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Christophe Colomb était wack
Le 12 octobre 1492, Christophe Colomb, explorateur téméraire et navigateur de génie, découvre l’Amérique au nom de la couronne espagnole. C’est ce qu’on nous a fait apprendre par cœur à l’école, mais ce n’est pas vraiment le fin mot de l’Histoire.
Non seulement notre boy Christophe n’a pas découvert grand-chose, il a aussi traité les populations autochtones qu’il a rencontrées avec une brutalité qui m’oblige à vous avertir dans l’introduction de ce texte. Les détails gore de la ruée vers l’or sanguinolente de l’explorateur laissent croire qu’on a affaire à un monstre.
En vérité, Christophe Colomb était probablement surtout un homme de son époque. J’en ai discuté avec Sébastien Brodeur-Girard, professeur en études autochtones à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Préparez-vous à apprendre tout ce qu’on ne vous a pas dit dans vos cours d’univers social.
Le « Nouveau Monde » n’était pas nouveau pour tout le monde
Premier et plus grand mythe : Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique. On sait maintenant que les Vikings avaient déjà touché terre sur le continent des centaines d’années auparavant et que des pêcheurs européens s’y étaient rendus bien avant les grands explorateurs. Mais surtout, il y avait déjà des gens qui habitaient en Amérique, et depuis très très longtemps.
Premier et plus grand mythe : Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique.
« C’est sûr que du point de vue européen, on ne connaissait pas le territoire, mais on ne découvre pas des gens », rappelle Sébastien Brodeur-Girard.
Ce n’est pas qu’une question de formalité. Le fait de penser à l’arrivée de Christophe Colomb sur une île des Bahamas comme la découverte de l’Amérique a une influence sur notre vision de l’histoire, comme l’explique le professeur en études autochtones.
« On parle des sociétés autochtones d’une manière figée, comme si rien ne s’était passé avant l’arrivée de Colomb, souligne-t-il. Ça nous fait oublier que les colons se sont insérés dans une toile complexe de guerres, d’échanges et d’alliances entre des nations qui existaient depuis très longtemps. »
Dernier clou dans le cercueil de la grande découverte de Christophe, l’histoire raconte qu’il n’aurait même pas vu la terre le premier. Ce serait un marin du nom de Rodrigo qui aurait d’abord aperçu la côte.
Christophe Colomb, sans doute motivé par la récompense d’une pension de 10 000 maravédis (à peu près 675 dollars canadiens) pour celui qui verrait l’Amérique, aurait fait le coup d’affirmer avoir vu la terre la veille pour prendre le crédit et le prix. C’est probablement l’affaire la moins trash que l’explorateur aurait faite par appât du gain, malheureusement.
Maniaque génocidaire ou produit de son époque?
En échange d’une promesse de ramener or et épices, la couronne espagnole a assuré à Christophe Colomb qu’il recevrait 10 % des profits ainsi qu’un prestigieux poste de gouverneur dans les colonies. En plus de cela, il fallait rapidement faire du profit pour rembourser les dépenses occasionnées par le long voyage à travers l’Atlantique. On comprend pourquoi Christophe Colomb est débarqué aux Bahamas vraiment crinqué par l’idée de trouver de l’or. C’est ce que raconte l’historien Howard Zinn, auteur de A People’s History of the United States.
Colomb et son équipage sont rapidement entrés en contact avec les Arawaks, les Autochtones vivant sur l’île. Dans ses notes, l’explorateur ne manque pas de faire l’éloge de leur générosité et de leur pacifisme, mais aussi des bijoux en or que certain.e.s portent aux oreilles. S’en suivra une course furieuse vers le profit, où Colomb et ses hommes forceront les Autochtones de la région à extraire le plus d’or possible.
Lorsque l’or se met à manquer, on se tourne vers le coton, puis vers la traite d’esclaves. C’est le début de l’encomienda, un système de travail forcé qui sera ensuite appliqué par les conquistadors en Amérique du Sud.
Les Autochtones mourraient de mauvais traitements ou des épidémies amenées par les colons, ou étaient envoyé.e.s contre leur gré dans des bateaux vers l’Europe.
Les conséquences sont catastrophiques : on pourrait même parler de génocide. Les Autochtones mourraient de mauvais traitements ou des épidémies amenées par les colons, ou étaient envoyé.e.s contre leur gré dans des bateaux vers l’Europe, où plus de la moitié décédaient pendant le voyage. La violence sexuelle est partout dans les écrits des hommes des expéditions de Christophe Colomb, le viol des femmes autochtones n’étant pas seulement toléré, mais inhérent au système d’exploitation mis en place.
Christophe Colomb lui-même avait la réputation d’entretenir des pratiques particulièrement violentes. Les Autochtones qui ne récoltaient pas assez d’or pour atteindre le quota demandé étaient puni.e.s de manière cruelle : on coupait les mains des victimes avant de les poser autour de leur cou. Elles mourraient alors de l’hémorragie.
Selon les chiffres de Zinn, dès 1515, on ne trouvait plus que 50 000 Arawaks sur l’île. En 1550, iels n’étaient plus que 500. En 1650, les écrits de l’époque rapportent qu’il ne subsistait plus aucun d’elleux ou de leurs descendant.e.s sur l’île.
Pour Sébastien Brodeur-Girard, ces faits, bien que glaçants, ne font pas de Christophe Colomb une exception. « Il était un produit de son époque. Les voyages de Christophe Colomb s’inscrivent dans la Reconquista espagnole, où l’Espagne catholique a repris une grande partie de son territoire des musulmans d’Afrique du Nord. Il existait une attitude très dure par rapport à “l’étranger”, mais aussi une classe militaire assez brutale et habituée à la guerre. On a envoyé ces militaires en Amérique, loin du contrôle des autorités et ils se croyaient tout permis. »
Des Christophe Colomb, il y en a donc eu des dizaines dans l’histoire de la colonisation des Amériques.
Toutes les facettes de l’histoire
Une fois que l’on connaît la face cachée du grand explorateur, que fait-on? Plusieurs villes américaines ont décidé de remplacer le Columbus Day par une journée pour les peuples autochtones. Cette journée n’est pas un férié au Canada, mais devrait-on appliquer le traitement Amherst à la rue Christophe-Colomb?
Pour Sébastien Brodeur-Girard, la solution ne passe pas par le retrait d’une figure historique : « L’arrivée de Christophe Colomb demeure un moment important de l’histoire, qui permet de comprendre le monde comme il est aujourd’hui. Ce contact a eu des conséquences immenses : le génocide des peuples autochtones, mais aussi la création de nouvelles nations et beaucoup d’échanges. Imaginez l’Italie sans tomates ou la Thaïlande sans piments! Il ne faut pas l’occulter, mais de là à le glorifier… »
En apportant des nuances, même si elles sont parfois difficiles à avaler, on se rapproche de la vérité historique.
Le professeur se réjouit qu’on accorde de plus en plus de place au point de vue autochtone en histoire, mais il considère qu’il y a encore du chemin à faire. « On a tendance à privilégier les sources écrites en histoire, mais il existe une histoire orale et archéologique qui sont tout aussi riches, souligne-t-il. Ce biais fait qu’on se concentre sur de grands personnages et qu’on oublie des sociétés complètes. »
En apportant des nuances, même si elles sont parfois difficiles à avaler, on se rapproche de la vérité historique selon Sébastien Brodeur-Girard : « Il existe des faits historiques, oui, mais aussi plusieurs points de vue historiques. Les deux histoires sont importantes, et si on en occulte une, on affaiblit notre compréhension. »