C’est dans une ambiance un peu surréaliste et très appropriée que s’est déroulé jeudi passé le lancement de « Rencontrer Looloo », nouvel opus de la bande de Chocolat. C’est qu’en cette semaine où on couronnait une star lustrée issue des années 80 à la présidence américaine, à peine 15 minutes avant que les gars branchent leurs guitares on a appris le décès du grand Leonard Cohen. Mettons qu’il flottait, au milieu des quelques cinq cents rockers faisant déborder et surchauffer le Matahari Loft, comme un besoin de se changer les idées, une impression d’être un peu passé de l’autre côté du miroir. Une certaine envie de défoulement, qui fut pleinement canalisée par la bande de Jimmy Hunt.
Chocolat, c’est une drôle de bibitte. Un concept plus qu’un son, comme une idée du rock qu’on s’acharne à réinventer à chaque album, quelque chose qui parvient à changer sans cesse de forme en restant toujours sauvage. Fondé en 2007, c’était d’abord un trip garage, une envie de gros son sale 60’s à la Velvet Underground et aux relents yé-yé, qui s’est incarnée dans le EP lancé à l’époque. Ça incluait des chansons qui parlent de coucher avec Gabrielle dans une ruelle, de coucher avec Johnny Depp n’importe où, de se travestir en Simone et de pas aller travailler, ainsi que le meilleur catharsis rock anti-hivernal de l’univers, « Le monde est vert ». C’était sale et cochon à réveiller un mort, un électrochoc.
Après « Piano Élégant », premier vrai album à cheval entre ce son gras et le penchant pour la chanson française de Hunt, le groupe a viré à l’envers les salles de spectacles du Québec pendant quelques mois. Ça a été bruyant et imprévisible. Un grand moment de rock québécois, quelque chose comme du danger, la vraie patente. Disons que ta matante a dû faire un moyen saut quand ils sont passés dans son coin. C’était aussi un peu un death trip qui s’est soldé par un voyage avorté aux Îles de la Madeleine, d’où la bande a été carrément expulsée après pas mal de Jameson et quelques petits scandales, aventure immortalisée dans le documentaire Élégant du cinéaste Yan Giroux. Puis hiatus de 5 ou 6 ans, pendant lequel on a eu la chance de découvrir l’étendue de l’univers musical de Jimmy Hunt sur deux albums solo maintenant cultes.
Pas mal tout le monde considérait le projet enterré jusqu’à ce qu’en 2014 le groupe fasse un retour inespéré avec « Tss Tss », album étonnant résultant de « jams » solides et d’ambiances fantômatiques. Jamais là où on les attend, Chocolat proposait encore un nouveau son, de nouveaux complices (Emmanuel Éthier à la guitare et à la réalisation) et des pièces psychédéliques et éclatées, qui rappellent les boucles obsédantes du krautrock sur lesquelles les textes se faisaient pourtant résolument queb’.
Tout ça pour arriver à ce lancement, ce « Rencontrer Looloo » qui tourne non-stop sur ma platine depuis maintenant une semaine et dont je ne suis pourtant pas encore venu à bout. Je dirais que c’est une réussite à tous les niveaux en même temps qu’une des choses les plus étranges de la musique québécoise récente (et j’inclus la toune « Trip de bouffe » de Nicola Ciccone et le psychotronique album « Fan » de Dan Bigras). Un album dense et déroutant, sans compromis ni explications, à mille lieues de toute la musique convenue et policée du mainstream québécois. Un amalgame complexe, fuzzy, jazzy et sophistiqué dont le graphisme rétro-futuriste à l’italienne donne un très juste avant-goût. C’est parfois glam-rock, ça prend un détour « film d’horreur » à la John Carpenter, ça revient dans les sonorités prog 70’s, le hard-rock d’aréna, le vieux métal… Impossible de réduire le résultat autant que le concept à la base du projet. Le communiqué de presse était pourtant clair :
« Par-delà les montagnes de Mars et la mystique des pyramides se dessine déjà la silhouette de Looloo, ce demi-dieu issu des poussières galactiques, cet exalté vibrant au rythme d’une épiphanie sertie de bouteilles de Cherry Coke et de pretzels. Sa tête de guitare électrique chante l’avènement d’un nouveau Golden Age strident de distorsion, d’une fuite inéluctable vers les confins de l’univers pour renouer avec ceux qui nous donnèrent l’intelligence et le hard rock ».
Et en fait, c’est tout ça et bien plus, assemblé en strates de références et de sonorités où les claviers (Christophe Lamarche-Ledoux, encore un petit nouveau) se confondent aux guitares distorsionnées et où la voix de Hunt est nulle part et partout en même temps. Ça parle d’être meilleurs qu’R.E.M., de physique quantique, des pyramides, d’aura, d’extraterrestres, de champs magnétiques et d’un t-shirt plein de vieille poutine. On se demande comment ça tient ensemble et en même temps ça parvient de manière étrange à être un tout complètement cohérent, comme un moment dans l’esprit d’un schizophrène paranoïaque laissé trop longtemps devant la télé dans les années 70. Avertissement, « Rencontrer Looloo » laisse des traces; plus on s’y enfonce, plus on a l’impression de faire partie d’une société secrète ou d’un mouvement occulte. Et ça pourrait se solder par l’achat d’un coat de cuir avec des studs ou d’une moto.
Ah Ouin? Ouin.
Pas besoin d’être Eleven qui saigne du nez pour prévoir une grosse année à la stupéfiante gang de weirdos de Chocolat, autant ici qu’à l’international. Moi en tout cas, j’ai décidé que quand on me posera la question, je répondrai sans hésiter que c’est chez Looloo que le rock d’ici est rendu. Et peut-être d’ajouter que ce bordel amplifié, cette confusion dansante de références délirantes, d’ancien et de futur, de vulgaire et de sacré, ben regarde dehors; c’est beaucoup le monde dans lequel on vit.
Arrange-toi avec ça.
xx
Pour lire un autre texte de Jean-Philippe Tremblay: « Louis-Philippe Gingras, le tigre géant ».