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J’avais l’intention d’être beau pour le 31 décembre. C’était ça, mon projet du réveillon. Être beau pour augmenter mes chances de frencher dans le party du Nouvel An chez Éric Bernier.
Sauf que je n’avais pas prévu de kit. Je ne me prépare jamais de kit. J’y vais à la va-comme-je-te-pousse. J’ai toujours une beauté à la bonne franquette.
Faire croire des choses pas vraies, je suis bon là-dedans.
Je fais avec les moyens du bord et ce que me propose ma garde-robe (où – je vous l’assure – il n’y a aucune robe, hormis une jaquette que j’enfile une fois de temps en temps quand j’ai envie d’avoir les jambes lousses en faisant des grands jetés dans ma cuisine).
Je voulais un vêtement que je mets pas souvent, voire que je n’ai jamais mis, pour faire croire que j’étrennais. Sauf que je n’ai pas inauguré un chandail neuf depuis genre… 5 ans. Mais faire croire des choses pas vraies, je suis bon là-dedans.
J’hésitais entre deux super beaux chandails.
Le premier: un Ernest indigo qui appartenait à un homme âgé, mort d’un cancer en 2016. C’était un client du IGA où ma mère travaille. Ayant perdu énormément de poids, en fin de vie, il avait apporté une dizaine de jolis chandails à sa caissière préférée, ma mère, pour qu’elle me les remette.
L’autre: le beau pull en laine qu’un ex a oublié chez moi il y a très longtemps. Un beau pull que j’ai gardé juste pour moi, après la rupture, essentiellement par vengeance, après que le gars m’ait flushé de manière cavalière.
J’ai quand même la vengeance soft.
«J’ai perdu mon tricot préféré, Simon. Est-ce qu’il serait chez toi, par hasard?»
Nooooon, désolé Antoine. (Oups, je l’ai nommé!)
J’ai quand même la vengeance soft. Du genre: il m’arrive d’avoir le fantasme de pratiquer une trachéotomie dans la gorge du carton de lait des gens qui écrivent sur Twitter que je chante mal, juste pour que ça fasse un gâchis sur leur comptoir, quand il se prépare son bol de céréales le matin. Ça (ou ne jamais remettre le chandail d’un ex pas fin), c’est dans mon ranch de méchanceté.
J’ai, bien sûr, choisi le chandail du vieux monsieur, l’Ernest indigo, car j’ai toujours peur d’être vu en public avec le pull que j’ai un peu volé. Le beau col en V révélait de belles choses de ma personnalité, dont la prémisse invitante de certains pectoraux (j’espère ben, bout de viarge, après trois ans de gym, y était temps!).
J’avais l’air d’un joueur de tennis dans un cocktail de bienfaisance. C’est peut-être de famille? (Ouin, parce que ma mère s’est développée tennis elbow à son IGA, elle qui n’a pourtant jamais joué au tennis de sa vie. Elle dit qu’elle aurait préféré avoir la shape d’une joueuse de tennis, plutôt que d’être pris avec un problème poche de ces sportifs-là. On la comprend…)
Je devais avoir 22 ans, j’étais démoli parce que personne n’aimait ma voix…
Dans mon Ernest indigo, j’étais pas pire beau, je pense. Il suffisait d’agencer le tout avec un beau pantalon saillant, pour que je sois frenchable. Pis c’est là, dans ma garde-robe, que mes yeux se sont posés sur mon journal de bord, datant de l’époque où j’étais à l’école de théâtre. J’ai ouvert au hasard et j’ai lu mon vieux désarroi. Je devais avoir 22 ans, j’étais démoli parce que personne n’aimait ma voix…
Je me suis mis à relire mes vieilles rengaines, assis en indien, devant ma garde-robe, en bobettes et en Ernest indigo. J’allais être encore en retard dans mon cercle d’amis parce que je me remuais la mousse du nombril. Je ressasse toujours de vieux souvenirs au moment le moins opportun.
Dans mon journal, il y a un passage qui m’a touché. Le papier était gondolé. J’avais dû brailler en écrivant.
L’an passé, pour le réveillon du Nouvel An 2016, en cherchant mon nœud papillon, j’avais trouvé mon album-photos de secondaire 1 et j’étais arrivé deux heures en retard dans les maritimes, parce que j’arrêtais pas de m’émouvoir sur la dentition de vampire de mes 12 ans!
Dans ce que je lisais, il y a un passage qui m’a touché. Le papier était gondolé. J’avais dû brailler en écrivant, j’imagine (à 22 ans, j’étais un brin intense). En gros, je racontais que j’étais tanné de me faire dire par les profs que j’avais une voix de marde. Bon, ils ne disaient pas clairement que j’avais une voix de marde, mais ils laissaient sous-entendre que je n’irais nulle part dans la vie avec une voix nasillarde de même.
C’est là que j’ai eu une bouffée d’amour pour moi-même. Pour Simon vintage, avec une voix pas placée qui ne se placera jamais, d’ailleurs.
Pis c’est là que Simon, 34 ans, a voulu faire une déclaration d’amour à Simon 22 ans.
Il a voulu lui dire:
Simon, c’est correct, ta voix de marde.
N’arrête pas de chanter parce que ça gosse du monde.
Si ça te fait du bien, chante.
Ta voix n’est pas si pire.
Elle gosse, oui, elle a le cul entre deux chaises, entre rhume et joie.
Elle ressemble, oui, à une fréquence floue entre deux postes de radio.
Mais c’est ta voix, pis elle a quelque chose d’unique.
Pis des fois, la joie prend toute la place, et laisse pus rien à ton fond de rhume éternel.
Peux-tu croire qu’un jour, tu vas finir par faire de la radio à Radio-Canada?
Oui, oui, tu m’as bien compris!
Il y a des gens importants qui vont trouver qu’il y a quelque chose de sympathique dans cette voix de marde là.
Un entrain, un élan, un enthousiasme sincère.
Une voix irrégulière et imprécise, une voix à la bonne franquette.
Pis que ça a sa place à Radio-Canada.
On va même finir par te donner une tribune pour chanter.
BIO-POP, que ça va s’appeler.
Un prétexte pour te délousser les cordes vocales.
Tu te rappelles, combien tu te mourrais, enfant, de devenir chanteur?
Eh bien, tu vas chanter en direct deux jeudis par mois à la Première chaîne (qui va finir par changer de nom…).
Tu vas chanter du Freddie Mercury, du Barbra Streisand, du Céline Dion, du ce que tu veux…
Non, mais peux-tu croire?
Faque câlisse-toi donc un peu de ce qu’on te dit, pis arrête de brailler.
Viens dans mes bras.
Tu peux même déposer ta tête.
Tu vas voir, j’ai l’épaule plus solide qu’avant.
Évite juste de morver sur mon beau chandail indigo.
Je m’en vais dans un party chez Éric Bernier, pis ce serait le fun qu’on me frenche…
Ah, pis fais donc ce que tu veux.
Laisse-toi donc aller au complet.
Une heure plus tard, j’étais dans mon party du Nouvel An.
Je n’ai frenché personne, ce soir-là, mais j’ai chanté trois tounes au karaoké sans que personne me pitche de télécommande sur la gorge.
Je suis revenu à six heures de matin, la voix scrap et le cœur léger.
P.S. : J’ai fait un tour de force ; j’ai chanté «Sous le vent» en faisant Céline ET Garou. Je pense que c’était ressemblant…
***
Simon Boulerice a lu cette fiction à l’émission Plus on est de fous, plus on lit! à ICI Radio-Canada Première. Pour l’écouter, c’est par ICI!
Pour lire un autre texte de Simon Boulerice : « Tout ce qui s’ouvre ».
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