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Cher Justin Trudeau : le vrai scandale est climatique

Avec les conservateurs qui gagnent du terrain, la question climatique devient de plus en plus brûlante pour les libéraux.

Par
Thomas Leblanc
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Cher Justin Trudeau,

Si je t’écris aujourd’hui, ce n’est pas pour te parler du scandale SNC-Lavalin (c’est rare ces jours-ci, je sais), mais permets-moi un petit aparté avant d’entrer dans le vif du sujet.

Comme beaucoup de monde, j’ai suivi l’affaire avec un sourire en coin, parce que 1) ça fait toujours du bien de voir une grande entreprise qui trempe dans des affaires de corruption se faire ramasser et, peut-être, faire face à un procès criminel 2) ça fait aussi du bien de voir un premier ministre un peu condescendant perdre la face.

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Mon plaisir n’a pas duré. J’ai commencé à feeler un peu anxieux quand on a vu apparaître des sondages dans le Canada anglais qui te placent DERRIÈRE Andrew « Harper avec un sourire » Scheer dans les intentions de vote. Et si toute cette affaire donnait les munitions nécessaires aux conservateurs pour reprendre juste assez de sièges pour être élus en octobre prochain? Avec Doug Ford aux commandes de l’Ontario, on commence à sentir un vent de face pour ton parti dans cette province qui pourrait te montrer la porte après seulement un mandat. On l’oublie parfois de ce côté-ci de la rivière de l’Outaouais, mais c’est la gigantesque banlieue de Toronto qui fait et défait les gouvernements au Canada.

Pendant tout le psychodrame entourant les pressions alléguées de ton bureau sur la procureure générale pour que SNC-Lavalin « bénéficie » d’une grosse amende afin d’éviter une condamnation, je ne pouvais m’empêcher de me fâcher un peu plus chaque jour. Pourquoi? Parce qu’on ne parlait pas assez du vrai scandale canadian duquel il faut absolument jaser : la politique climatique bidon de ton gouvernement.

Des pipelines, coast to coast

Mettons une chose au clair, Justin : je ne suis vraiment pas ton plus grand fan. Tu gosses pour mille raisons, qui vont de ta syntaxe déficiente en français à ton image de prof d’art dramatique cool qui fait rêver les Américains progressistes, en passant par la très décevante conclusion à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (la seule commissaire francophone a exprimé son malaise avec la fin en queue de poisson de ce processus insuffisant).

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Mais au-dessus de toutes les autres raisons, c’est la position alambiquée de ton gouvernement dans le dossier des changements climatiques qui me fait ca-po-ter. D’un côté, le PLC a lancé la plus ambitieuse politique climatique EVER au Canada. Marché du carbone, engagements à continuer à réduire les émissions, investissements dans les énergies renouvelables. C’est bien beau, mais après neuf ans avec Stephen Harper au pouvoir, c’est sûr que n’importe quel engagement allait paraître héroïque.

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Où ça devient dur à suivre, ton affaire, c’est dans la volonté de ton gouvernement d’aider l’industrie pétrolière à exporter ses produits alors qu’on connaît l’urgence de diminuer drastiquement notre empreinte carbone.

L’exemple le plus éclatant de cette hypocrisie climatique, c’est l’approbation du pipeline Trans Mountain par l’Office National de l’Énergie, après que le projet ait été débouté en cour fédérale pour de très bonnes raisons. « WHAT? » ai-je crié en voyant cette manchette du 22 février, enterrée par le scandale SNC-Lavalin. À lire le journaliste du média The Tyee, c’est un nouveau creux pour l’agence fédérale qui sous-estime les risques financiers et environnementaux d’un pipeline qui traverserait les Rocheuses.

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Ce non-sens n’est vraiment pas isolé. On se souvient aussi de l’achat d’un vieux pipeline rouillé de la compagnie américaine Kinder Morgan. Et ce compte-rendu d’une rencontre du ministre des Ressources naturelles Jim Carr avec le lobby pétrolier et gazier à Winnipeg, en 2017, donne froid dans le dos en exposant comment au final, aucun document ne sera dévoilé au public pour expliquer la stratégie énergétique du pays. Ça devient clair que ton gouvernement a fait un deal avec les pétrolières : vous nous laissez « réformer » l’Office National de l’Énergie et lancer un marché national du carbone en échange d’un engagement ferme à vous laisser transporter du pétrole à travers des pipelines tout neufs (d’où les projets Trans Mountain, Énergie Est, Keystone et Keystone XL).

Déversement pétrolier dans les gouvernements

Le livre Oil’s Deep State, lancé en 2017, décortique concrètement comment les grandes entreprises des sables bitumineux contrôlent la politique albertaine, des universités au gouvernement en passant même par les tribunaux. C’est écrit par l’ancien chef du Parti Libéral albertain, Kevin Thaft, et il n’y va pas avec le dos de la cuillère pour démontrer à quel point les gros joueurs tirent les ficelles du Parti Conservateur d’Andrew Scheer, mais aussi du Parti Libéral de Justin Trudeau.

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L’industrie a raffiné ses tactiques : après avoir nié les changements climatiques (so 2009), elle a insisté (en 2012) pour dire que le pétrole canadien est vraiment plus éthique parce qu’il ne profite pas au régime saoudien ou à la méchante dictature socialiste vénézuélienne. En 2019, c’est l’argument des emplois et du développement économique qui devrait faire le poids contre le climat qui change et les dommages monumentaux à la planète, la biosphère et… l’espèce humaine. Super utiles les jobs dans l’Ouest pour accueillir les migrants climatiques!

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L’excuse des emplois à préserver tient de moins en moins la route, parce que les conséquences négatives dépassent les retombées positives, selon Thaft. Il avance aussi qu’en Alberta, le gouvernement tire de plus grands revenus de la loterie et de l’alcool que des droits liés à l’exploitation pétrolière. C’est tout un syndrome de Stockholm ça mon ami!

Le mieux est-il l’ennemi de bien?

Regarde, Justin : je ne suis pas plus fin qu’un autre. Je ne suis pas un expert de l’industrie énergétique et je n’ai pas signé le Pacte. Je suis juste un millénial très anxieux face à l’avenir et même si je trouve que ta politique climatique c’est du n’importe-quoi, j’espère sincèrement qu’Andrew Scheer ne sera pas élu premier ministre le 21 octobre prochain. Et je ne crois pas aux chances de Jagmeet Singh de te déclasser, même si c’est clairement un leader beaucoup plus woke et stylish que toi.

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En même temps, j’aimerais bien que ton parti et toi ayez une bonne frousse. Dans un univers parallèle, le vrai scandale ne serait pas la façon dont tes conseillers ont pourchassé Jody Wilson-Raybould pour qu’elle intervienne dans le dossier SNC-Lavalin. Ce serait plutôt le faux verni environnementaliste de ton gouvernement qui serait décapé, afin qu’on arrive à stopper la dépendance du Canada aux hydrocarbures. Et dans mes fantasmes les plus fous, tu dirais « bye bye pipelines ».

Un retour des Conservateurs au pouvoir signifie que l’industrie pétrolière reprendrait encore plus le contrôle sur l’appareil gouvernemental. Si toi, Justin, tu gosses, le petit sourire gêné-complice d’Andrew Scheer me fait faire des cauchemars.

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Justin, il est encore temps de te reprendre en main, à condition d’aller encore plus loin dans la lutte aux changements climatiques.

Je te watche, Trudaddy.

Thomas