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Chronique d’un séjour mystique à Sapa, au Vietnam
« Hello sir, wanna go trekking? » « Please buy something from me! » « Sir, sir come here, look! »
Il y a un an je faisais découvrir le Vietnam à ma sœur, ce pays que j’aime tant. J’ai choisi Sapa pour l’expérience trekking de quelques jours. Il y règne une atmosphère tellement particulière que ça rend ce lieu presque mystique.
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Rapide chronique de ces quelques jours dans le nord du Vietnam.
L’intensité du trajet
T’as deux manières d’aller à Sapa depuis Hanoï. La première c’est le bus de nuit. Testé l’année dernière, content de l’avoir fait, mais cette fois-ci on préférera le train, plus rapide, plus safe, pis plus confort, c’est un fait. Bon karma pour cette fois on sera 2 dans une cabine de 4. (Ça peut vite tourner en party de famille et si t’as la banquette du haut tu bénéficies de toutes les bonnes odeurs de bouffe. Sympa pour l’expérience, moins pour la qualité de ta nuit…)
Départ de la gare, 22 h 30. La traversée d’Hanoï de nuit est assez impressionnante, tu manques d’écraser la moitié du Vietnam et de racler les murs à chaque virage, mais tout semble assez bien calculé et maîtrisé à la perfection. Dans ces cas mieux vaut fermer les yeux et truster l’conducteur. On s’endort assez vite, bercés (secoués?) par le murmure des rails. Le réveil est pas mal magique, arrivée dans les rizières au petit matin, on entre en gare de Lao Cai vers 6 h.
Là il te faut prendre une navette pour arriver à bout du périple, quand on te dit que le trajet fait partie du voyage, au Vietnam c’est pas un mythe. La montée à Sapa est assez intense, mais là c’est ma sœur que j’manque de perdre à chaque virage. La conduite est sévère et les effets secondaires de l’anti paludisme commencent à taper sérieusement.
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2 h et 3800 virages plus tard on arrive enfin. Ça prend du courage! Mais pour sûr tu le regretteras pas. La ville est une ancienne station d’altitude construite par les Français au début du 20ème siècle. Mais tsé Sapa aujourd’hui c’est ce genre de ville défigurée par la tourisme. T’aurais aimé la visiter hier. Tu te dis qu’elle est plus belle que demain. Tu veux faire barrage au temps. J’ai pensé à Leonardo et son île dans The Beach, mais dans l’fond je ne peux m’empêcher de me dire que j’y participe aussi.
Les rencontres inattendues
On passe par le marché de la ville, qu’on nous avait recommandé. Sacrée expérience, mais là pour vrai, tu vires vegan, live. Faut être pas mal accroché, pas la meilleure option à 8 h du matin par exemple. Faque on se lance dans la recherche d’un guide pour les 2 jours.
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Je voulais absolument passer en direct, j’étais tellement pas down de remplir les poches d’une énième agence touristique, je voulais que ça profite directement aux locaux. On tombe rapidement sur Mama nhưng qui semble errer dans la ville depuis des heures. Les gros cars de touristes sont déjà passés il y a quelques heures, les hordes ont été lâchées dans la nature et la ville est quasi déserte. On discute un peu, on se met d’accord sur le prix et on repart ensemble pour 2 jours de trekking.
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Rapidement, elle nous laisse entre les mains de sa fille Thư car elle a des « affaires à gérer en ville », elle nous promet qu’on se retrouve pour le souper. On l’a jamais revue. On fait donc la connaissance de Thư alors qu’on s’enfonce peu à peu dans les brumes de la montagne.
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Elle appartient à la tribu des Black Hmong (faut savoir qu’il y a plus de 50 ethnies différentes au Vietnam) on parle d’éducation (elle ne va pas à l’école, mais parle parfaitement anglais grâce au contact quotidien avec les touristes), de mariage (elle n’est toujours pas mariée, mais à priori ça devrait pas tarder), de la place des hommes, des femmes, de son quotidien.. J’me sens si platte avec mes questions tannantes, mais j’ai besoin de comprendre et Thư a l’air assez à l’aise avec ça.
Trekking et contemplation
Plus tard dans l’après-midi, on finit par prendre un break. Il y a tellement de brouillard qu’on ne voit rien à plus de 10 mètres. Thư nous sert un thé, qui goûte le gazon, pour vrai. On comprend qu’on est en fait arrivés chez elle. Les quelques heures qui suivront furent assez sur réalistes. On est restés assis 3 h je pense, a perdre toute notion de temps où d’espace, complètement hypnotisés par notre environnement dont on prend conscience au fur et à mesure que le brouillard se dissipe. 4 petites filles âgées de 3 à 12 ans, occupées à broder. 2 petits garçons qui jouent. L’un avec une planche à roulettes complètement homemade qui se lance dans la pente à toute vitesse, l’autre qui court, une machette à la main après un poulet. Pis des chiens pas mal gossants, qui font que s’chicaner et m’font sauter de ma chaise 1 ou 2 fois.
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Les questions
On est rejoints pour le souper par d’autres membres de la famille. C’est Thư qui a préparé tout le repas. 14 ans et elle te gère un 8 plats plus accompagnements de gala pour 10 personnes. Versus moi, 22 ans et la misère que j’ai encore à me cuisiner quoi que ce soit. La tradition avec les touristes c’est l’alcool de riz à la fin du repas. Môt haï bah, 1er shooter. Môt haï bah, 2ème. Au moment de la rencontre avec Thư quelque chose dans son regard m’avait frappé, une sorte d’innocence si pure. Mais là, au 4e shooter, la regarder dans les yeux me rend triste. Pis coupable.
J’ai tout fait pour voyager responsablement. Éviter les agences, fuir la ville, ne pas acheter de souvenirs aux enfants pour ne pas inciter les parents à les déscolariser. Mais là sans nous Thư, 14 ans serait sûrement à l’école. Pas en train de caler sa tournée de shooters pour faire plaisir à un touriste inconscient. Moi en l’occurrence.
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J’avais anticipé l’absence de WiFi et téléchargé 2 épisodes de Yummy Mummies sur mon cell tantôt (oups). Comme un besoin de me rattacher à quelque chose que j’connaissais, quelque chose de familier. A posteriori j’ai pas mal culpabilisé par rapport à ça. J’avais comme l’impression d’avoir raté un bout de l’expérience et choisi la facilité. Pis à quel moment je m’dis que c’est ça ce qui m’est familier et qui me rassure? Ca a pas d’allure de trouver du réconfort là-dedans, à niaiser 3 femmes kétaines et je ne veux pas savoir ce que ça dit sur moi…
Les émotions
Une fois la première nuit passée, tu commences à te sentir vraiment chez toi et tout te paraît étrangement familier. C’est d’une simplicité telle que l’adaptation est assez rapide. On profite du déjeuner le plus magique que je pense avoir connu. Thư nous a préparé des crêpes à la banane, avec du miel qui ressemble presque à du sirop d’érable. On en oublie tout le reste.
Partis pour une dernière randonnée de l’extrême, Thư nous ramène jusque dans la vallée où on prendra des scooters pour rejoindre Sapa. Au moment de se dire au revoir, toi t’es là, en pleurs à dire adieu à une enfant que t’as rencontrée y’a 24 h. T’as l’impression d’avoir créé une relation solide, vraie, mais tu sais que dans 2 h elle sera en ville avec de nouveaux baroudeurs en quête d’authenticité, pensant vivre quelque chose d’unique et d’honnête. Ils parleront d’éducation, de mariage. Ils boiront le thé au gazon, réfléchiront au sens de la vie assis 3 h sur leur chaise en plastique et enchaineront les shooters. Over and over. On se croit tous tellement uniques avec nos expériences faussement authentiques. Y’a selon moi quelque chose d’assez égocentrique dans le fait de tripper là dessus.
Le trajet du retour m’a permis de réfléchir à ces quelques jours. J’en repars, comme la première fois avec pas mal de questions. J’ai envie de rentrer, mais je suis triste à l’idée de partir. C’est pour moi l’expression même du Vietnam. L’ambivalence de ce pays qui révolte et fascine à la fois. Sublime et déformé, frustrant, inspirant, touchant et plein d’espoir. J’en suis tombé amoureux il y a 3 ans. Quand j’ai rencontré Hao en fait. Top 5 des personnes les plus inspirantes. Allez, top 3. Elle m’avait dit lors d’une de nos sessions thé quotidiennes où on jasait sur pas mal tout, nos visions respectives du Vietnam notamment « C’est ta maison ici. Il y aura toujours une place pour toi et ta famille. Tu reviendras dans 10 ans me présenter tes enfants. Ça peut prendre du temps, mais il y a ici quelque chose d’indescriptible qui rend mon pays si spécial » Pis là, sur mon scooter, perdu dans les brumes de Sapa, entre cascades et forêts de bambous j’en ai les larmes aux yeux. Et je peux vous le dire, ce quelque chose d’indescriptible, il se cache dans le regard des Vietnamiens.