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Chips au cheeseburger et ongles d’orteil

Par
Mélissa Verreault
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Lorsqu’une de mes amies européennes est débarquée au Québec il y a quelques années, son plus grand choc culturel n’as pas été causé par les grands froids de février, ni par notre joual parfois incompréhensible, ni par l’étrange bouillie brune qui nous sert de plat national ; la chose qui l’a le plus traumatisée, c’est le fait qu’après quelques mois ici, elle a dû commencer à se couper les ongles deux fois plus souvent et à se raser les jambes matin et soir.

Était-ce l’air glacial du Québec qui faisait en sorte que son poil poussait plus rapidement – une manière qu’avait trouvée son corps de se protéger du vent du Nord ? Ça aurait pu être logique, mais alors, pourquoi ses ongles poussaient plus rapidement eux aussi ? Pour mieux pouvoir chasser le bébé phoque à mains nues ? Elle a fini par découvrir que si tout sur elle s’était mis à pousser plus vite, c’était à cause du lait. Quelqu’un lui avait expliqué qu’ici, en raison des carences que le manque de soleil pouvait entrainer, on ajoutait de la vitamine A et de la vitamine D dans le lait et que ces nutriments favorisaient la pilosité abondante et la manucure fréquente.

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Cette histoire m’a d’abord fait rigoler. Puis, elle m’a fait réaliser qu’on est réellement ce qu’on mange – ce n’est pas juste un dicton inventé par une quelconque chaîne de supermarchés pour faire poétique. Or, le problème, c’est qu’on n’a pas toujours le contrôle sur ce qui rentre dans notre bouche – à moins d’être carrément autosuffisant, de faire la culture hydroponique de la laitue dans la salle de bains de son 3 et demi et d’élever une poule sur le toit de son immeuble rosemontais. On passe notre vie à se faire rappeler qu’il est important d’ingurgiter 12 000 légumes par jour, d’engouffrer tout autant de produits laitiers et de ne pas trop exagérer sur le gras, le sucre et le sel. L’affaire, c’est que même quand on cherche à faire attention, on en ingère, de ces fameuses cochonneries si dangereuses pour nous. Parce que ça a beau être des cochonneries qui risquent de nous tuer à tout moment, il y en a partout, même là où ce n’est pas censé.

En tant que bonne européenne, mon amie aux poils qui poussent plus vite que l’ombre du gars dans le film Opération beurre de pinottes adore manger du pain. Le jour où elle a réalisé qu’ici, on mettait du sucre dans notre pain baguette, elle a toutefois slaqué sa consommation de miches et de quignons. Est-ce nécessaire de mettre du sucre dans le pain pour qu’il lève ? Non. Mais on le fait pareil. Question de principe ou de tradition, probablement. Dans le même ordre d’idées, l’autre jour, j’avais envie d’une collation santé, alors je me suis acheté des graines de citrouille. Un trip de même. J’en ai mangé cinq ou six, puis j’ai lu les informations nutritionnelles : le petit sac que j’avais entre les mains contenait 150% de ma dose de sodium journalière recommandée. Avait-on besoin de déverser une salière au complet dans ma portion de graines de citrouille pour les rendre bonnes au goût ? Non. Mais ça aussi, on l’a fait pareil. Cet après-midi là, j’ai mangé des crottes de fromage finalement, c’était moins salé.

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Aujourd’hui, j’ai repensé à tout ça parce que je suis tombée sur un article parlant d’une étude sur l’obésité qui a été faite aux États-Unis et qui révélait que les petits (euphémisme) américains âgés de 3 à 5 ans étaient accros au sel, au sucre et au gras, tout cela parce que les parents les habituaient à ce type de saveurs et qu’ils les incitaient ainsi à les préférer à tout le reste. Bonne nouvelle, selon les chercheurs : si les parents changent les habitudes de leurs bambins et leur donnent des poivrons rouges à la place des chips à saveur de cheeseburger, lesdits rejetons développeront le goût de manger des poivrons rouges plus souvent. Super. Cependant, il reste un problème : l’industrie, elle, n’a aucun intérêt à encourager les enfants à manger de simples et vulgaires poivrons, tout nus, comme ça, pas de petite trempette. Parce que ce n’est pas payant, les poivrons tout nus. Les croustilles aux ailes-de-poulet-tandori-trempées-dans-la-sauce-BBQ-la-bière-et-la-mayonnaise-et-saupoudrées-de-saveurs-de-cornichons-sucrés, ça rapporte plus. Les parents auront beau encourager leur progéniture à manger plus de brocoli, l’industrie, elle, s’assurera qu’il n’en mangent pas trop. Ou s’ils le font, qu’ils mettent au moins du Cheez Whiz dessus.

Ma fameuse amie n’habite plus ici depuis plus d’un an. Elle est retournée sur son vieux continent manger des saucissons, des viennoiseries et des fromages. Grâce à ce régime, elle a perdu les quelques livres qu’elle avait gagnées lorsqu’elle habitait ici. Elle se coupe également les ongles moins souvent. Bref, elle a recommencé à manger de la nourriture normale, non additionnée de surplus superfétatoires superficiellement inutiles. Elle a recommencé à vivre dans un pays où le Guide alimentaire canadien n’existe pas, mais où l’industrie alimentaire ne peut pas faire ce qu’elle veut, par contre…

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