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#ChèreCarlaBruni

Par
Aurélie Lanctôt
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Il y a deux choses que je peux déclarer d’emblée avec certitude : ma génération a besoin du féminisme, et elle n’a certainement pas besoin de Carla Bruni.
Pour ceux et celles qui auraient loupé la polémique, en début de semaine, Carla Bruni, « bourge » notoire; accessoirement chanteuse, mannequin, actrice, ex première dame de France et experte en regards aussi vides que langoureux, a provoqué une sacré vague de mécontentement, sur Twitter.
Dans un entretien accordé au magazine Vogue de décembre, elle a déclaré fièrement ceci :
En revanche,
La belle affaire!
Suite à cette déclaration d’une éloquence inouïe est apparu sur Twitter le mot-clé « #ChèreCarlaBruni ». Les femmes ont réagi par milliers, la plupart du temps par des axiomes formulés ainsi : « Notre génération aura besoin de féminisme tant que X ». J’ai ajouté la colonne #ChèreCarlaBruni à mon TweetDeck et je regarde défiler depuis quelques jours. Osez le coup d’oeil, vous tomberez sans doute sur quelques perles. Fait intéressant : beaucoup d’hommes y contribuent aussi, affirmant non seulement que les femmes ont besoin du féminisme à l’époque contemporaine, mais que les hommes aussi, et plus que jamais. Des trucs du genre :
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«#ChèreCarlaBruni, les garçons qui subissent les injonctions aux normes hétéro-viriles ont aussi besoin du féminisme.»
C’est apaisant de constater que les combats plus subtils du féminisme ne sont pas complètement occultés, et qu’il se trouve des gens – beaucoup de gens! – prompts à participer à des levées de boucliers pour la cause féministe, sans nécessairement s’afficher comme militants avérés. Car contrairement à ce que Carla Bruni semble penser, l’expression de la pensée féministe n’émane pas que des noyaux militants.
Eh non Carla! Pas besoin d’être l’activiste hirsute que dépeignent tous les clichés féministes pour porter la cause. C’est bien embêtant! Mais t’en fais pas, t’es « bourge », ça ne te concerne pas…
En revanche
Elle suppose donc que le style de vie bourgeois est une alternative au féminisme, et que « bourgeoisie » et « féminisme » sont des catégories mutuellement exclusives. Un genre de mea culpa : « Je suis pas féministe, mais faut comprendre : c’est que je suis bourge! »
Ah bon. Comme si l’un devait/pouvait pallier l’autre.
en revanche
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« Le système capitaliste s’est approprié l’oppression des femmes à son profit comme il se réapproprie tous les vestiges des rapports sociaux de société qui lui sont antérieures. Ce faisant, il les a soumis à ses règles : c’est la logique de profit qui limite le développement et la qualité des services sociaux nécessaires à l’émancipation des femmes et qui fait que chaque patron aura toujours intérêt à s’appuyer sur les différences sexuelles pour justifier la surexploitation des femmes.
C’est la propriété bourgeoise qui a besoin de l’institution familiale pour transmettre son patrimoine et sa double morale : une pour les hommes, une pour les femmes. »
Trolololo.
Malheureusement, je doute fort que notre amie Bruni-Sarkozy-Toudlidi ait poussé sa réflexion jusque-là. Et je ne dis pas ça qu’à la lumière des allégeances politiques de son auguste mari…
Bien sûr, elle s’est défendue de ses assertions maladroites dans le magazine ELLE, au cours de la semaine. Elle a prétexté avoir voulu dire qu’elle n’était pas « militante active » parce qu’elle n’en avait jamais « ressenti le besoin », mais qu’évidemment elle prônait la « liberté » des femmes. C’est drôle, j’aurais parlé d’égalité plus que de liberté, mais enfin.
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Blague à part, je dois avouer qu’il m’est arrivé à plusieurs reprises d’être confrontée à des opinions très défavorables au féminisme, chez des femmes de mon entourage, pourtant urbaines et très très émancipées, pour le moins qu’on puisse dire.
« Non sérieux, moi je suis antiféministe : ça juste pu rapport! »
Curieux comme il est répandu, ce sentiment que les luttes féministes sont « dépassées » et que nous sommes enfin « passées à autres choses ». Ça m’horripile qu’on puisse vraiment le penser, mais je comprends le raisonnement. Ayant généralement en tête l’image stéréotypée de la féministe rageuse, radicale et vindicatrice des années 70, plusieurs femmes semblent à présent répugner l’approche « confrontationnelle » de ces féministes de la « deuxième vague ».
Cette idée qu’il faudrait constamment être féministe « en réaction » à l’homme et au patriarcat en exaspère plus d’une, du fait qu’elle ne les rejoint pas ou plus. Les rapports hommes femmes ont en effet évolué depuis les années 70, et la notion de lutte des sexes n’est peut-être plus au goût du jour. Aujourd’hui, le féminisme se logerait davantage dans la recherche de l’égalité absolue des sexes, et non dans le rejet radical de la « domination mâle ». C’est plus soft, c’est vrai.
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Mais à mon sens, contrairement à ce qu’annonce notre amie Carla, cela requiert une vigilance, voire une combativité accrue! Tout est à présent dans la subtilité, dans le détail des dynamiques interpersonnelles. Aussi, enfouie sous une épaisse couche de mesures sociales et de bonne volonté, la logique patriarcale de l’establishment se fait plus discrète… En ce sens, ne serait-il pas d’autant plus dangereux de baisser la garde?
Le féminisme dit de la troisième vague, stigmatisée par les clichés des premières, semble se buter à une étrange réticence, à un malaise éprouvé par certaines femmes à l’idée de se proclamer « féministe ». Trop frontal : c’est pas chic et ça fait soupirer.
Et bien justement. Les soupirs. Il est peut-être là, le problème.
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