien Simon Lacroix: « Survivre à un nanar ensemble, c’est une expérience qui solidarise. »
Dans une actualité saturée d’angoisse, ces films de marde auront été notre défouloir, un endroit pour lâcher notre fou entre nous. Simon Laperrière, même après avoir écrit un livre sur le sujet, résume la nanarophilie ainsi: « C’est plate de se prendre toujours au sérieux. »
On peut vouloir intellectualiser comme on veut, mais la racine c’est le fun.
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Ça vous a donné le goût de vous mettre aux nanars vous aussi? On vous a préparé un guide pratique pour la parfaite soirée de ciné-club pandémique!