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Chers Maroon 5, groupe le plus plate de l’univers

Thomas Leblanc se prononce sur ce que la présence du groupe au prochain Super Bowl représente dans le climat actuel.

Par
Thomas Leblanc
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Chers Maroon 5,

Dimanche le 3 février, vous confondrez vos sceptiques (comme moi) en vous exécutant au spectacle de la mi-temps du Superbowl LIII à Atlanta, avec les dieux locaux du rap Big Boi (de OutKast) et Travis Scott. Les rumeurs couraient depuis plusieurs mois que des artistes d’avant-plan comme Rihanna ou Cardi B avaient refusé de participer à l’événement qui était, au début de la décennie, une plate-forme prestigieuse et désirable. On peut aussi spéculer qu’André 3000, la moitié la plus connue d’OutKast et probablement le musicien le plus célébré d’Atlanta, a aussi évité de s’associer à la NFL post-Kaepernick.

Maroon 5, vous êtes le groupe le plus populaire au monde dont peu de gens peuvent nommer cinq chansons (ou même trois, sérieux). C’est aussi impossible d’identifier les membres du groupe, à part le yoga bro qui vous sert de chanteur. Je dois le dire d’emblée, si on m’avait dit en 2004 que le band derrière She Will Be Loved et This Love serait encore actif quinze ans plus tard, j’aurais pouffé de rire. Ces deux succès soul-pop ne laissaient pas présager une carrière prolifique comme la vôtre, mais en même temps, Donald Trump est aujourd’hui président des États-Unis; la vie est remplie de surprises.

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Il y a quelque chose d’impressionnant dans le fait que parmi vos 9 chansons à avoir atteint le Top 5 du Billboard (en date du 3 février 2019), certaines remontent à 2004. Avec le numéro 1 Girls Like You, en 2018, vous avez démontré votre longévité. L’an dernier, vous étiez le troisième groupe le plus populaire sur Spotify. Mais tout le succès du monde ne peut m’empêcher de constater une chose en regardant cette capsule sur les préparatifs d’avant-Superbowl : vous êtes plates à mort.

Votre participation au Superbowl est le triomphe de votre soul musak taillée pour les ascenseurs et les « outlets » de la Couronne Nord. Au contraire des « half-time » de Beyoncé (2013) et Lady Gaga (2017), il n’y a aucun buzz, aucune anticipation, aucune curiosité à savoir ce que vous proposerez. C’est un triste moment pour la culture et les amoureux de pop.

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Le grand théâtre américain

Le Superbowl est le théâtre américain par excellence. Tous les grands thèmes s’y croisent, sur le terrain, dans les estrades et sur les écrans. Pouvoir, religion, militarisme, enjeux raciaux, surconsommation, rôles genrés ultra-conventionnels : l’événement peut servir de surface de projection pour comprendre les États-Unis et ultimement, se comprendre soi-même comme Nord-Américain.

Alors quand on regarde dans ce miroir et qu’on y voit Maroon 5, c’est difficile de ne pas constater qu’en 2019, les musiciens blancs n’ont pas la même boussole éthique que leurs collègues afro-américains. On l’a bien vu lorsque Travis Scott a avancé avoir reçu la bénédiction de Colin Kaepernick avant d’accepter de participer au show, avant d’être contredit par le principal intéressé sur Twitter. Mais personne ne s’attend à ce que vous annuliez votre participation, malgré cette pétition.

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Le fait que le Superbowl ait lieu à Atlanta cette année amplifie la dimension politique de l’affaire : lors des élections de 2018 pour le poste de gouverneur de la Géorgie, la candidate démocrate afro-américaine Stacey Abrams a perdu de peu contre son opposant républicain Brian Kemp. Abrams, qui accuse le nouveau gouverneur d’avoir mis en place des mesures qui compliquent le vote afro-américain, sera responsable de prononcer la réponse démocrate au discours du « State of the Union » livré par Donald Trump pas plus tard que… mardi prochain, le 5 février.

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De Kaepernick à Maroon 5

Il y a quelque chose de déprimant que deux ans et demi après l’agenouillement de Kaepernick et d’autres joueurs lors de l’hymne national avant les parties, on fasse appel à l’un des groupes pop les plus consensuels pour marcher dans les traces de Prince, Michael Jackson et Beyoncé. Chacun à leur manière, ces trois légendes de la pop ont fait du spectacle de la mi-temps le rendez-vous incontournable qu’il est devenu.

Souvenons-nous aussi que le geste de Kaepernick, en pleine campagne électorale de 2016, avait été précédé quelques mois plus tôt par le numéro militant de Beyoncé avec Formation, dans une mi-temps pourtant signée… Coldplay. Beyoncé nous a offert son hymne afro-féministe au moment où la campagne Black Lives Matter obsédait les consciences et les commentateurs de droite. Déjà, une faille apparaissait.

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Je ne peux donc m’empêcher de faire un lien entre ce spectacle et la brutalité policière contre les jeunes afro-américains. Quoiqu’en pense Pepsi, le commanditaire du « half-time show », le choix d’un artiste pour cette performance est une décision qui a une portée symbolique qui dépasse le football ou le divertissement. Et avec vous, Maroon 5, le message est clair : « the show must go on ».

La marque Maroon 5

La musique pop dans sa forme actuelle est une boucle qui doit toujours alimenter la prochaine étape du plan de mise en marché. On écrit des refrains accrocheurs pour jouer à la radio. On joue à la radio pour se produire à la télé ou même devenir juge sur une compétition genre The Voice (comme Adam Levine). On passe à la télé pour remplir des arénas. On rince et on recommence à chaque album.

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Je vous l’accorde, Maroon 5, vous avez compris quelque chose : il ne faut surtout pas réinventer la roue. Vous respectez tellement bien la recette que vous faites passer Coldplay pour les nouveaux Beatles.

Votre talent, comme celui de Taylor Swift d’ailleurs, réside vraiment dans l’écriture de chansons incroyablement efficaces qui sont toujours « on-brand » comme « Sugar », « Makes Me Wonder », « One More Night » et « Maps ».

Mais c’est quoi au juste, la marque Maroon 5? Une redoutable efficacité beige? Une absence complète de propos politique? Un vide artistique qui reflète notre époque?

Vampires des musiques afro-américaines

Dans la catégorie des white boy émules de Michael Jackson (pour la musique, pas les crimes allégués), je trouve qu’Adam Levine chauffe Justin Timberlake. Avec son falsetto efficace livré sur des lignes de bass funk, il a su se rendre indispensable à la machine pop.

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Il n’y a rien de mal en soi à marcher dans les traces de MJ, Stevie Wonder ou Prince quand on est blancs. Mais de plus en plus, cette appropriation vient avec une responsabilité : une réelle solidarité.

La stratégie d’appropriation de Maroon 5 dépasse toutefois le registre des influences et elle me rend franchement perplexe. Afin d’avoir du succès dans l’ère du streaming, vous vous associez avec certains des artistes afro-américains les plus populaires des dernières années, comme Wiz Khalifa sur Payphone, SZA sur What Lovers Do, Kendrick Lamar sur Don’t Wanna Know et A Boogie Wit da Hoodie sur Wait. OK. Mais sans eux, auriez-vous vraiment eu le même succès?

Je suis quand même curieux de voir quelle place vous ferez à Big Boi et Travis Scott dans le numéro de la mi-temps. Artistes afro-américains de service ou véritables collaborateurs?

Il y a finalement quelque chose de révélateur à ce que votre grand hit, Moves Like Jagger, fasse un clin d’œil au chanteur des Rolling Stones… déjà connus pour leurs emprunts répétés au blues américain. Plus ça change, plus c’est pareil.

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