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Cher chroniqueur que je remplace,

Par
Éric Samson
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Je ne sais pas si tu liras en entier cette lettre que je t’adresse. Je ne sais même pas si tu la liras. Je ne sais même pas si elle sera lue par quelqu’un, en fait, hors des 40 personnes qui likent à peu près toutes mes chroniques ici, même les plus plates.

Je voulais profiter de la tribune qui m’est offerte — te remplacer, toi, le chroniqueur le plus lu sur Urbania, c’est quand même pas rien — pour continuer un peu ma réflexion de la semaine passée. Parce que depuis ce mardi matin fatidique où je me suis fièrement placé contre l’indignation à toutes les sauces, je ne cesse de me poser une question:

Pourquoi écrire des chroniques?

Qu’on soit ici bien clairs, je ne me demande pas « pourquoi Rabii écrit-il des chroniques », ni même « va-t-il finir par manquer de tranches de vie pour se ramasser à devoir nous servir une chronique poche comme un grill-cheese fait avec une des tranches du boutte ». Je me demande pourquoi tenir chronique dans un média, en général.

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Il y a eu un grand débat, l’an passé, sur la place de la critique culturelle. Dans ce débat, que je crois avoir pris part à lancer en annonçant les raisons de mon départ de CISM et qui a pris des proportions étonnantes, on s’est longtemps questionnés sur le rôle du critique en culture et sur ce que les nouveaux médias ont apporté comme démocratisation de la critique et tout ça.

Je vois le chroniqueur un peu comme un critique de la société. Quand Foglia fait autre chose que parler de son vélo et de ses tomates et qu’il se décide à parler de la vie au lieu de parler de la sienne, il me semble adopter plus ou moins la même posture que celle du critique devant une oeuvre: il la regarde, un peu de l’extérieur, et souligne des trucs qu’il aime et qu’il aime moins, en soulignant un bon coup ou quelques travers. (Je prends Foglia, mais ça pourrait tout aussi bien être un autre, hein, et en fait ça devrait en être un autre, le plus rapidement possible.)

Sauf que Foglia ne donne pas trois étoiles et demie à la fin de son texte. So what.

Les médias sociaux ont démocratisé toute forme d’expression, au point où je me demande si le rôle de chroniqueur est vraiment encore nécessaire. J’en parlais l’autre fois avec une amie en attendant notre pizzaghetti au resto du coin. (Ne vous faites pas avoir: un vrai pizzaghetti n’a pas de trait d’union et consiste en du spag à l’intérieur d’une pizza, entre la pâte et le mozza sur le top. En cas de doute: Jonas, à Villeray, en font un et il est absolument délicieux.)

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MOI, PHILOSOPHE: À quoi ça sert, un chroniqueur, maintenant que tout le monde garoche ses opinions partout?

AMIE QUI ATTEND SON PIZZAGHETTI: Ça sert à donner des munitions aux gens qui garochent leurs opinions partout. Ça sert à valider que quelqu’un d’autre pense comme toi, fait que t’as le droit de le penser et de le dire, parce que même si c’est une idée niaiseuse, tu peux toujours pointer le gars du journal pis dire « Check, lui aussi il pense ça. »

MOI PAS CERTAIN: Fait que tout le monde dit tellement tout ce qu’il pense à la journée longue que quand tu as une opinion différente, t’as besoin d’autres gens pour te dire que ce que tu penses est pas si cave?

AMIE QUI COMMENCE À AVOIR SÉRIEUSEMENT FAIM: Je pense. Ça solidifie les idées qu’on a déjà et ça aide à les exprimer ouvertement.

MOI QUI COMPREND ENFIN: Alors aucun chroniqueur n’écrit vraiment pour changer les idées des gens. Ils font juste écrire pour exprimer quelque chose pour que certaines personnes soient d’accord avec eux et utilisent leurs textes pour appuyer la même opinion qu’eux?

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GARS DU JONAS: Deux pizzaghetti alldressed! Qu’est-ce que vous voulez à boire?

(Note: Ils n’ont pas de cream soda chez Jonas. On est repartis avec des Crush à l’orange.)

Je sais bien, cher chroniqueur que je remplace, que tu n’écris pas toujours pour dire des opinions, et que la plupart du temps tu racontes une petite histoire. Mais tes petites histoires ont toujours une morale, à la fin, et je me demande si ça ne sert pas un peu à la même chose. À dire aux gens que des fois, la vie c’est de même (ou de même, ou encore de même) et qu’il vaudrait mieux agir d’une telle façon (ou telle, ou telle) pour la rendre meilleure. Et tu remarqueras que la plupart de tes commentaires disent souvent quelque chose comme « ah, c’est tellement vrai! Merci de mettre des mots sur ce que je pense », ou une variation sur ce thème.

Et c’est peut-être à ça qu’un chroniqueur peut servir, finalement, pas juste à dire ce qu’il pense, mais aussi à aider les autres à se rendre compte qu’ils pensent pareil.

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