Logo

Chaque matin, sourire aux lĂšvres, micro Ă  la main, je vous mentais

L'ancienne présentatrice météo de Salut Bonjour! Joanie Gonthier n'était pas celle que vous pensiez.

Par
Joanie Gonthier
Publicité

Chaque matin, sourire aux lĂšvres, micro Ă  la main, je vous mentais.

Je me mentais.

Je faisais comme si tout allait bien


J’étais malade.

Mes maladies, je ne les vivais pas Ă  l’horizontale dans un lit d’hĂŽpital, je les vivais debout, chaque jour, devant le QuĂ©bec. À l’épicerie, vous preniez le temps de venir me serrer la main et me dire que j’étais votre petit rayon de soleil matinal. C’était mon cĂŽtĂ© comique et ma bonne humeur que vous aimiez, me confiez-vous si gĂ©nĂ©reusement.

MĂȘme si votre gentillesse me touchait droit au coeur, chaque compliment me brĂ»lait au fer chaud, laissant une marque qui me rappelait sans cesse que je n’étais pas celle que vous pensiez. Chaque compliment Ă©tait le miroir de mon hypocrisie. J’peux pas vous dire combien de fois j’ai rĂȘvĂ© d’ĂȘtre la fille dont vous me parliez. Mais ce n’était que ça, un rĂȘve.

Parce que dans la rĂ©alitĂ©, je n’étais pas une femme souriante, pleine d’énergie et d’optimisme. J’étais une femme sĂ©vĂšrement boulimique, alcoolique, dĂ©pressive et chroniquement anxieuse. J’étais une femme qui se bourrait de pilules, qui traitait ses proches comme de la marde.

Publicité

Anorexie

Au dĂ©but de la vingtaine, quand je commençais mon baccalaurĂ©at en communications, j’ai dĂ©cidĂ© que j’étais Ă©coeurĂ©e de me battre contre mon trouble d’hyperphagie (Ă©pisodes de gavage alimentaire) et que j’allais partir en guerre contre la nourriture. «Fuck la bouffe !», c’était mon plan.

«Fuck la bouffe !», c’était mon plan.

Mon plan a fonctionnĂ© et m’a plongĂ©e dans l’anorexie. Le pire, c’est que j’en Ă©tais fiĂšre. Je me trouvais plus forte que les autres, parce que MOI j’avais eu la volontĂ© et la dĂ©termination de me priver de nourriture. MOI, j’avais rĂ©ussi Ă  faire les gros sacrifices afin d’obtenir le physique de mes rĂȘves.

Pendant 4 ans, je n’ai presque rien mangĂ©. Je perdais mes cheveux, je dĂ©veloppais du petit duvet sur le visage et sur le corps (qui essayait de se garder au chaud). Je pouvais facilement boire 10 cafĂ©s et mĂącher 3 paquets de gommes sans sucre chaque jour. J’étais une insomniaque notoire. À 21 ans, j’ai arrĂȘtĂ© d’avoir mes rĂšgles et ça m’aura pris 10 ans pour qu’elles me reviennent. 10 ans!

Moi, à mon époque « Fuck la bouffe!»

Publicité

C’est Ă  cette Ă©poque que l’alcool est arrivĂ© dans ma vie. Quand t’as l’estomac vide, une biĂšre dans un party de mi-session, ça te fait feeler bien. Cette ivresse, j’en suis tombĂ©e amoureuse. L’anxiĂ©tĂ© n’existait plus avec elle. On Ă©tait bien ensemble. L’ivresse Ă©tait mon amante et j’avais envie d’elle, chaque soir.

Comme n’importe qui en lendemain de veille, les plats gras, salĂ©s et sucrĂ©s me faisaient de l’oeil. Au dĂ©but, je dĂ©tournais le regard et j’optais plutĂŽt pour une boisson gazeuse sans sucre, du cafĂ© et de la gomme. Mais un jour, j’ai succombĂ©.

Boulimie

Ce jour-lĂ , j’ai mangĂ© ABSOLUMENT TOUT ce qui se trouvait dans la maison de mes parents. J’ai calĂ© du sirop d’érable comme de l’eau, avalĂ© des cuillĂšres de margarine, vidĂ© un pot de beurre d’arachides format familial. J’ai dĂ©vorĂ© tout le pain, toutes les cĂ©rĂ©ales, tous les biscuits, toute la crĂšme glacĂ©e. ArrivĂ©e au bout, j’ai mangĂ© de la chapelure arrosĂ©e de grands verres de lait remplis de sucre en poudre.

Publicité

AprĂšs ce premier gavage, j’ai essayĂ© de me faire vomir. Ça n’a pas fonctionnĂ©. J’étais horrifiĂ©e Ă  l’idĂ©e des kilos qui allaient s’accumuler. J’ai passĂ© la nuit Ă  pleurer. J’avais le corps bouillant et je transpirais comme si je venais franchir la ligne d’arrivĂ©e d’un marathon.

Je me suis fait la promesse de ne plus jamais recommencer. J’ai recommencĂ©.

Les jours suivants, je les ai passĂ©s Ă  me punir au gym et en me refusant tout sauf du cafĂ© noir. J’étais complĂštement dĂ©molie par cette premiĂšre perte de contrĂŽle. Je me suis fait la promesse de ne plus jamais recommencer.

J’ai recommencĂ©.

Les orgies de bouffe sont devenues de plus en plus frĂ©quentes et chaque fois plus gargantuesques. Internet m’a appris tous les trucs pour se faire vomir. AprĂšs beaucoup d’essais-erreur douloureux, j’ai malheureusement rĂ©ussi.

Publicité

Internet me suggĂ©rait aussi de boire de l’alcool avant de commencer mes «trips de bouffe». Ainsi, mon corps prioriserait l’élimination de l’alcool avant l’absorption de nutriments ce qui, par consĂ©quent, me permettrait de «sortir» plus de calories de mon systĂšme avant qu’il soit trop tard. Évidemment, c’est de la bullshit!

Anyway, cette derniĂšre «recommandation» gĂ©nĂ©reusement offerte par le web avait captĂ© mon attention et j’avais hĂąte de la mettre en pratique. La vodka «prĂ©gavage» Ă©tait devenue la norme. Avec le combo boulimie – alcool, ma vie est devenue invivable. J’avais tellement hĂąte d’arriver Ă  la maison pour tout manger. Y’a des semaines oĂč je planifiais d’avance mes Ă©pisodes boulimiques. Il m’est arrivĂ© de prendre congĂ© du travail juste pour passer toute la journĂ©e seule Ă  la maison Ă  boire et dĂ©penser des sommes faramineuses en Uber Eats! Je dĂ©pensais en moyenne 600$ par semaine en nourriture et en alcool.

Publicité

AprĂšs un Ă©pisode boulimique, quand tu regrettes d’ĂȘtre en vie.

Avant un Ă©pisode boulimique, j’étais toujours joyeuse et dĂ©bordante d’énergie. J’étais high juste Ă  l’idĂ©e de pouvoir «me lĂącher lousse». AprĂšs un Ă©pisode, je regrettais d’ĂȘtre en vie. J’avais l’impression que mon cerveau baignait dans le vinaigre. La seule façon de retrouver mon high, c’était en rĂ©pĂ©tant ce cycle autodestructeur. Plus j’étais boulimique, plus j’étais alcoolique, plus j’étais mal dans mon corps, plus je me dĂ©testais, plus je faisais des crises d’anxiĂ©tĂ©, plus j’étais dĂ©primĂ©e, plus j’étais boulimique, plus j’étais alcoolique


Je tournais en rond dans ce vortex infernal et j’étais convaincue que je finirais par y laisser ma peau.

C’est pire avant d’ĂȘtre mieux

En 2018, ma vie au complet Ă©tait un shit show. C’était l’annĂ©e de mes 30 ans et j’étais incapable de supporter celle que j’étais devenue. J’avais tellement honte. Mes nombreuses tentatives de guĂ©rison Ă©chouaient constamment et chaque rĂ©cidive Ă©tait pire que la prĂ©cĂ©dente.

Publicité

J’avais l’impression de cracher sur cette vie qui Ă©tait si gĂ©nĂ©reuse envers moi. Je faisais partie de l’émission de tĂ©lĂ© matinale la plus regardĂ©e au QuĂ©bec, des centaines de personnes auraient aimĂ© avoir cette chance ! Pourtant, tous les jours ou presque, je prenais consciemment la dĂ©cision de mettre en pĂ©ril ma carriĂšre, mais aussi ma santĂ©, ma vie, mes relations.

Crise d’anxiĂ©té 

Chaque nuit, en me rendant au travail, je portais le poids des gaffes de la veille. Les relents d’alcool et de pilules allaient-ils miner ma performance Ă  l’écran ? Mon corps gonflĂ© rentrerait-il dans mes « vĂȘtements de tĂ©lé» ? Mes collĂšgues remarqueraient-ils mes yeux rouges et vitreux, mon visage enflĂ© ? J’étais mortifiĂ©e Ă  l’idĂ©e qu’on remarque ma dĂ©tresse.

Publicité

Y’a des matins oĂč j’ai pris le volant alors que je n’aurais probablement pas dĂ». Y’a un matin oĂč mon coiffeur m’a dit que je sentais le fond de tonne. Y’a un matin oĂč, 15 minutes avant de commencer l’émission, j’ai annoncĂ© Ă  mon Ă©quipe que j’étais incapable d’aller en ondes. Y’a rarement un matin oĂč, en roulant sur Maisonneuve, je ne souhaitais pas entrer en collision avec un chauffard Ă  l’intersection Papineau, juste pour m’éviter d’aller jouer Ă  la fausse fille heureuse.

Ma dĂ©pression se creusait de nouvelles profondeurs. L’anxiĂ©tĂ© chronique Ă©tait mon pain quotidien.

Ça n’allait pas. Vraiment pas.

En octobre 2018, j’ai pris la dĂ©cision difficile de quitter mon travail afin de relever le plus grand dĂ©fi de ma vie : celui de la guĂ©rison.

2019 – La guĂ©rison

«Me retirer de l’oeil public, prendre du vrai temps pour me guĂ©rir, pppffffff, ça va ĂȘtre facile!», me disais-je naĂŻvement! Oh boy que j’avais tort!

Publicité

Les premiers mois ont Ă©tĂ© Ă©pouvantables.J’avais des idĂ©es plein la tĂȘte et je rĂȘvais de proposer les projets sur lesquels j’avais travaillĂ© pendant des mois, voire des annĂ©es. Je me bookais des chroniques, des contrats et des rĂ©unions Ă  gauche et Ă  droite. Avant une rencontre importante, je passais des jours sans me nourrir. Au retour, je cĂ©lĂ©brais en me bourrant de nourriture et d’alcool. Je voulais guĂ©rir, mais j’avais peur d’ĂȘtre oubliĂ©e, de perdre la place pour laquelle j’avais travaillĂ© si fort, de manquer d’argent.

Un jour, j’ai rĂ©alisĂ© que j’avais deux choix: vivre ou mourir.

Si je choisissais la premiĂšre option, j’allais devoir passer les prochains mois Ă  faire de ma guĂ©rison mon unique but, notamment en mettant un « hold » sur ma carriĂšre. La dĂ©marche s’annonçait tough. J’allais devoir rĂ©apprendre Ă  vivre, Ă  manger, dormir et Ă  faire face Ă  mes Ă©motions. Une journĂ©e Ă  la fois, avec de l’aide professionnelle et beaucoup de compassion, j’allais devoir reprogrammer mon cerveau et former de nouvelles habitudes.

J’ai choisi la premiùre option.

Publicité

Ma reconstruction est la chose la plus difficile Ă  laquelle j’ai Ă©tĂ© confrontĂ©e. Pour vous dire bien franchement, j’ai souvent voulu abandonner. MalgrĂ© la peur et les pleurs, je me suis accrochĂ©e, miraculeusement. Être entiĂšrement vulnĂ©rable, c’est difficile, Ă©peurant et trĂšs dĂ©stabilisant. Mais c’est de loin la plus belle chose qui me soit arrivĂ©e. Quand t’es vulnĂ©rable, quand tu as frappĂ© le bas fond et que tu fais le choix courageux de t’accepter tel que tu es, de t’aimer inconditionnellement et de te foutre de ce que les autres pensent, la magie opĂšre. C’est lĂ  que tu comprends ce qui est important et que tu prends les bonnes dĂ©cisions.

Mon histoire est trash et je m’étais promise de l’enterrer avec moi. Mais un an plus tard, je ne suis plus du tout la mĂȘme. Je vais bien. TrĂšs bien! Je relis ce que je suis en train d’écrire et j’ai un frisson dans le dos. Un frisson d’incrĂ©dulitĂ© et de grande fiertĂ©.

Est-ce que je suis zen à 100% devant la nourriture? Non. Je ne suis toujours pas aussi à l’aise que je l’aimerais devant un pot de beurre d’arachides, mettons.

Publicité

Est-ce que je suis zen Ă  100% devant la nourriture? Non. Je ne suis toujours pas aussi Ă  l’aise que je l’aimerais devant un pot de beurre d’arachides, mettons. Mais je m’amĂ©liore! Est-ce que j’ai encore des journĂ©es difficiles? Oui! Mais elles deviennent de moins en moins nombreuses. Et quand elles se prĂ©sentent, c’est lĂ  que je m’assure d’ĂȘtre extra-douce envers moi-mĂȘme. Le chemin vers l’amour-propre , c’est un parcours en gravier entrecoupĂ© de montagnes et de forĂȘts denses. Le matin, j’enfile mon sac Ă  dos de self love et je continue ma route, sachant que je ne suis pas Ă  l’abri d’une rechute et que je dois choisir mon chemin chaque jour.

Dans les derniĂšres annĂ©es, ce sont les tĂ©moignages de ceux qui ont eu le courage de raconter leur histoire en se rĂ©vĂ©lant sous leur vrai jour qui m’ont donnĂ© la force d’entamer ma guĂ©rison. Si, Ă  mon tour, je peux donner un peu d’espoir, ça aura valu la peine.

Épilogue – NoĂ«l 2019

Comme pour bien des gens qui traversent des difficultĂ©s similaires, le temps des fĂȘtes a toujours Ă©tĂ© une immense source de stress.

Publicité

La nourriture, l’alcool, les soupers par dessus soupers par dessus brunchs


Pour la premiĂšre fois depuis trĂšs longtemps, j’ai hĂąte aux FĂȘtes.

Ça fait peur. Quand on a peur, on s’isole. On Ă©vite. C’est ce que j’ai fait avec ma famille quand ça n’allait pas. J’ai refusĂ© son aide et pour ĂȘtre certaine qu’elle me sacre patience, je l’ai envoyĂ© chier. Mon NoĂ«l 2018, je l’ai passĂ© seule dans mon appartement, avec mon amoureux qui faisait son gros possible pour me soutenir. Je m’en veux tellement.

Pour la premiĂšre fois depuis trĂšs longtemps, j’ai hĂąte aux FĂȘtes.

Cette annĂ©e, je n’abandonnerai pas ma famille au rĂ©veillon. Cette annĂ©e, je ne laisserai pas mon amoureux se rendre seul au souper du 25.

Et quand viendra le temps de faire le dĂ©compte, je serai entourĂ©e des miens, fiĂšre, excitĂ©e et reconnaissante d’accueillir un jour nouveau.

Publicité

Si vous avez l’impression que le vĂŽtre n’existe pas, accrochez-vous. N’ayez pas peur de dire que ça ne va pas. Demandez de l’aide. Et quand une main vous sera tendue, agrippez-la. N’abandonnez jamais. Ne vous abandonnez jamais. La tempĂȘte va se fatiguer et le soleil percera les nuages, je vous le promets.

2019, merci d’avoir Ă©tĂ© chiante, Ă©peurante, difficile et si extraordinaire Ă  la fois. Je ne t’échangerais pour rien au monde. Merci de m’avoir redonnĂ© goĂ»t Ă  la vie et foi en moi.

2020, je ne sais pas ce que tu me rĂ©serves, mais je suis prĂȘte. Je suis prĂȘte Ă  ne plus me laisser tomber. PrĂȘte Ă  m’aimer. PrĂȘte Ă  toujours faire de mon mieux. PrĂȘte Ă  tourner la page pour de bon et Ă  regarder vers l’avant


Joyeuses fĂȘtes Ă  vous tous! Beaucoup d’amour. Encore plus de santĂ©.

TrĂšs chaleureusement,

Joanie xxx