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Chaque matin, sourire aux lĂšvres, micro Ă la main, je vous mentais
Chaque matin, sourire aux lĂšvres, micro Ă la main, je vous mentais.
Je me mentais.
Je faisais comme si tout allait bienâŠ
JâĂ©tais malade.
Mes maladies, je ne les vivais pas Ă lâhorizontale dans un lit dâhĂŽpital, je les vivais debout, chaque jour, devant le QuĂ©bec. Ă lâĂ©picerie, vous preniez le temps de venir me serrer la main et me dire que jâĂ©tais votre petit rayon de soleil matinal. CâĂ©tait mon cĂŽtĂ© comique et ma bonne humeur que vous aimiez, me confiez-vous si gĂ©nĂ©reusement.
MĂȘme si votre gentillesse me touchait droit au coeur, chaque compliment me brĂ»lait au fer chaud, laissant une marque qui me rappelait sans cesse que je nâĂ©tais pas celle que vous pensiez. Chaque compliment Ă©tait le miroir de mon hypocrisie. Jâpeux pas vous dire combien de fois jâai rĂȘvĂ© dâĂȘtre la fille dont vous me parliez. Mais ce nâĂ©tait que ça, un rĂȘve.
Parce que dans la rĂ©alitĂ©, je nâĂ©tais pas une femme souriante, pleine dâĂ©nergie et dâoptimisme. JâĂ©tais une femme sĂ©vĂšrement boulimique, alcoolique, dĂ©pressive et chroniquement anxieuse. JâĂ©tais une femme qui se bourrait de pilules, qui traitait ses proches comme de la marde.
Anorexie
Au dĂ©but de la vingtaine, quand je commençais mon baccalaurĂ©at en communications, jâai dĂ©cidĂ© que jâĂ©tais Ă©coeurĂ©e de me battre contre mon trouble dâhyperphagie (Ă©pisodes de gavage alimentaire) et que jâallais partir en guerre contre la nourriture. «Fuck la bouffe !», câĂ©tait mon plan.
«Fuck la bouffe !», câĂ©tait mon plan.
Mon plan a fonctionnĂ© et mâa plongĂ©e dans lâanorexie. Le pire, câest que jâen Ă©tais fiĂšre. Je me trouvais plus forte que les autres, parce que MOI jâavais eu la volontĂ© et la dĂ©termination de me priver de nourriture. MOI, jâavais rĂ©ussi Ă faire les gros sacrifices afin dâobtenir le physique de mes rĂȘves.
Pendant 4 ans, je nâai presque rien mangĂ©. Je perdais mes cheveux, je dĂ©veloppais du petit duvet sur le visage et sur le corps (qui essayait de se garder au chaud). Je pouvais facilement boire 10 cafĂ©s et mĂącher 3 paquets de gommes sans sucre chaque jour. JâĂ©tais une insomniaque notoire. Ă 21 ans, jâai arrĂȘtĂ© dâavoir mes rĂšgles et ça mâaura pris 10 ans pour quâelles me reviennent. 10 ans!
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Moi, à mon époque « Fuck la bouffe!»
Câest Ă cette Ă©poque que lâalcool est arrivĂ© dans ma vie. Quand tâas lâestomac vide, une biĂšre dans un party de mi-session, ça te fait feeler bien. Cette ivresse, jâen suis tombĂ©e amoureuse. LâanxiĂ©tĂ© nâexistait plus avec elle. On Ă©tait bien ensemble. Lâivresse Ă©tait mon amante et jâavais envie dâelle, chaque soir.
Comme nâimporte qui en lendemain de veille, les plats gras, salĂ©s et sucrĂ©s me faisaient de lâoeil. Au dĂ©but, je dĂ©tournais le regard et jâoptais plutĂŽt pour une boisson gazeuse sans sucre, du cafĂ© et de la gomme. Mais un jour, jâai succombĂ©.
Boulimie
Ce jour-lĂ , jâai mangĂ© ABSOLUMENT TOUT ce qui se trouvait dans la maison de mes parents. Jâai calĂ© du sirop dâĂ©rable comme de lâeau, avalĂ© des cuillĂšres de margarine, vidĂ© un pot de beurre dâarachides format familial. Jâai dĂ©vorĂ© tout le pain, toutes les cĂ©rĂ©ales, tous les biscuits, toute la crĂšme glacĂ©e. ArrivĂ©e au bout, jâai mangĂ© de la chapelure arrosĂ©e de grands verres de lait remplis de sucre en poudre.
AprĂšs ce premier gavage, jâai essayĂ© de me faire vomir. Ăa nâa pas fonctionnĂ©. JâĂ©tais horrifiĂ©e Ă lâidĂ©e des kilos qui allaient sâaccumuler. Jâai passĂ© la nuit Ă pleurer. Jâavais le corps bouillant et je transpirais comme si je venais franchir la ligne dâarrivĂ©e dâun marathon.
Je me suis fait la promesse de ne plus jamais recommencer. Jâai recommencĂ©.
Les jours suivants, je les ai passĂ©s Ă me punir au gym et en me refusant tout sauf du cafĂ© noir. JâĂ©tais complĂštement dĂ©molie par cette premiĂšre perte de contrĂŽle. Je me suis fait la promesse de ne plus jamais recommencer.
Jâai recommencĂ©.
Les orgies de bouffe sont devenues de plus en plus frĂ©quentes et chaque fois plus gargantuesques. Internet mâa appris tous les trucs pour se faire vomir. AprĂšs beaucoup dâessais-erreur douloureux, jâai malheureusement rĂ©ussi.
Internet me suggĂ©rait aussi de boire de lâalcool avant de commencer mes «trips de bouffe». Ainsi, mon corps prioriserait lâĂ©limination de lâalcool avant lâabsorption de nutriments ce qui, par consĂ©quent, me permettrait de «sortir» plus de calories de mon systĂšme avant quâil soit trop tard. Ăvidemment, câest de la bullshit!
Anyway, cette derniĂšre «recommandation» gĂ©nĂ©reusement offerte par le web avait captĂ© mon attention et jâavais hĂąte de la mettre en pratique. La vodka «prĂ©gavage» Ă©tait devenue la norme. Avec le combo boulimie â alcool, ma vie est devenue invivable. Jâavais tellement hĂąte dâarriver Ă la maison pour tout manger. Yâa des semaines oĂč je planifiais dâavance mes Ă©pisodes boulimiques. Il mâest arrivĂ© de prendre congĂ© du travail juste pour passer toute la journĂ©e seule Ă la maison Ă boire et dĂ©penser des sommes faramineuses en Uber Eats! Je dĂ©pensais en moyenne 600$ par semaine en nourriture et en alcool.
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AprĂšs un Ă©pisode boulimique, quand tu regrettes dâĂȘtre en vie.
Avant un Ă©pisode boulimique, jâĂ©tais toujours joyeuse et dĂ©bordante dâĂ©nergie. JâĂ©tais high juste Ă lâidĂ©e de pouvoir «me lĂącher lousse». AprĂšs un Ă©pisode, je regrettais dâĂȘtre en vie. Jâavais lâimpression que mon cerveau baignait dans le vinaigre. La seule façon de retrouver mon high, câĂ©tait en rĂ©pĂ©tant ce cycle autodestructeur. Plus jâĂ©tais boulimique, plus jâĂ©tais alcoolique, plus jâĂ©tais mal dans mon corps, plus je me dĂ©testais, plus je faisais des crises dâanxiĂ©tĂ©, plus jâĂ©tais dĂ©primĂ©e, plus jâĂ©tais boulimique, plus jâĂ©tais alcooliqueâŠ
Je tournais en rond dans ce vortex infernal et jâĂ©tais convaincue que je finirais par y laisser ma peau.
Câest pire avant dâĂȘtre mieux
En 2018, ma vie au complet Ă©tait un shit show. CâĂ©tait lâannĂ©e de mes 30 ans et jâĂ©tais incapable de supporter celle que jâĂ©tais devenue. Jâavais tellement honte. Mes nombreuses tentatives de guĂ©rison Ă©chouaient constamment et chaque rĂ©cidive Ă©tait pire que la prĂ©cĂ©dente.
Jâavais lâimpression de cracher sur cette vie qui Ă©tait si gĂ©nĂ©reuse envers moi. Je faisais partie de lâĂ©mission de tĂ©lĂ© matinale la plus regardĂ©e au QuĂ©bec, des centaines de personnes auraient aimĂ© avoir cette chance ! Pourtant, tous les jours ou presque, je prenais consciemment la dĂ©cision de mettre en pĂ©ril ma carriĂšre, mais aussi ma santĂ©, ma vie, mes relations.
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Crise dâanxiĂ©tĂ©âŠ
Chaque nuit, en me rendant au travail, je portais le poids des gaffes de la veille. Les relents dâalcool et de pilules allaient-ils miner ma performance Ă lâĂ©cran ? Mon corps gonflĂ© rentrerait-il dans mes « vĂȘtements de tĂ©lé» ? Mes collĂšgues remarqueraient-ils mes yeux rouges et vitreux, mon visage enflĂ© ? JâĂ©tais mortifiĂ©e Ă lâidĂ©e quâon remarque ma dĂ©tresse.
Yâa des matins oĂč jâai pris le volant alors que je nâaurais probablement pas dĂ». Yâa un matin oĂč mon coiffeur mâa dit que je sentais le fond de tonne. Yâa un matin oĂč, 15 minutes avant de commencer lâĂ©mission, jâai annoncĂ© Ă mon Ă©quipe que jâĂ©tais incapable dâaller en ondes. Yâa rarement un matin oĂč, en roulant sur Maisonneuve, je ne souhaitais pas entrer en collision avec un chauffard Ă lâintersection Papineau, juste pour mâĂ©viter dâaller jouer Ă la fausse fille heureuse.
Ma dĂ©pression se creusait de nouvelles profondeurs. LâanxiĂ©tĂ© chronique Ă©tait mon pain quotidien.
Ăa nâallait pas. Vraiment pas.
En octobre 2018, jâai pris la dĂ©cision difficile de quitter mon travail afin de relever le plus grand dĂ©fi de ma vie : celui de la guĂ©rison.
2019 â La guĂ©rison
«Me retirer de lâoeil public, prendre du vrai temps pour me guĂ©rir, pppffffff, ça va ĂȘtre facile!», me disais-je naĂŻvement! Oh boy que jâavais tort!
Les premiers mois ont Ă©tĂ© Ă©pouvantables.Jâavais des idĂ©es plein la tĂȘte et je rĂȘvais de proposer les projets sur lesquels jâavais travaillĂ© pendant des mois, voire des annĂ©es. Je me bookais des chroniques, des contrats et des rĂ©unions Ă gauche et Ă droite. Avant une rencontre importante, je passais des jours sans me nourrir. Au retour, je cĂ©lĂ©brais en me bourrant de nourriture et dâalcool. Je voulais guĂ©rir, mais jâavais peur dâĂȘtre oubliĂ©e, de perdre la place pour laquelle jâavais travaillĂ© si fort, de manquer dâargent.
Un jour, jâai rĂ©alisĂ© que jâavais deux choix: vivre ou mourir.
Si je choisissais la premiĂšre option, jâallais devoir passer les prochains mois Ă faire de ma guĂ©rison mon unique but, notamment en mettant un « hold » sur ma carriĂšre. La dĂ©marche sâannonçait tough. Jâallais devoir rĂ©apprendre Ă vivre, Ă manger, dormir et Ă faire face Ă mes Ă©motions. Une journĂ©e Ă la fois, avec de lâaide professionnelle et beaucoup de compassion, jâallais devoir reprogrammer mon cerveau et former de nouvelles habitudes.
Jâai choisi la premiĂšre option.
Ma reconstruction est la chose la plus difficile Ă laquelle jâai Ă©tĂ© confrontĂ©e. Pour vous dire bien franchement, jâai souvent voulu abandonner. MalgrĂ© la peur et les pleurs, je me suis accrochĂ©e, miraculeusement. Ătre entiĂšrement vulnĂ©rable, câest difficile, Ă©peurant et trĂšs dĂ©stabilisant. Mais câest de loin la plus belle chose qui me soit arrivĂ©e. Quand tâes vulnĂ©rable, quand tu as frappĂ© le bas fond et que tu fais le choix courageux de tâaccepter tel que tu es, de tâaimer inconditionnellement et de te foutre de ce que les autres pensent, la magie opĂšre. Câest lĂ que tu comprends ce qui est important et que tu prends les bonnes dĂ©cisions.
Mon histoire est trash et je mâĂ©tais promise de lâenterrer avec moi. Mais un an plus tard, je ne suis plus du tout la mĂȘme. Je vais bien. TrĂšs bien! Je relis ce que je suis en train dâĂ©crire et jâai un frisson dans le dos. Un frisson dâincrĂ©dulitĂ© et de grande fiertĂ©.
Est-ce que je suis zen Ă 100% devant la nourriture? Non. Je ne suis toujours pas aussi Ă lâaise que je lâaimerais devant un pot de beurre dâarachides, mettons.
Est-ce que je suis zen Ă 100% devant la nourriture? Non. Je ne suis toujours pas aussi Ă lâaise que je lâaimerais devant un pot de beurre dâarachides, mettons. Mais je mâamĂ©liore! Est-ce que jâai encore des journĂ©es difficiles? Oui! Mais elles deviennent de moins en moins nombreuses. Et quand elles se prĂ©sentent, câest lĂ que je mâassure dâĂȘtre extra-douce envers moi-mĂȘme. Le chemin vers lâamour-propre , câest un parcours en gravier entrecoupĂ© de montagnes et de forĂȘts denses. Le matin, jâenfile mon sac Ă dos de self love et je continue ma route, sachant que je ne suis pas Ă lâabri dâune rechute et que je dois choisir mon chemin chaque jour.
Dans les derniĂšres annĂ©es, ce sont les tĂ©moignages de ceux qui ont eu le courage de raconter leur histoire en se rĂ©vĂ©lant sous leur vrai jour qui mâont donnĂ© la force dâentamer ma guĂ©rison. Si, Ă mon tour, je peux donner un peu dâespoir, ça aura valu la peine.
Ăpilogue â NoĂ«l 2019
Comme pour bien des gens qui traversent des difficultĂ©s similaires, le temps des fĂȘtes a toujours Ă©tĂ© une immense source de stress.
La nourriture, lâalcool, les soupers par dessus soupers par dessus brunchsâŠ
Pour la premiĂšre fois depuis trĂšs longtemps, jâai hĂąte aux FĂȘtes.
Ăa fait peur. Quand on a peur, on sâisole. On Ă©vite. Câest ce que jâai fait avec ma famille quand ça nâallait pas. Jâai refusĂ© son aide et pour ĂȘtre certaine quâelle me sacre patience, je lâai envoyĂ© chier. Mon NoĂ«l 2018, je lâai passĂ© seule dans mon appartement, avec mon amoureux qui faisait son gros possible pour me soutenir. Je mâen veux tellement.
Pour la premiĂšre fois depuis trĂšs longtemps, jâai hĂąte aux FĂȘtes.
Cette annĂ©e, je nâabandonnerai pas ma famille au rĂ©veillon. Cette annĂ©e, je ne laisserai pas mon amoureux se rendre seul au souper du 25.
Et quand viendra le temps de faire le dĂ©compte, je serai entourĂ©e des miens, fiĂšre, excitĂ©e et reconnaissante dâaccueillir un jour nouveau.
Si vous avez lâimpression que le vĂŽtre nâexiste pas, accrochez-vous. Nâayez pas peur de dire que ça ne va pas. Demandez de lâaide. Et quand une main vous sera tendue, agrippez-la. Nâabandonnez jamais. Ne vous abandonnez jamais. La tempĂȘte va se fatiguer et le soleil percera les nuages, je vous le promets.
2019, merci dâavoir Ă©tĂ© chiante, Ă©peurante, difficile et si extraordinaire Ă la fois. Je ne tâĂ©changerais pour rien au monde. Merci de mâavoir redonnĂ© goĂ»t Ă la vie et foi en moi.
2020, je ne sais pas ce que tu me rĂ©serves, mais je suis prĂȘte. Je suis prĂȘte Ă ne plus me laisser tomber. PrĂȘte Ă mâaimer. PrĂȘte Ă toujours faire de mon mieux. PrĂȘte Ă tourner la page pour de bon et Ă regarder vers lâavantâŠ
Joyeuses fĂȘtes Ă vous tous! Beaucoup dâamour. Encore plus de santĂ©.
TrĂšs chaleureusement,
Joanie xxx